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A l'égal de mes jours je la ferai durer,
Je veux vivre avec elle, avec elle expirer.

Je t'avouerai pourtant comme vraiment Romaine,
Que pour toi mon estime est égale à ma haine,
Que l'une & l'autre eft jufte, & montre le pouvoir,
L'une de ta vertu, l'autre de mon devoir;
Que l'une eft généreuse, & l'autre intéreffée,
Et que dans mon efprit l'une & l'autre eft forcée.
Tu vois que ta vertu, qu'en vain on veut trahir,
Me force de prifer ce que je dois haïr,
Juge ainfi de la haine où mon devoir me lie,
La veuve de Pompée y force Cornelie.
J'irai, n'en doute point, au fortir de ces lieux
Soulever contre toi les hommes & les dieux,
Ces dieux qui t'ont flatté, ces dieux qui m'ont trompée,
Ces dieux qui dans Pharfale ont mal fervi Pompée,
Qui la foudre à la main l'ont pû voir égorger,
Ils connoîtront leur faute, & le voudront venger.
Mon zèle à leur refus, aidé de fa mémoire,
Te faura bien fans eux arracher la victoire ;
Et quand tout mon effort fe trouvera rompu,
Cléopatre fera ce que je n'aurai pû.

Je fai quelle eft ta flamme, & quelles font fes forces,
Que tu n'ignores pas comme on fait les divorces,
Que ton amour t'aveugle, & que pour l'épouser
Rome n'a point de loix que tu n'ofes brifer:
Mais fache auffi qu'alors la jeuneffe Romaine
Se croira tout permis fur l'époux d'une reine ;
Et que de cet hymen tes amis indignés
Vengeront fur ton fang leurs avis dédaignés.
J'empêche ta ruine empêchant tes careffes.
Adieu. J'attens demain l'effet de tes promesses.

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SCENE V.

CESAR, CLEOPATRE, ANTOINE, LEPIDE, CHARMIO N.

CLEOPATRE.

Lûtôt qu'à ces périls je vous puiffe expofer,

Sacrifiez ma vie au bonheur de la vôtre,

caufer,

Le mien fera trop grand, & je n'en veux point d'autre,
Indigne que je fuis d'un Céfar pour époux,
Que de vivre en votre ame étant morte pour vous,
CESAR.

Reine, ces vains projets font le feul avantage
Qu'un grand cœur impuiffant a du ciel en partage:
Comme il a peu de force il a beaucoup de foins;
Et, s'il pouvoit plus faire, il fouhaiteroit moins.
Les dieux empêcheront l'effet de ces augures;
Et mes félicités n'en feront pas moins pures,
Pourvû que votre amour gagne fur vos douleurs
Qu'en faveur de Céfar vous tariffiez vos pleurs ;
Et que votre bonté fenfible à ma priére,
Pour un fidéle amant oublie un mauvais frere.
On aura pû vous dire avec quel déplaifir
J'ai vu le défespoir qu'il a voulu choifir,
Avec combien d'efforts j'ai voulu le défendre
Des paniques terreurs qui l'avoient pû furprendre :
Il s'eft de mes bontés jufqu'au bout défendu,
Et de peur de fe perdre, il s'eft enfin perdu.
O honte pour Céfar, qu'avec tant de puiffance,
Tant de foins de vous rendre entiére obéïffance,
Il n'ait pû toutefois en ces événemens
Obéir au premier de vos commandemens !
Prenez-vous-en au ciel, dont les ordres fublimes,
Malgré tous nos efforts, favent punir les crimes;
Sa rigueur envers lui vous ouvre un fort plus doux,
Puifque par cette mort l'Egypte eft toute à vous.

CLEO

CLEOPATRE.

Je fai que j'en reçois un nouveau diadême,
Qu'on n'en peut accufer que les dieux, & lui-même ;
Mais comme il eft, Seigneur, de la fatalité,

Que l'aigreur foit mêlée à la félicité,
Ne vous offenfez pas fi cet heur de vos armes
Qui me rend tant de biens, me coûte un peu de larmes ;
Et fi, voyant fa mort dûe à fa trahison,

Je donne à la nature ainfi qu'à la raison..
Je n'ouvre point les yeux fur ma grandeur fi proche,
Qu'auff-tôt à mon cœur mon fang ne le reproche,
J'en reffens dans mon ame un murmure secret ;
Et ne puis remonter au trône fans regret.

SCENE DERNIERE. CLEOPATRE, CESAR, ANTOINE, LEPIDE, A CHORE E.

UN

A CHORE E.

N grand peuple, Seigneur, dont cette cour eft pleine, Par des cris redoublés demande à voir la reine, Et tout impatient déja se plaint aux cieux

Qu'on lui donne trop tard un bien fi précieux.

CESAR.

Ne lui refufons plus le bonheur qu'il défire,
Princeffe, allons par-là commencer votre empire.
Faffe le jufte ciel propice à mes défirs,
Que ces longs cris de joie étouffent vos foupirs;
Et puiffent ne laiffer dedans votre pensée
Que l'image des traits dont mon ame eft bleffée.
Cependant qu'à l'envi ma fuite & votre cour
Préparent pour demain la pompe d'un beau jour,
Où dans un digne emploi l'une & l'autre occupée
Couronne Cléopatre, & m'apaife Pompée ;
Eleve à l'une un trône, à l'autre des autels;
Et jure à tous les deux des refpects immortels.

FIN.

JUGEMENT

344

JUGEMENT fur la TRAGEDIE de POMPE E.

N voit peu de Piéces de Théatre où l'Hiftoir
Joit plus confervée & plus falfifiée tout ensemble

que dans celle de Pompée. Les événemens hiftoriques n'y font pas changés, mais on les fait arriver autrement qu'ils ne font véritablement arrivés. La maniere dont l'auteur a profité de Lucain y eft un pe plus délicate & moins visible que celle dont il avoit imité fénéque dans la Medée, il ne lui eft inferier nulle part, & il n'y a point de comparaison à faire entre eux dans les endroits où le François s'eft paffé du fecours du Romain.

Le fiyle de cette Pièce eft plus élevé que celui de tous les autres Poemes du même auteur, & ce font fans contredit les vers les plus pompeux qu'il ait jamais fait. Il y a quelque chofe d'extraordinaire dans le titre de ce Poëme qui porte le nom d'un Héros qui n'y parle point: mais il ne laiffe pas d'en être en quelque forte le principal acteur, puifque fa mort f la caufe unique de tout ce qui s'y paffe.

RODOGUNE,

RODOGUNE,

PRINCESSE

DES PARTHES.

TRAGEDIE.

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