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Au vainqueur, non à moi, vous faites tout l'honneur,
Si Céfar en jouit, ce n'est que par bonheur.
Amitié dangereufe, & redoutable zèle,

Que régle la fortune, & qui tourne avec elle !
Mais parlez, c'eft trop être interdit & confus.
PTOLOME E.

Je le fuis, il eft vrai, fi jamais je le fus,
Et vous-même avouerez que j'ai fujet de l'être.
Etant né fouverain, je vois ici mon maître,
Ici, dis je, où ma cour tremble en me regardant,
Où je n'ai point encore agi qu'en commandant,
Je vois une autre cour fous une autre puiffance;
Et ne puis plus agir qu'avec obéïffance.
De votre feul afpect je me fuis vû furpris,
Jugez fi vos difcours raffurent mes efprits,
Jugez par quels moyens je puis fortir d'un trouble
Que forme le refpect, que la crainte redouble;
Et ce que vous peut dire un prince épouvanté
De voir tant de colere, & tant de majesté.
Dans ces étonnemens dont mon ame eft frappée
De rencontrer en vous le vengeur de Pompée,
Il me fouvient pourtant que s'il fut notre appui,
Nous vous dûmes dès-lors autant & plus qu'à lui.
Votre faveur pour nous éclata la premiére,
Tout ce qu'il fit après fut à votre prière:
Il émût le fénat pour des rois outrages,
Que fans cette priére il auroit négligés.
Mais de ce grand fénat les faintes ordonnances
Euffent peu fait pour nous, Seigneur, fans vos finances,
Par-là de nos mutins le feu roi vint à bout;
Et, pour en bien parler, nous vous devons le tout.
Nous avons honoré votre ami, votre gendre,
Jufqu'à ce qu'à vous même il ait ofé fe prendre ;
Mais voyant fon pouvoir de vos fuccès jaloux
Paffer en tyrannie, & s'armer contre vous

CESAR.

Tout beau, que votre haine en fon fang affouvie
N'aille point à fa gloire, il fuffit de fa vie.

N'avancez

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N'avancez rien ici que Rome ofe nier;
Et juftifiez vous fans le calomnier.

PTOLOME E.

Je laiffe donc aux dieux à juger fes pensées,
Et dirai feulement qu'en vos guerres paffées,
Où vous fûtes forcé par tant d'indignités,
Tous nos vœux ont été pour vos profpérités :
Que comme il vous traitoit en mortel adversaire,
J'ai crû fa mort pour vous un malheur néceffaire,
Et que fa haine injufte augmentant tous les jours,
Jufque dans les enfers chercheroit du fecours,
Ou qu'enfin, s'il tomboit deffous votre puiffance,
Il nous falloit pour vous craindre votre clémence ;
Et que le fentiment d'un cœur trop généreux,
Ufant mal de vos droits vous rendît maheureux.
J'ai donc confidéré qu'en ce péril extrême

Nous vous devions, Seigneur, fervir malgré vous-même; !
Et fans attendre d'ordre en cette occafion,
Mon zèle ardent l'a prise à ma confusion.
Vous m'en défavouez, vous l'imputez à crime;
Mais pour fervir Céfar rien n'eft illégitime,
J'en ai fouillé mes mains pour vous en préserver,
Vous pouvez en jouir, & le défaprouver,
Et plus j'ai fait pour vous, plus l'action est noire,
Puifque c'eft d'autant plus vous immoler ma gloire;
Et que ce facrifice offert par mon devoir
Vous affure la vôtre avec votre pouvoir.

CESAR.

Vous cherchez, Ptolomée, avecque trop de rufes
De mauvaises couleurs, & de froides excufes.
Votre zèle étoit faux, fi feul il redoutoit
Ce que le monde entier à pleins vœux fouhaitoit,
Et s'il vous a donné ces craintes trop fubtiles,
Qui m'ôtent tout le fruit de nos guerres civiles,
Où l'honneur. feul m'engage, & que pour terminer,
Je ne veux que celui de vaincre, & pardonner;
Où mes plus dangereux & plus grands adversaires,
Si-tôt qu'ils font vaincus, ne font plus que mes freres ;

Et

Et mon ambition ne va qu'à les forcer,
Ayant domté leur haine, à vivre, & m'embraffer.
O combien d'allégreffe une fi triste guerre
Auroit-elle laiffé deffus toute la terre,

Si Rome avoit pû voir marcher en même char,
Vainqueurs de leur difcorde, & Pompée, & Céfar!
Voilà ces grands malheurs que craignoit votre zèle.
O crainte ridicule autant que criminelle !

