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Sauroit mal fon métier, s'il laiffoit prendre haleine;
Et s'il donnoit loifir à des cœurs fi hardis
De relever du coup dont ils font étourdis.
S'il les vainc, s'il parvient où fon défir afpire,
Il faut qu'il aille à Rome établir fon empire,
Jouir de fa fortune, & de fon attentat,
Et changer à fon gré la forme de l'état :
Jugez durant ce tems ce que vous pourrez faire.
Seigneur, voyez Céfar, forcez-vous à lui plaire,
En lui déférant tout, veuillez vous fouvenir
Que les événemens régleront l'avenir.

Remettez en fes mains, trône, fcéptre, couronne ;
Et, fans en murmurer, fouffrez qu'il en ordonne.
Il en croira fans doute ordonner justement
En fuivant du feu roi l'ordre & le teftament;
L'importance d'ailleurs de ce dernier fervice
Ne permet pas d'en craindre une entiére injustice:
Quoiqu'il en faffe enfin, feignez d'y confentir,
Louez fon jugement, & laiffez-le partir.

Après, quand nous verrons le tems propre aux ven

geances,

Nous aurons, & la force, & les intelligences :
Jufques-là réprimez ces tranfports violens
Qu'excitent d'une fœur les mépris infolens;
Les bravades enfin font des difcours frivoles,
Et qui fonge aux effets néglige les paroles.
PTOLOME E.

Ah! Tu me rens la vie, & le fcéptre à la fois ;
Un fage confeiller eft le bonheur des rois.

Cher appui de mon trône, allons, fans plus attendre,
Offrir tout à Céfar, afin de tout reprendre,
Avec toute ma flotte allons le recevoir,
Et par ces vains honneurs féduire fon pouvoir.

Fin du fecond acte.

ACTE

ACTE III.

SCENE PREMIERE:
CHARMION, ACHORE E.

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CHARMION.

Ui, tandis que le roi va lui-même en perfonne
Jufqu'aux pieds de Célar profterner sa couronne,
Cléopatre s'enferme en fon apartement ;

Et, fans s'en émouvoir, attend fon compliment.
Comment nommerez-vous une humeur fi hautaine ?
A CHORE E.

Un orgueil noble & jufte, & digne d'une reine,
Qui soutient avec cœur & magnanimité
L'honneur de fa naiffance & de fa dignité.
Lui pourrai-je parler ?

CHARMION.

Non, mais elle m'envoie

Savoir à cet abord ce qu'on a vû de joie,
Ce qu'à ce beau préfent Céfar a témoigné,
S'il a paru content, ou s'il l'a dédaigné,
S'il traite avec douceur, s'il traite avec empire,
Ce qu'à nos affaffins enfin il a pû dire.
A CHORE E.

La tête de Pompée a produit des effets
Dont ils n'ont pas fujet d'être fort fatisfaits.
Je ne fai fi Céfar prendroit plaifir à feindre,
Mais pour eux jufqu'ici je trouve lieu de craindre
S'ils aimoient Ptolomée, ils l'ont fort mal servi.
Vous l'avez vû partir, & moi je l'ai fuivi.
Ses vaiffeaux en bon ordre ont éloigné la ville,
Et pour joindre Céfar n'ont avancé qu'un mille.
Il venoit, pleine voile, & fi dans les hazards
Il éprouva toujours pleine faveur de Mars,
Sa flotte qu'à l'envi favorifoit Neptune

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Avoit le vent en poupe ainfi que fa fortune.
Dès le premier abord notre prince étonné
Ne s'eft plus fouvenu de fon front couronné,
Sa frayeur a paru fous fa fauffe allégreffe,
Toutes les actions ont fenti la baffeffe,
J'en ai rougi moi-même, & me fuis plaint à moi
De voir là Ptolomée, & n'y voir point de roi ;
Et Céfar qui lifoit fa peur fur fon visage
Le flattoit par pitié pour lui donner courage.
Lui d'une voix tombante offrant ce don fatal,
Seigneur, vous n'avez plus, lui dit-il, de rival;
Ce que n'ont pû les dieux dans votre Theffalie,
Je vais mettre en vos mains Pompée, & Cornelie,
En voici déja l'un, & pour l'autre, elle fuit,
Mais avec fix vaiffeaux un des miens la pourfuit.

