Page images
PDF
EPUB

Cependant Achillas porte au roi fa conquête,
Tout le peuple tremblant en détourne la tête,
Un effroi général offre à l'un fous fes pas
Des abîmes ouverts pour venger ce trépas,
L'autre entend le tonnerre, & chacun se figure
Un défordre foudain de toute la nature,
Tant l'excès du forfait, troublant leurs jugemens,
Préfente à leur terreur l'excès des châtimens.

Philippe d'autre part, montrant fur le rivage.
Dans une ame fervile un généreux courage,
Examine d'un ceil & d'un foin curieux
Où les vagues rendront ce depôt précieux,

Pour lui rendre, s'il peut, ce qu'aux morts on doit rendre,

Dans quelque urne chétive en ramaffer la cendre,
Et d'un peu de pouffiére élever un tombeau

A celui qui du monde eut le fort le plus beau.
Mais comme vers l'Afrique on poursuit Cornélie,
On voit d'ailleurs Céfar venir de Theffalie,
Une flotte paroît qu'on a peine à compter

CLEOPATRE.

C'eft lui-même, Achorée, il n'en faut point douter.
Tremblez, tremblez, méchans, voici venir la foudre,
Cléopatre a dequoi vous mettre tous en poudre,
Céfar vient, elle eft reine, & Pompée eft vengé,
La tyrannie eft bas, & le fort a changé.
Admirons cependant le destin des grands hommes,
Plaignons-les, & par eux jugeons ce que nous fommes.
Ce Prince d'un fénat maître de l'univers,
Dont le bonheur fembloit au-deffus du revers,
Lui
que fa Rome a vû plus craint que le tonnerre,
Triompher en trois fois des trois parts de la terre;
Et qui voyoit encore en ces derniers hazards
L'un & l'autre conful fuivre fes étendards,
Si-tôt que d'un malheur fa fortune eft fuivie,
Les monftres de l'Egypte ordonnent de sa vie ;
On voit un Achillas, un Septime, un Photin,
Arbitres fouverains d'un fi noble deftin;
Un roi qui de ses mains a reçû la couronne,
Cc

A ces pestes de cour lâchement l'abandonne :
Ainfi finit Pompée, & peut-être qu'un jour
Céfar éprouvera même fort à fon tour.

Rendez l'augure faux, dieux, qui voyez mes larmes,
Et fecondez par tout, & mes vœux, & fes armes.
CHARMION.

Madame, le roi vient qui pourra vous ouir.

SCENE III.

PTOLOMEE, CLEOPATRE,

CHARMION.

PTOLOME E.

Avez-vous le bonheur dont nous allons jouir,
Ma fœur ?

SA

CLEOPATRE.

Oui, je le fai, le grand Céfar arrive, Sous les loix de Photin je ne fuis plus captive.

PTOLOME E.

Vous haïffez toujours ce fidéle fujet.

CLEOPATRE.

Non, mais en liberté je ris de fon projet.

PTOLOME E.

Quel projet faifoit-il dont vous pûffiez vous plaindre ?
CLEOPATRE.

J'en ai fouffert beaucoup; & j'avois plus à craindre.
Un fi grand politique eft capable de tout,
Et vous donnez les mains à tout ce qu'il réfout.

PTOLOME E.

Si je fuis fes confeils, j'en connois la prudence.

CLEOPATRE.

Si j'en crains les effets, j'en vois la violence.
PTOLOME E.

Pour le bien de l'état tout eft jufte en un roi.
CLEOPATRE.

Ce genre de juftice eft à craindre pour moi;

Après

Après ma part du fcéptre à ce titre ufurpée,
Il en coûte la vie, & la tête à Pompée.

PTOLOME E.

Jamais un coup d'état ne fut mieux entrepris,
Le voulant fecourir, Céfar nous eût furpris,
Vous voyez fa viteffe, & l'Egypte troublée,
Avant qu'être en défense, en feroit accablée.
Mais je puis maintenant à cet heureux vainqueur
Offrir en fûreté mon trône, & votre cœur.

CLEOPATRE.
Je ferai mes préfens, n'ayez foin que des vôtres ;
Et dans vos intérêts n'en confondez point d'autres.
PTOLOME E.

Les vôtres font les miens, étant de même fang,
CLEOPATRE.

Vous pouvez dire encore étant de même rang,
Etant rois l'un & l'autre ; & toutefois je pense
Que nos deux intérêts ont quelque différence.

PTOLOME E.