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Vous craigniez ma clémence! Ah! N'ayez plus ce foin,
Souhaitez-la plûtôt, vous en avez besoin.

Si je n'avois égard qu'aux loix de la justice,
Je m'apaiferois Rome avec votre fupplice,
Sans que vos refpects, ni votre repentir,
Ni votre dignité vous puffent garantir,
Votre trône lui-même en feroit le théatre:
Mais, voulant épargner le fang de Cléopatre,
J'impute à vos flatteurs toute la trahison,

Et je veux voir comment vous m'en ferez raison
Suivant les fentimens dont vous ferez capable
Je faurai vous tenir innocent ou coupable.
Cependant à Pompée élevez des autels,

Rendez-lui les honneurs qu'on rend aux immortels,
Par un prompt facrifice expiez tous vos crimes;
Et, fur tout, pensez bien au choix de vos victimes.
Allez-y donner ordre ; & me laissez ici
Entretenir les miens fur quelqu'autre fouci.

2

SCENE III.

CESAR, ANTOINE, LEPIDE.

ANtoine,

CESAR.

Ntoine, avez-vous vû cette reine adorable?

ANTOINE.

Oui, Seigneur, Je l'ai vûe, elle eft incomparable,
Le ciel n'a point encor par de fi doux accords

D d

Uni

Uni tant de vertus aux graces d'un beau corps,
Une majesté douce épand fur fon visage
De quoi s'affujettir le plus noble courage,
Ses yeux favent ravir, fon difcours fait charmer;
Et, fi j'étois Céfar, je la voudrois aimer.
CESAR.

Comme a-t-elle reçû les offres de ma flamme ?
ANTOINE.

Comme n'ofant la croire, & la croyant dans l'ame ;
Par un refus modefte, & fait pour inviter,
Elle s'en dit indigne, & croit la mériter.

CESAR.

En pourrai-je être aimé ?

ΑΝΤΟΙΝ Ε.

Douter qu'elle vous aime,
Elle qui de vous feul attend fon diadême,
Qui n'efpére qu'en vous ! Douter de fes ardeurs,
Vous qui pouvez la mettre au faîte des grandeurs !
Que votre amour fans crainte à fon amour prétende,
Au vainqueur de Pompée il faut que tout fe rende;
Et vous l'éprouverez. Elle craint toutefois
L'ordinaire mépris que Rome fait des rois,
Et, fur tout, elle craint l'amour de Calphurnie;
Mais l'une & l'autre crainte à votre aspect bannie,
Vous ferez fuccéder un espoir affez doux,
Lorsque vous daignerez lui dire un mot pour vous.
CESAR.

Allons donc l'affranchir de ces frivoles craintes,
Lui montrer de mon cœur les fenfibles atteintes,
Allons, ne tardons plus.

ANTOINE.

Avant que de la voir Sachez que Cornelie eft en votre pouvoir, Septime vous l'améne orgueilleux de fon crime; Et penfe auprès de vous se mettre en haute eftime. Dès qu'ils ont abordé, vos chefs par vous inftruits, Sans leur rien témoigner les ont ici conduits.

CESAR.

CESAR.

Qu'elle entre. Ah, l'importune & fâcheufe nouvelle ! Qu'à mon impatience elle femble cruelle ! Ociel ! Et ne pourrai-je enfin à mon amour Donner en liberté ce qui refte du jour ?

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Allez, Septime, allez vers votre maître,

Céfar ne peut fouffrir la présence d'un traître,
D'un Romain lâche affez pour fervir fous un roi,
Après avoir fervi fous Pompée, & fous moi.

SCENE

V.

CORNELIE, CESAR, ANTOINE, LEPIDE.

CORNELIE.

Efar, car le deftin que dans tes fers je brave,

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Me fait ta prifonniére, & non pas ton efclave; Et tu ne prêtens pas qu'il m'abatte le cœur, Jufqu'à te rendre hommage, & te nommer feigneur.. De quelque rude trait qu'il m'ose avoir frappée, Veuve du jeune Craffe, & veuve de Pompée,

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