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Placer depuis dix ans le trône de Castille,
Pour les voir de plus près, & d'un ordre plus prompt
Renverfer auffi-tôt ce qu'ils entreprendront.
D. ARIA S.

Ils favent aux dépens de leurs plus dignes têtes,
Combien votre présence affure vos conquêtes;
Vous n'avez rien à craindre.

D. FERNAND.

Et rien à négliger;

Le trop de confiance attire le danger,

Et vous n'ignorez pas qu'avec fort peu de peine
Un flux de pleine mer jufqu'ici les améne.
Toutefois, j'aurois tort de jetter dans les cœurs,
L'avis étant mal fûr, de paniques terreurs.
L'éffroi que produiroit cette alarme inutile,
Dans la nuit qui furvient troubleroit trop la ville.
Faites doubler la garde aux murs & fur le port,
C'eft affez pour ce foir.

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D. FERN AN D, D. SANCHE, D. ARIAS, D. ALONSE.

D. ALONSE

Sire,

Ire, le comte eft mort.

D. Diégue par fon fils a vengé fon offense.
D. FERNAND.

Dès que j'ai fû l'affront, j'ai prévû la vengeance;
Et j'ai voulu dès-lors prévenir ce malheur.
D. A LONS E.

Chiméne à vos genoux apporte fa douleur,
Elle vient toute en pleurs, vous demander justice.
D. FERNAND.

Bien qu'à fes déplaifirs mon ame compatiffe,
que le comte a fait, femble avoir mérité

Ce

Ce

Ce digne châtiment de fa témérité.

Quelque jufte pourtant que puiffe être sa peine,
Je ne puis fans regret perdre un tel capitaine.
Après un long fervice à mon état rendu,
Après fon fang pour moi mille fois répandu,
A quelques fentimens que fon orgueil m'oblige,
Sa perte m'affoiblit, & fon trépas m'afflige.

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D. FERNAND, D. DIEGUE, CHIMENE, D. SANCHE, D. ARIAS, D. ALONSE.

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CHIMENE,

D'un jeune audacieux puniffez l'insolence;
Il a de votre fceptre abattu le foutien,

Il a tué mon pere.

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Au fang de fes fujets un roi doit la justice.

D. DIE GUE.

Pour la jufte vengeance il n'eft point de fupplice..

D. FERNAND.

Levez-vous l'un & l'autre, & parlez à loifir.
Chiméne, je prens part à votre déplaifir,
D'une égale douleur je fens mon ame atteinte.
[A D. Diégue.]

Vous parlerez après, ne troublez pas fa plainte.
CHIMENE.

Sire, mon pere eft mort, mes yeux ont vu fon fang
Couler à gros bouillons de fon généreux flanc,
Ce fang qui tant de fois garantit vos murailles,
Ce fang qui tant de fois vous gagna des batailles,
Ce fang qui, tout forti, fume encor de courroux
De fe voir répandu pour d'autres que pour vous,
Qu'au milieu des hazards n'ofoit verfer la guerre,
Rodrigue en votre cour vient d'en couvrir la terre.
J'ai couru fur le lieu fans force & fans couleur,
Je l'ai trouvé fans vie. Excufez ma douleur,
Sire, la voix me manque à ce récit funeste,
Mes pleurs & mes foupirs vous diront mieux le reste.
D. FERNAND.

Prens courage, ma fille, & fache qu'aujourd'hui
Ton roi te veut fervir de pere au lieu de lui.

CHIMENE.

Sire, de trop d'honneur ma mifére est suivie.
Je vous l'ai déja dit, je l'ai trouvé fans vie,
Son flanc étoit ouvert, &, pour mieux m'émouvoir,
Son fang fur la pouffiére écrivoit mon devoir,
Ou plûtôt fa valeur en cet état réduite

Me parloit par fa plaie, & hâtoit ma poursuite;
Et pour fe faire entendre au plus jufte des rois,
Par cette trifte bouche elle empruntoit ma voix.
Sire, ne fouffrez pas que fous votre puissance
Régne devant vos yeux une telle licence,
Que les plus valeureux, avec impunité,
Soient exposés aux coups de la témérité,
Qu'un jeune audacieux triomphe de leur gloire,
Se baigne dans leur fang, & brave leur mémoire.
Un fi vaillant guerrier qu'on vient de vous ravir
Eteint, s'il n'eft vengé, l'ardeur de vous fervir.

Enfin, mon pere eft mort, j'en demande vengeance,
Plus pour votre intérêt, que pour mon allégeance.
Vous perdez en la mort d'un homme de fon rang,
Vengez-la par une autre, & le fang par le fang.
Immolez, non à moi, mais à votre couronne,
Mais à votre grandeur, mais à votre perfonne,
Immolez, dis-je, Sire, au bien de tout l'état,
Tout ce qu'enorgueillit un fi haut attentat.

D.

FERNAND.

Don Diégue, répondez.

D. DIE GUE.

Qu'on eft digne d'envie

Lorsqu'en perdant la force on perd auffi la vie ;
Et qu'un long âge apprête aux hommes généreux
Au bout de leur carrière un deftin malheureux !
Moi, dont les longs travaux ont acquis tant de gloire,
Moi, que jadis par tout a fuivi la victoire,

Je me vois aujourd'hui, pour avoir trop vêcu,
Recevoir un affront, & demeurer vaincu.

Ce que n'a pû jamais combat, fiége, embuscade,
Ce que n'a pû jamais Arragon, ni Grenade,
Ni tous vos ennemis, ni tous mes envieux,
Le comte en votre cour l'a fait presqu'à vos yeux,
Jaloux de votre choix, & fier de l'avantage
Que lui donnoit fur moi l'impuiffance de l'âge.

Sire, ainfi ces cheveux blanchis fous le harnois,
Ce fang pour vous fervir prodigué tant de fois,
Ce bras, jadis l'éffroi d'une armée ennemie,
Descendoient au tombeau tous chargés d'infamie,
Si je n'euffe produit un fils digne de moi,
Digne de fon pays, & digne de fon roi.
Il m'a prêté fa main, il a tué le comte,
Il m'a rendu l'honneur, il a lavé ma honte.
Si montrer du courage & du reffentiment,
Si venger un fouflet mérite un châtiment,
Sur moi feul doit tomber l'éclat de la tempête :
Quand le bras a failli l'on en punit la tête.

Qu'on nomme crime, ou non, ce qui fait nos débats,
Sire, j'en fuis la tête, il n'en eft que le bras;

Si

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Si Chiméne fe plaint qu'il a tué fon pere,
Il ne l'eût jamais fait, fi je l'euffe pû faire.
Immolez donc ce chef que les ans vont ravir,
Et confervez pour vous le bras qui peut fervir.
Aux dépens de mon fang fatisfaites Chiméne,
Je n'y réfifte point, je confens à ma peine;
Et, loin de murmurer d'un rigoureux décret,
Mourant fans defhonneur, je mourrai fans regret.
D. FERNAND.

L'affaire eft d'importance, & bien confidérée
Mérite en plein confeil d'être délibérée.

D. Sanche, remettez Chiméne en fa maison, Don Diégue aura ma cour, & fa foi pour prifon, [A D. Arias.]

Qu'on me cherche fon fils. Je vous ferai justice.
CHIMENE.

Il eft jufte, grand Roi, qu'un meurtrier périffe.
D. FERNAND.
Prens du repos, ma fille, & calme tes douleurs.
CHIMENE.

M'ordonner du repos, c'eft croître mes malheurs.

Fin du fecond acte.

ACTE III.

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