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Aux mânes de Pompée il faut une autre offrande,
La victime eft trop baffe, & l'injure trop grande;
Et ce n'eft pas un fang que, pour la réparer,
Son ombre & ma douleur daignent confidérer.
L'ardeur de le venger dans mon ame allumée,
En attendant Céfar demande Ptolomée,
Tout indigne qu'il eft de vivre & de régner,
Je fai bien que Céfar fe force à l'épargner ;
Mais, quoi que fon amour ait ofé vous promettre,
Le ciel plus jufte enfin n'ofera le permettre ;
Et s'il peut une fois écouter tous mes vœux,
Par la main l'un de l'autre ils périront tous deux.
Mon ame à ce bonheur, fi le ciel me l'envoie,
Oubliera fes douleurs pour s'ouvrir à la joie ;
Mais, fi ce grand fouhait demande trop pour moi,
Si vous n'en perdez qu'un, ô ciel, perdez le roi.
CLEOPATRE.

Le ciel fur nos fouhaits ne régle pas les chofes.
CORNELIE.

Le ciel régle fouvent les effets fur les causes;
Et rend aux criminels ce qu'ils ont mérité.

CLEOPATRE.

Comme de la juftice, il a de la bonté.

CORNELI E.

Oui, mais il fait juger, à voir comme il commence, Que fa juftice agit, & non pas fa clémence.

CLEOPATRE.

Souvent de la juftice il paffe à la douceur.
CORNELIE.

Reine, je parle en veuve, & vous parlez en fœur,
Chacun a fon fujet d'aigreur, ou de tendreffe,
Qui dans le fort du roi juftement l'intéresse.
Apprenons par le fang qu'on aura répandu,
A quels fouhaits le ciel a le mieux répondu ;
Voici votre Achorée.

SCENE

SCENE III.

CORNELIE, CLEOPATRE, A CHOREE, PHILIPPE,

CHARMION.

CLEOPATRE.

HEL

Elas! Sur fon visage

Rien ne s'offre à mes yeux que de mauvais préfage.
Ne nous déguisez rien, parlez fans me flatter,
Qu'ai-je à craindre, Achorée, ou qu'ai-je à regretter?
A CHORE E.
Auffi-tôt Céfar eut fû la perfidie.

que

...

CLEOPATRE.

Ce ne font pas ces foins que je veux qu'on me die.
Je fai qu'il fit trancher & clore ce conduit
Par où ce grand fecours devoit être introduit ;
Qu'il manda tous les fiens pour s'affurer la place
Où Photin a reçû le prix de fon audace,
Que d'un fi prompt fupplice Achillas étonné
S'eft aifément faifi du port abandonné,
Que le roi l'a fuivi, qu'Antoine a mis à terre
Ce qui dans fes vaiffeaux reftoit de gens de guerre,
Que Céfar l'a rejoint ; & je ne doute pas
Qu'il n'ait fû vaincre encor, & punir Achillas.
A CHORE E.

Oui, Madame, on a vû fon bonheur ordinaire . . .
CLEOPATRE.
Dites-moi feulement s'il a fauvé mon frere,

S'il m'a tenu promeffe.

A CHORE E.

Oui, de tout fon pouvoir.

CLEOPATRE.

C'eft-là l'unique point que je voulois savoir.

Madame, vous voyez, les dieux m'ont écoutée.

F f

CORNELIE.

CORNELIE.

Ils n'ont que différé la peine méritée.
CLEOPATRE.

Vous la vouliez fur l'heure, ils l'en ont garanti.
A CHOR E E.

Il faudroit qu'à nos vœux il eût mieux consenti.
CLEOPATRE.

Que difiez-vous n'aguére, & que viens-je d'entendre!
Accordez ces difcours que j'ai peine à comprendre?
A CHORE E.

Aucuns ordres ni foins n'ont pû le fecourir,
Malgré Cefar & nous il a voulu périr;

Mais il eft mort, Madame, avec toutes les marques
Que puiffent laiffer d'eux les plus dignes monarques,
Sa vertu rappellée a foutenu fon rang;

Et fa perte aux Romains a coûté bien du fang.
Il combattoit Antoine avec tant de courage,
Qu'il emportoit déja fur lui quelque avantage,
Mais l'abord de Céfar a changé le deftin.
Auffi-tôt Achillas fuit le fort de Photin,

Il meurt, mais d'une mort trop belle pour un traître,
Les armes à la main en défendant fon maître.
Le vainqueur crie en vain qu'on épargne le roi,
Ces mots au lieu d'efpoir lui donnent de l'effroi ;
Son efprit alarmé les croit un artifice

Pour réserver fa tête à l'affront d'un fupplice.
Il pouffe dans nos rangs, il les perce, & fait voir
Ce que peut la vertu qu'arme le désespoir;
Et fon cœur emporté par l'erreur qui l'abuse
Cherche par tout la mort que chacun lui refuse.
Enfin, perdant haleine après ces grands efforts,
Prêt d'être environné, fes meilleurs foldats morts,
Il voit quelques fuyards fauter dans une barque,
Il s'y jette, & les fiens qui fuivent leur monarque
D'un fi grand nombre en foule accablent ce vaiffeau,
Que la mer l'engloutit avec tout fon fardeau.

