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CLEOPATRE.

Je lui garde ma flamme exempte d'infamie,
Un cœur digne de lui.

CHARMION.

Vous poffedez le fien ?

CLEOPATRE.

Je crois le poffeder.

CHARMION.

Mais le favez-vous bien ?
CLEOPATRE.

Apprens qu'une princeffe, aimant fa renommée,
Quand elle dit qu'elle aime, eft fûre d'être aimée,
Et que les plus beaux feux dont fon cœur foit épris,
N'oferoient l'expofer aux hontes d'un mépris.

Notre féjour à Rome enflamma fon courage,
Là j'eus de fon amour le premier témoignage ;
Et depuis, jufqu'ici chaque jour fes courriers.
M'apportent en tribut fes vœux & fes lauriers.
Par tout, en Italie, aux Gaules, en Espagne,
La fortune le fuit, & l'amour l'accompagne ;
Son bras ne domte point de peuples, ni de lieux,
Dont il ne rende hommage au pouvoir de mes yeux;
Et de la même main dont il quitte l'épée,
Fumante encor du fang des amis de Pompée,
Il trace des foupirs, & d'un ftile plaintif
Dans fon champ de victoire il fe dit mon captif.
Oui, tout victorieux il m'écrit de Pharfale;
Et, fi fa diligence à fes feux est égale,
Ou plûtôt fi la mer ne s'oppose à ses feux,
L'Egypte le va voir me présenter ses vœux.
Il vient, ma Charmion, jufques dans nos murailles
Chercher auprès de moi le prix de fes batailles,
M'offrir toute fa gloire, & foumettre à mes loix
Ce cœur, & cette main qui commandent aux rois ;
Et ma rigueur mêlée aux faveurs de la guerre
Feroit un malheureux du maître de la terre.
CHARMION.

J'oferois bien jurer que vos charmans appas
Se vantent d'un pouvoir dont ils n'uferont pas,

Et

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Et que le grand Céfar n'a rien qui l'importune,
Si vos feules rigueurs ont droit fur fa fortune.
Mais quelle eft votre attente, & que prétendez-vous,
Puifque d'une autre femme il eft déja l'époux,
Et qu'avec Calphurnie un paisible hyménée
Par des liens facrés tient fon ame enchaînée ?
CLEOPATRE.

Le divorce aujourd'hui fi commun aux Romains
Peut rendre en ma faveur tous ces obftacles vains ;
Céfar en fait l'ufage & la cérémonie,

Un divorce chez lui fit place à Calphurnie.

CHARMION.

Par cette même voie il pourra vous quitter.
CLEOPATRE.

Peut-être mon bonheur faura mieux l'arrêter,
Peut-être mon amour aura quelque avantage,
Qui faura mieux que moi ménager fon courage.
Mais laiffons au hazard ce qui peut arriver,
Achevons cet hymen, s'il fe peut achever,
Ne durât-il qu'un jour, ma gloire eft fans feconde,
D'être du moins un jour la maitreffe du monde.
J'ai de l'ambition, & foit vice, ou vertu,
Mon cœur fous son fardeau veut bien être abattu,
J'en aime la chaleur, & la nomme fans ceffe
La feule paffion digne d'une princeffe.
Mais je veux que la gloire anime fes ardeurs,
Qu'elle méne fans honte au faîte des grandeurs;
Et je la défavoue, alors que fa manie
Nous préfente le trône avec ignominie.

Ne t'étonne donc plus, Charmion, de me voir
Défendre encor Pompée, & fuivre mon devoir.
Ne pouvant rien de plus pour fa vertu féduite,
Dans mon ame en fecret je l'exhorte à la fuite ;
Et voudrois qu'un orage écartant ses vaisseaux
Malgré lui l'enlevât aux mains de fes bourreaux.
Mais voici de retour le fidéle Achorée,
Par qui j'en apprendrai la nouvelle affurée.

SCENE

SCENE II.

CLEOPATRE, A CHORE E, CHARMION.

E

CLEOPATRE.

N eft-ce déja fait, & nos bords malheureux
Sont-ils déja fouillés d'un fang fi généreux ?
A CHORE E.

Madame, j'ai couru par votre ordre au rivage,
J'ai vû la trahison, j'ai vû toute fa rage,
Du plus grand des mortels j'ai vû trancher le fort,
J'ai vu dans fon malheur la gloire de sa mort;
Et, puifque vous voulez qu'ici je vous raconte
La gloire d'une mort qui nous couvre de honte,
Ecoutez, admirez, & plaignez fon trépas.

