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Il peut aller, s'il veut, deffus fon monument
Recevoir fes devoirs, & fon remerciment.

CLEOPATRE. ·

Après un tel bienfait, c'eft ainfi qu'on le traite !
PTOLOME E.

Je m'en fouviens, ma fœur, & je vois fa défaite.
CLEOPATRE.

Vous la voyez de vrai, mais d'un œil de mépris.
PTOLOME E.

Le tems de chaque chofe ordonne & fait le prix ;
Vous qui l'estimez tant, allez lui rendre hommage.
Mais fongez qu'au port même il peut faire naufrage.
CLEOPATRE.

Il peut faire naufrage, & même dans le port!
Quoi ? Vous auriez ofé lui préparer la mort ?
PTOLOME E.

J'ai fait ce que les dieux m'ont inspiré de faire ;
Et que pour mon état j'ai jugé néceffaire.

CLEOPATRE.

Je ne le voi que trop, Photin & fes pareils
Vous ont empoisonné de leurs lâches confeils;
Ces ames que le ciel ne forma que de boue ..
PHOTI N.

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Ce font de nos confeils, oui, Madame, & j'avoue...
CLEOPATRE.

Photin, je parle au roi, vous répondrez pour tous
Quand je m'abaifferai jufqu'à parler à vous.
PTOLOMEE à Photin.
Il faut un peu fouffrir de cette humeur hautaine,
Je fai votre innonence, & je connois fa haine
Après tout, c'eft ma fœur, oyez fans repartir.
CLEOPATRE.

Ah! S'il eft encor tems de vous en repentir,
Affranchissez-vous d'eux, & de leur tyrannie,
Rappellez la vertu par leurs confeils bannie,
Cette haute vertu, dont le ciel & le fang
Enflent toujours les cœurs de ceux de notre rang.
PTOLOME E.

Quoi! D'un frivole espoir déja préoccupée,

Bb 2

Vous

Vous me parlez en reine en parlant de Pompée;
Et d'un faux zèle ainfi votre orgueil revêtu
Fait agir l'intérêt fous le nom de vertu !
Confeffez-le, ma fœur, vous fauriez vous en taire,
N'étoit le teftament du feu roi notre pere,
Vous favez qu'il le garde.

CLEOPATRE.

Et vous faurez auffi

Que la feule vertu me fait parler ainfi ;
Et que fi l'intérêt m'avoit préoccupée,
J'agirois pour Céfar, & non pas pour Pompée.
Apprenez un fecret que je voulois cacher,
Et ceffez déformais de me rien reprocher.
Quand ce peuple infolent qu'enferme Aléxandrie
Fit quitter au feu roi fon trône & la patrie,
Et que jufque dans Rome il alla du fénat
Implorer la pitié contre un tel attentat,

Il nous mena tous deux pour toucher son courage,
Vous, affez jeune encor, moi, déja dans un âge,
Où ce peu de beauté que m'ont donné les cieux
D'un affez vif éclat faifoit briller mes yeux.
Céfar en fut épris, & du moins j'eus la gloire
De le voir hautement donner lieu de le croire ;
Mais voyant contre lui le fénat irrité,
Il fit agir Pompée, & fon autorité.
Ce dernier nous fervit à fa feule priére,
Qui de leur amitié fut la preuve derniére,
Vous en favez l'effet, & vous en jouiffez;
Mais pour un tel amant ce ne fut pas affez.
Après avoir pour nous employé ce grand homme,
Qui nous gagna foudain toutes les voix de Rome,
Son amour en voulut feconder les efforts;

Et nous ouvrant fon cœur, nous ouvrit fes trésors.
Nous eûmes de fes feux, encore en leur naissance,
Et les nerfs de la guerre, & ceux de la puiffance;
Et les mille talens qui lui font encor dûs,
Remirent en nos mains tous nos états perdus.
Le roi qui s'en fouvint à fon heure fatale,
Me laiffa, comme à vous, la dignité royale ;

Et

Et par fon teftament il vous fit cette loi,
Pour me rendre une part de ce qu'il tint de moi.
C'eft ainfi qu'ignorant d'où vint ce bon office,
Vous appellez faveur ce qui n'est que juftice;
Et l'ofez accufer d'une aveugle amitié,
Quand du tout qu'il me doit, il me rend la moitié.
PTOLOME E.

