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A mes vœux innocens font autant d'ennemis.
Ils allument contre eux une implacable haine,
Ils me font méprifable alors qu'ils me font reine,
Et fi Rome eft encor telle qu'auparavant,
Le trône où je me fiéds m'abaiffe en m'élevant;
Et ces marques d'honneur, comme titres infames,
Me rendent à jamais indigne de vos flammes.

J'ofe encor toutefois, voyant votre pouvoir,
Permettre à mes défirs un généreux espoir.
Après tant de combats, je fai qu'un fi grand homme
A droit de triompher des caprices de Rome,
Et que l'injufte horreur qu'elle eut toujours des rois
Peut céder par votre ordre à de plus justes loix.
Je fai que vous pouvez forcer d'autres obftacles,
Vous me l'avez promis, & j'attens ces miracles;
Votre bras dans Pharfale a fait de plus grands coups;
Et je ne les demande à d'autres dieux qu'à vous.

CESAR.

Tout miracle eft facile où mon amour s'applique,
Je n'ai plus qu'à courir les côtes de l'Afrique,
Qu'à montrer mes drapeaux au refte épouvanté
Du parti malheureux qui m'a perfécuté.
Rome n'ayant plus lors d'ennemis à me faire,
Par impuiffance enfin prendra foin de me plaire;
Et vos yeux la verront par un fuperbe accueil
Immoler à vos piéds fa haine, & fon orgueil.
Encore une défaite, & dans Alexandrie

Je veux que cette ingrate en ma faveur vous prie;
Et qu'un jufte refpect conduifant fes regards,
A votre chaste amour demande des Céiars.
C'est l'unique bonheur où mes défirs prétendent,
C'est le fruit que j'attens des lauriers qui m'attendent,
Heureux, fi mon deftin encore un peu plus doux
Me les faifoit cueillir fans m'éloigner de vous.
Mais, las! Contre mon feu mon feu me follicite,
Si je veux être à vous, il faut que je vous quitte;
En quelques lieux qu'on fuie, il me faut y courir,
Pour achever de vaincre, & de vous conquérir.
Permettez cependant qu'à ces douces amorces

Je

Je prenne un nouveau cœur, & de nouvelles forces, Pour faire dire encore aux peuples pleins d'effroi, Que venir, voir, & vaincre, eft même chose en moi. CLEOPATRE.

C'est trop, c'est trop, Seigneur, fouffrez que j'en abuse
Votre amour fait ma faute, il fera mon excufe.

Vous me rendez le fcéptre, & peut être le jour :
Mais fi j'ofe abufer de cet excès d'amour,
Je vous conjure encor par fes plus puiflans charmes,
Par ce jufte bonheur qui fuit toujours vos armes,
Par tout ce que j'efpére, & que vous attendez,
De n'enfanglanter pas ce que vous me rendez.
Faites grace, Seigneur, ou fouffrez que j'en faffe;
Et montre à tous par-là que j'ai repris ma place :
Achillas & Photin font gens à dédaigner,
Ils font affez punis en me voyant régner,
Et leur crime...

CESAR.

Ah! Prenez d'autres marques de reine,
Deffus mes volontés vous étes fouveraine,
Mais fi mes fentimens peuvent être écoutés,
Choififfez des fujets dignes de vos bontés,
Ne vous donnez fur moi qu'un pouvoir légitime,
Et ne me rendez point complice de leur crime.
C'eft beaucoup que pour vous j'ofe épargner le roi,
Et fi mes feux n'étoient . . .

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SCENE IV.

CESAR, CORNELIE, CLEOPATRE, ACHOREE, ANTOINE, LEPIDE, CHARMION, Romains.

CORNELIE.

CEfar, prens garde à toi.

Ta mort eft réfolue, on la jure, on l'apprête,

E e 2

A

A celle de Pompée on veut joindre ta tête;
Prens-y garde, Céfar, ou ton fang répandu
Bien-tôt parmi le fien fe verra confondu.
Mes efclaves en font, apprend de leurs indices,
L'auteur de l'attentat, & l'ordre, & les complices;
Je te les abandonne.

CESAR.

O cœur vraiment romain,
Et digne du héros qui vous donna la main !
Ses mânes, qui du ciel ont vû de quel courage
Je préparois la mienne à venger fon outrage,
Mettant leur haine bas, me fauvent aujourd'hui
Par la moitié qu'en terre il nous laiffe de lui.
Il vit, il vit encore en l'objet de fa flamme,
Il parle par fa bouche, il agit dans fon ame,
Il la poufle, & l'oppofe à cette indignité,
Pour me vaincre par elle en générofité.