Oui, ma fœur, car l'état dont mon cœur eft content,
Sur quelques bords du Nil à grand peine s'étend ;
Mais Céfar à vox loix foumettant fon courage,
Vous va faire régner fur le Gange & le Tage.

CLEOPATRE.

J'ai de l'ambition, mais je la fai régler,
Elle peut m'éblouir, & non pas m'aveugler.
Ne parlons point ici du Tage, ni du Gange,
Je connois ma portée, & ne prens point le change.
PTOLOME E.
L'occafion vous rit, & vous en uferez.

CLEOPATRE.

Si je n'en use bien, vous m'en accuferez.

PTOLOME E.

J'en espére beaucoup, vû l'amour qui l'engage.
CLEOPATRE.

Vous la craignez peut-être encore davantage :
Mais quelque occafion qui me rie aujourd'hui,
N'ayez aucune peur, je ne veux rien d'autrui,
Cc 2

Je

Je ne garde pour vous ni haine, ni colere,
Et je fuis bonne fœur, fi vous n'étes bon frere.
PTOLOME E.

Vous montrez cependant un peu bien du mépris.
CLEOPATRE.

Le tems de chaque chofe ordonne & fait le prix.
PTOLOME E.

Votre façon d'agir le fait affez connoître.
CLEOPATRE.

Le grand Céfar arrive, & vous avez un maître.
PTOLOME E.

Il l'eft de tout le monde, & je l'ai fait le mien.
CLEOPATRE.

Allez lui rendre hommage, & j'attendrai le fien.
Allez, ce n'eft pas trop pour lui que de vous-même,
Je garderai pour vous l'honneur du diadême.
Photin vous vient aider à le bien recevoir,
Confultez avec lui quel eft votre devoir.

SCENE IV.

PTOLOME E, PHOTIN.

J'

PTOLOME E.

'Ai fuivi tes conseils, mais plus je l'ai flattée,
Et plus dans l'infolence elle s'eft emportée,
Si bien qu'enfin outré de tant d'indignités,
Je m'allois emporter dans les extrêmités ;
Mon bras dont fes mépris forçoient la retenue
N'eût plus confidéré Céfar, ni fa venue,
Et l'eût mise en état, malgré tout fon appui,
De s'en plaindre à Pompée auparavant qu'à lui.
L'arrogante! A l'ouir, elle eft déja ma reine ;
Et fi Céfar en croit fon orgueil & fa haine,
Si, comme elle s'en vante, elle eft fon cher objet,
De fon frere & fon roi je deviens fon fujet.
Non, non, prévenons-la, c'est foibleffe d'attendre

[ocr errors][merged small]

Le mal qu'on voit venir, fans vouloir s'en défendre,
Otons-lui les moyens de nous plus dédaigner,
Otons-lui les moyens de plaire, & de régner;
Et ne permettons pas qu'après tant de bravades
Mon fcéptre foit le prix d'une de fes œillades.
PHOTI N.

Seigneur, ne donnez point de prétexte à Céfar
Pour attacher l'Egypte aux pompes de fon char.
Ce cœur ambitieux qui, par toute la terre,
Ne cherche qu'à porter l'esclavage & la guerre,
Enflé de fa victoire, & des reffentimens
Qu'une perte pareille imprime aux vrais amans,
Quoique vous ne rendiez que justice à vous-même,
Prendroit l'occafion de venger ce qu'il aime,
Et pour s'affujettir, & vos états, & vous,
Imputeroit à crime un fi jufte courroux.
PTOLOME E.
Si Cléopatre vit, s'il la voit, elle eft reine.
PHOTI N.

Si Cléopatre meurt, votre perte est certaine.
PTOLOME E.

Je perdrai qui me perd, ne pouvant me fauver.
ΡΗΟΤΙΝ.

Pour la perdre avec joie il faut vous conserver.
PTOLOME E.

Quoi ? Pour voir fur fa tête éclater ma couronne ?
Scéptre, s'il faut enfin que ma main t'abandonne,
Paffe, paffe plûtôt en celle du vainqueur.

PHOTI N.

Vous l'arracherez mieux de celle d'une fœur.
Quelques feux que d'abord il lui faffe paroître,
Il partira bientôt, & vous ferez le maître.
L'amour à fes pareils ne donne point d'ardeur
Qui ne céde aisément aux foins de leur grandeur :
11 voit encor l'Afrique & l'Espagne occupées
Par Juba, Scipion, & les jeunes Pompées ;
Et le monde à fes loix n'eft point affujetti,
Tant qu'il verra durer ces reftes du parti.
Au fortir de Pharfale un fi grand capitaine
Cc. 3

Sauroit

« PreviousContinue »