Certes, ma fœur, le conte eft fait avec adreffe.

CLEOPATRE.

Céfar viendra bien-tôt, & j'en ai lettre expreffe ;
Et peut-être aujourd'hui vos yeux feront témoins
De ce que votre efprit s'imagine le moins.
Ce n'eft pas fans fujet que je parlois en reine,
Je n'ai reçû de vous que mépris & que haine,
Et de ma part du fceptre indigne raviffeur,
Vous m'avez plus traitée en efclave, qu'en four;
Même pour éviter des effets plus finiftres,
Il m'a fallu flatter vos infolens miniftres,
Dont j'ai craint jufqu'ici le fer, ou le poison;
Mais Pompée, ou Céfar m'en va faire raifon ;
Et, quoiqu'avec Photin, Achillas en ordonne,
Ou l'une ou l'autre main me rendra ma couronne:
Cependant mon orgueil vous laiffe à démêler
Quel étoit l'intérêt qui me faifoit parler.

SCENE IV.

PTOLOME E, PHOTIN.

Q

PTOLOME E.

Ue dites-vous, ami, de cette ame orgueilleufe?
ΡΗΟΤΙΝ.

Seigneur, cette furprise eft pour moi merveilleufe,
Je n'en fai que penser, & mon cœur êtonné
D'un fecret que jamais il n'auroit soupçonné,
Bb 3

In

Inconftant & confus dans fon incertitude,
Ne fe réfout à rien qu'avec inquiétude.
PTOLOME E.

Sauverons-nous Pompée ?

PHOTI N.

Il faudroit faire effort,

Si nous l'avions fauvé, pour conclure sa mort.
Cléopatre vous hait, elle eft fiére, elle est belle,
Et, fi l'heureux Céfar a de l'amour pour elle,
La tête de Pompée eft l'unique préfent
Qui vous faffe contre elle un rempart suffisant.
PTOLOME E.
Ce dangereux efprit a beaucoup d'artifice.
PHOTI N.

Son artifice eft peu contre un fi grand service.
PTOLOME E.

Mais, fi tout grand qu'il eft, il céde à fes appas ?
PHOTI N.

Il la faudra flatter, mais ne m'en croyez pas ;
Et, pour mieux empêcher qu'elle ne vous opprime,
Confultez-en encore Achillas & Septime.

PTOLOME E.

Allons donc les voir faire, & montons à la tour;
Et nous en réfoudrons ensemble à leur retour.

Fin du premier acte.

ACTE

ACTE II.

SCENE PREMIERE. CLEOPATRE, CHARMION.

CLEOPATRE.

E l'aime, mais l'éclat d'une fi belle flamme, Quelque brillant qu'il foit, n'éblouit point mon ame; Et toujours ma vertu retrace dans mon cœur Ce qu'il doit au vaincu, brûlant pour le vainqueur. Auffi qui l'ofe aimer porte une ame trop haute, Pour fouffrir feulement le foupçon d'une faute Et je le traiterois avec indignité,

Si j'afpirois à lui par une lâcheté.

CHARMION.

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Quoi ! Vous aimez Céfar; &, fi vous étiez crue,
L'Egypte pour Pompée armeroit à fa vûe,
En prendroit la défense; &, par un prompt fecours,
Du deftin de Pharfale arrêteroit le cours !
L'amour certes fur vous a bien peu de puiffance.
CLEOPATRE.
Les princes ont cela de leur haute naiffance.
Leur ame dans leur fang prend des impreffions
Qui deffous leur vertu rangent leurs paffions,
Leur générofité foumet tout à leur gloire,
Tout eft illuftre en eux, quand ils daignent se croire;
Et fi le peuple y voit quelques déréglemens,
C'eft quand l'avis d'autrui corrompt leurs fentimens.
Ce malheur, de Pompée achéve la ruine,
Le roi l'eût fecouru, mais Photin l'affaffine;
Il croit cette ame baffe, & se montre fans foi ;
Mais s'il croyoit la fienne, il agiroit en roi.

CHARMION.

Ainfi donc de César l'amante, & l'ennemie . . .

CLEO

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