CORNELIE.

Tu te flattes, Céfar, de mettre en ta croyance
Que la haine ait fait place à la reconnoiffance;
Ne le préfume plus, le fang de mon époux
A rompu pour jamais tout commerce entre nous.
J'attens la liberté qu'ici tu m'as offerte,
Afin de l'employer toute entiére à ta perte;
Et je te chercherai par tout des ennemis,
Si tu m'ofes tenir ce que tu m'as promis.
Mais avec cette foif que j'ai de ta ruine,
Je me jette au-devant du coup qui t'affaffine,
Et forme des défirs avec trop de raison,
Pour en aimer l'effet par une trahison.
Qui la fait, & la fouffre a part à l'infamie,
Si je veux ton trépas, c'eft en jufte ennemie ;
Mon époux a des fils, il aura des neveux,
Quand ils te combattront, c'est-là que je le veux;
Et qu'une digne main par moi-même animée,
Dans ton champ de bataille, aux yeux de ton armée,
T'immole noblement & par un digne effort
Aux mânes du héros dont tu venges la mort.

Tous

Tous mes foins, tous mes vœux hâtent cette ven

geance,

Ta perte la recule, & ton falut l'avance;

Quelque efpoir qui d'ailleurs me l'ofe, ou puiffe offrir,
Ma jufte impatience auroit trop à fouffrir.

La vengeance éloignée eft à demi perdue ;
Et, quand il faut l'attendre, elle eft trop cher vendue.
Je n'irai point chercher fur les bords Afriquains
Le foudre fouhaité que je vois en tes mains,
La tête qu'il menace en doit être frappée.
J'ai pû donner la tienne au lieu d'elle à Pompée,
Ma haine avoit le choix, mais cette haine enfin
Sépare fon vainqueur d'avec fon assassin ;
Et ne croit avoir droit de punir ta victoire,
Qu'après le châtiment d'une action fi noire.
Rome le veut ainsi, son adorable front
Auroit de quoi rougir d'un trop honteux affront,
De voir en même jour après tant de conquêtes
Sous un indigne fer fes deux plus nobles têtes.
Son grand cœur qu'à tes loix en vain tu crois foumis
En veut aux criminels plus qu'à fes ennemis ;
Et tiendroit à malheur le bien de fe voir libre,
Si l'attentat du Nil affranchiffoit le Tybre.
Comme autre qu'un Romain n'a pû l'assujettir,
Autre auffi qu'un Romain ne l'en doit garantir.
Tu tomberois ici fans être fa victime,

Au lieu d'un châtiment ta mort feroit un crime;
Et fans que tes pareils en conçûffent d'effroi,
L'exemple que tu dois périroit avec toi.
Venge-la de l'Egypte à fon appui fatale;
Et je la vengerai, fi je puis, de Pharfale.

Va, ne perds point de tems, il preffe. Adieu. Tu

peux

Te vanter qu'une fois j'ai fait pour toi des vœux.

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SCENE V.

CESAR, CLEOPATRE, ANTOINE,

SOR

LEPIDE, ACHOREE,

CHARMION.

CESAR.

On courage m'étonne autant que leur audace,
Reine, voyez pour qui vous me demandiez grace.
CLEOPATRE.

Je n'ai rien à vous dire, allez, Seigneur, allez
Venger fur ces méchans tant de droits violés.

On m'en veut plus qu'à vous, c'est ma mort qu'ils refpirent,

C'eft contre mon pouvoir que les traîtres conspirent,
Leur rage pour l'abattre attaque mon foutien,
Et par votre trépas cherche un paffage au mien.
Mais, parmi ces tranfports d'une jufte colére,
Je ne puis oublier que leur chef eft mon frere,
Le faurez-vous, Seigneur, & pourrai-je obtenir
Que ce cœur irrité daigne s'en fouvenir ?

CESAR.

Oui, je me fouviendrai que ce cœur magnanime
Au bonheur de fon fang veut pardonner fon crime.
Adieu. Ne craignez rien, Achillas, & Photin
Ne font pas gens à vaincre un fi puissant destin.
Pour les mettre en déroute, eux & tous leurs com-
plices,

Je n'ai qu'à déployer l'appareil des fupplices,

Et

pour foldats choifis envoyer des bourreaux,

Qui portent hautement mes haches pour drapeaux.

[Céfar rentre avec les Romains. ]

CLEO.

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