C'eft ainfi que fa mort lui rend toute fa gloire,
A vous toute l'Egypte, à Céfar la victoire,
Il vous proclame reine; &, bien qu'aucun Romain

Du

Du fang que vous pleurez n'ait vû rougir fa main,
Il nous fait voir à tous un déplaifir extrême,
Il foupire, il gémit; mais le voici lui-même,
Qui pourra mieux que moi vous montrer la douleur
Que lui donne du roi l'invincible malheur.

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SCENE IV.

CESAR, CORNELIE, CLEOPATRE,
ANTOINE, LEPIDE, ACHOREE,
CHARMION, PHILIPPE.

CE

CORNELIE.

Efar, tiens-moi parole, & me rens mes galéres,
Achillas & Photin ont reçû leurs falaires,
Leur roi n'a pû jouir de ton cœur adouci;
Et Pompée eft vengé ce qu'il peut l'être ici,
Je n'y faurois plus voir qu'un funeste rivage
Qui de leur attentat m'offre l'horrible image,
Ta nouvelle victoire, & le bruit éclatant
Qu'au changement de roi pouffe un peuple inconftant;
Et parmi ces objets ce qui le plus m'afflige,
C'est d'y revoir toujours l'ennemi qui m'oblige.
Laiffe moi m'affranchir de cette indignité;
Et fouffre que ma haine agiffe en liberté.
A cet empreffement j'ajoûte une requête.
Voi l'urne de Pompée, il y manque fa tête,
Ne me la retiens plus, c'eft l'unique faveur
Dont je te puis encor prier avec honneur.
CESAR.

Il eft jufte, & Céfar eft tout prêt de vous rendre
Ce refte où vous avez tant de droit de prétendre ;
Mais il eft jufte auffi qu'après tant de fanglots
A fes mânes errans nous rendions le repos,
Qu'un bucher allumé par ma main & la vôtre
Le venge pleinement de la honte de l'autre,

Ff2

Que

Que fon ombre s'apaise en voyant notre ennui ;
Et qu'une urne plus digne & de vous, & de lui,
Après la flamme éteinte & les pompes finies,
Renferme avec éclat fes cendres réunies.
De cette même main dont il fut combattu
Il verra des autels dreffés à fa vertu,
Il recevra des vœux, de l'encens, des victimes,
Sans recevoir par-là d'honneurs que légitimes.
Pour ces juftes devoirs je ne veux que demain,
Ne me refufez pas ce bonheur fouverain,
Faites un peu de force à votre impatience,
Vous êtes libre après, partez en diligence,
Portez à notre Rome un fi digne tréfor,
Portez...

CORNELIE.

Non pas Céfar, non pas à Rome encor. Il faut que ta défaite & que tes funérailles A cette cendre aimée en ouvrent les murailles ; Et, quoiqu'elle la tienne auffi chere que moi, Elle n'y doit rentrer qu'en triomphant de toi. Je la porte en Afrique, & c'eft-là que j'espére Que les fils de Pompée, & Caton, & mon pere, Secondés par l'effort d'un roi plus généreux, Ainfi que la juftice auront le fort pour eux. C'eft-là que tu verras fur la terre & fur l'onde Le débris de Pharfale armer un autre monde ; Et c'eft-là que j'irai pour hâter tes malheurs, Porter de rang en rang ces cendres & mes pleurs. Je veux que de ma haine ils reçoivent des régles, Qu'ils fuivent au combat des urnes au lieu d'aigles; Et que ce trifte objet porte en leur fouvenir Les foins de le venger, & ceux de te punir. Tu veux à ce héros rendre un devoir fuprême, L'honneur que tu lui rens réjaillit fur toi-même ; Tu m'en veux pour témoin, j'obéïs au vainqueur, Mais ne préfume pas toucher pa-là mon cœur. La perte que j'ai faite eft trop irréparable. La fource de ma haine eft trop inépuisable,

A

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