A ces mots Achillas découvre cette tête,
Il femble qu'à parler encore elle s'apprête,
Qu'à ce nouvel affront un refte de chaleur
En fanglots mal formés éxhale fa douleur.
Sa bouche encore ouverte & fa vûe égarée
Rappellent fa grande ame à peine féparée ;
Et fon courroux mourant fait un dernier effort
Pour reprocher aux dieux fa défaite & fa mort.
Céfar à cet afpect, comme frappé du foudre,
Et comme ne fachant que croire, ou que réfoudre,
Immobile, & les yeux fur l'objet attachés,
Nous tient affez long-tems ses sentimens cachés ;
Et je dirai, fi j'ofe en faire conjecture,
Que par un mouvement commun à la nature,
Quelque maligne joie en fon cœur s'élevoit,
Dont fa gloire indignée à peine le fauvoit.
L'aife de voir la terre à fon pouvoir foumise
Chatouilloit malgré lui fon ame avec surprise ;
Et de cette douceur fon efprit combattu
Avec un peu d'effort raffuroit sa vertu.
S'il aime fa grandeur, il hait la perfidie,
Il fe juge en autrui, fe tâte, s'étudie,
Examine en fecret fa joie, & fes douleurs,
Les balance, choifit, laiffe couler des pleurs ;

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Et forçant fa vertu d'être encor la maitresse,
Se montre généreux par un trait de foibleffe.
Enfuite il fait ôter ce préfent de fes yeux,
Leve les mains enfemble & les regards aux cieux,
Lâche deux ou trois mots contre cette infolence,
Puis tout trifte & penfif il s'obftine au filence ;
Et même à fes Romains ne daigne repartir
Que d'un regard farouche, & d'un profond foupir.
Enfin ayant pris terre avec trente cohortes,
Il fe faifit du port, il fe faifit des portes,
Met des gardes par tout, & des ordres fecrets,
Fait voir fa défiance ainfi que fes regrets,
Parle d'Egypte en maître; & de fon adverfaire,
Non plus comme ennemi, mais comme fon beau-pere.
Voilà ce que j'ai vû.

CHARMION.

Voilà ce qu'attendoit, Ce qu'au jufte Ofiris la reine demandoit. Je vais bien la ravir avec cette nouvelle, Vous, continuez-lui ce service fidéle.

A CHORE E.

Qu'elle n'en doute point. Mais Céfar vient; allez,
Peignez-lui bien nos gens pâles & défolés ;
Et, moi, foit que l'iffue en foit douce, ou funefte,
J'irai l'entretenir quand j'aurai vû le reste.

SCENE II.

CESAR, PTOLOMEE, LEPIDE, PHOTIN, ACHORE E, foldats Romains, foldats Egyptiens..

SEcigneur

PTOLOME E.

Eeigneur, montez au trône, & commandez ici.

CESAR.

Connoiffez-vous Cefar de lui parler ainfi ?

Que

Que m'offriroit de pis la fortune ennemie,
A moi qui tiens le trône égal à l'infamie !
Cettes Rome à ce coup pourroit bien se vanter
D'avoir eu jufte lieu de me perfécuter,

Eile qui d'un même œil les donne, & les dédaigne, Qui ne voit rien aux rois qu'elle aime, ou qu'elle craigne ;

Et qui verfe en nos cœurs avec l'ame, & le fang,
Et la haine du nom, & le mépris du rang.

C'est ce que de Pompée il vous falloit apprendre,
S'il en eût aimé l'offre, il eût fû s'en défendre ;
Et le trône & le roi fe feroient ennoblis,

A foutenir la main qui les a rétablis.

Vous euffiez pû tomber, mais tout couvert de gloire,
Votre chûte eût valu la plus haute victoire ;
Et fi votre destin n'eût pû vous en fauver,
Céfar eût pris plaifir à vous en relever.
Vous n'avez pû former une fi noble envie ;
Mais quel droit aviez-vous fur cette illustre vie?
Que vous devoit fon fang pour y tremper vos mains,
Vous qui devez refpect au moindre des Romains.
Ai-je vaincu pour vous dans les champs de Pharfale?
Et par une victoire aux vaincus trop fatale,
Vous ai-je acquis fur eux, en ce dernier effort,
La puiffance abfolue, & de vie, & de mort ?
Moi, qui n'ai jamais pû la fouffrir à Pompée,
La fouffrirai-je en vous fur lui-même usurpée ;
Et que de mon bonheur vous ayez abusć,
Jufqu'à plus attenter que je n'aurois ofé?

De quel nom, après tout, pensez-vous que je nomme
Ce coup où vous tranchez du fouverain de Rome;
Et qui fur un feul chef lui fait bien plus d'affront,
Que fur tant de milliers ne fit le roi de Pont?
Penfez-vous que j'ignore, ou que je diffimule,
Que vous n'auriez pas eu pour moi plus de fcrupule ;
Et que, s'il m'eût vaincu, votre efprit complaifant
Lui faifoit de ma tête un semblable présent ?
Graces à ma victoire, on me rend des hommages,
Où ma fuite eût reçû toutes fortes d'outrages;

Au

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