Ses trois vaiffeaux en rade avoient mis voiles bas,
Et, voyant dans le port préparer nos galéres,
Il croyoit que le roi touché de fes miféres,
Par un beau fentiment d'honneur & de devoir,
Avec toute fa cour le venoit recevoir.
Mais voyant que ce prince, ingrat à fes mérites,
N'envoyoit qu'un efquif rempli de fatellites,
Il foupçonne auffi-tôt fon manquement de foi,
Et fe laiffe furprendre à quelque peu d'effroi.
Enfin voyant nos bords & notre flotte en armes,
Il condamne en fon cœur ces indignes alarmes,
Et réduit tous les foins d'un fi pressant ennui
A ne hazarder pas Cornélie avec lui.
N'expofons, lui dit-il, que cette feule tête,
A la reception que l'Egypte m'apprête ;
Et, tandis que moi feul j'en courrai le danger,
Songe à prendre la fuite afin de me venger.
Le roi Juba nous garde une foi plus fincére,
Chez lui tu trouveras, & mes fils, & ton pere;
Mais quand tu les verrois defcendre chez Pluton,

Ne

Ne defefpère point du vivant de Caron.
Tandis que
leur amour en cet adieu conteste,
Achillas à fon bord joint fon efquif funefte,
Septime se présente, &, lui tendant la main,
Le falue empereur en langage Romain ;
Et, comme député de ce jeune monarque,
Paffez, Seigneur, dit-il, paffez dans cette barque,
Les fables & les bancs cachés deffous les eaux
Rendent l'accès mal fûr à de plus grands vaisseaux.
Ce héros voit la fourbe, & s'en moque dans l'ame,
Il reçoit les adieux des fiens, & de fa femme,
Leur défend de le fuivre, & s'avance au trépas
Avec le même front qu'il donnoit les états.
La même majefté fur fon visage empreinte,
Entre ces affaffins montre un efprit fans crainte,
Sa vertu toute entiére à la mort le conduit ;
Son affranchi Philippe eft le feul qui le fuit,
C'eft de lui que j'ai fû ce que je viens de dire,
Mes yeux ont vû le refte, & mon cœur en foupire ;
Et croit que Céfar même à de fi grands malheurs
Ne pourra refuser des foupirs, & des pleurs.

CLEOPATRE.

N'épargnez pas les miens, achevez, Achorée,
L'hiftoire d'une mort que j'ai déja pleurée.
A CHORE E.

On l'améne, & du port nous le voyons venir,
Sans que pas un d'entre eux daigne l'entretenir.
Ce mépris lui fait voir ce qu'il en doit attendre.
Si-tôt qu'on a pris terre, on l'invite à descendre,
11 fe leve, & foudain, pour fignal Achillas
Derriére ce héros tirant fon coutelas,

Septime & trois des fiens, lâches enfans de Rome,
Percent à coups preffés les flancs de ce grand homme;
Tandis qu'Achillas même, épouvanté d'horreur,
De ces quatre enragés admire la fureur.

CLEOPATRE.

Vous qui livrez la terre aux difcordes civiles,
Si vous vengez fa mort, dieux, épargnez nos villes,
N'imputez rien aux lieux, reconnoiffez les mains,

Le

Le crime de l'Egypte eft fait par des Romains.
Mais que fait & que dit ce généreux courage?
A CHORE E.

D'un des pans de fa robe il couvre son visage,
A fon mauvais destin en aveugle obéit ;
Et dédaigne de voir le ciel qui le trahit,
De peur que d'un coup d'œil contre une telle offense,
Il ne femble implorer fon aide ou fa vengeance.
Aucun gémiffement à fon cœur échappé

Ne le montre en mourant digne d'être frappé,
Immobile à leurs coups, en lui-même il rappelle
Ce qu'eut de beau fa vie, & ce qu'on dira d'elle ;
Et tient la trahifon que le roi leur prescrit
Trop au-deffous de lui pour y prêter l'efprit.
Sa vertu dans leur crime augmente ainfi fon luftre ;
Et fon dernier foupir eft un foupir illuftre,
Qui, de cette grande ame achevant les deftins,
Etale tout Pompée aux yeux des affaffins.
Sur les bords de l'efquif fa tête enfin panchée,
Par le traître Septime indignement tranchée,
Paffe au bout d'une lance en la main d'Achillas,
Ainfi qu'un grand trophée après de grands combats.
On defcend, & pour comble à fa noire avanture,
On donne à ce héros la mer pour fépulture;
Et le tronc fous les flots roule dorénavant,
Au gré de la fortune, & de l'onde, & du vent.
La trifte Cornélie, à cet affreux fpectacle,
Par de longs cris aigus tâche d'y mettre obstacle,
Défend ce cher époux de la voix & des yeux,
Puis, n'efpérant plus rien, leve les mains aux cieux ;
Et cédant tout à coup à la douleur plus forte,
Tombe dans fa galére évanouie, ou morte.
Les fiens en ce défastre, à force de ramer,
L'éloignent de la rive, & regagnent la mer;
Mais fa fuite eft mal fûre, & l'infame Septime
Qui fe voit dérober la moitié de fon crime,
Afin de l'achever prend fix vaiffeaux au port;
Et pourfuit fur les eaux Pompée après fa mort.

Cependant

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