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Et vous pouvez douter s'il eft digne de mort !
Il devoit mieux remplir nos vœux, & notre attente,
Faire voir fur fes néfs la victoire flottante;
Il n'eût ici trouvé que joie, & que feftins;
Mais, puifqu'il eft vaincu, qu'il s'en prenne aux deftins.
J'en veux à fa difgrace, & non à fa perfonne,
J'exécute à regret ce que le ciel ordonne;
Et du même poignard pour Céfar destiné
Je perce en foupirant fon cœur infortuné.
Vous ne pouvez enfin qu'aux dépens de fa tête
Mettre à l'abri la vôtre, & parer la tempête.
Laiffez nommer fa mort un injufte attentat,
La justice n'est pas une vertu d'état,

Le choix des actions, ou mauvaises, ou bonnes,
Ne fait qu'anéantir la force des couronnes,
Le droit des rois confifte à ne rien épargner,
La timide équité détruit l'art de régner,

Quand on craint d'être injufte, on a toujours à craindre,
Et qui veut tout pouvoir, doit ofer tout enfraindre,
Fuir comme un déshonneur la vertu qui le perd;
Et voler fans fcrupule au crime qui le fert.

C'est-là mon fentiment. Achillas & Septime
S'attacheront peut-être à quelque autre maxime,
Chacun a fon avis; mais, quel que foit le leur,
Qui punit le vaincu ne craint point le vainqueur.
A CHILLA S.

Seigneur, Photin dit vrai; mais, quoique de Pompée
Je voie, & la fortune, & la valeur trompée,
Je regarde fon fang comme un fang précieux,
Qu'au milieu de Pharfale ont respecté les dieux.
Non qu'en un coup d'état je n'approuve le crime;
Mais, s'il n'eft néceffaire, il n'eft point légitime.
Et quel befoin ici d'une extrême rigueur?

Qui n'eft point au vaincu, ne craint point le vain

queur,

Neutre jufqu'à préfent, vous pouvez l'être encore,
Vous pouvez adorer Céfar, fi l'on l'adore ;

Mais, quoique vos encens le traitent d'immortel,
Cette grande victime eft trop pour fon autel;

Et

Et fa, tête immolée au dieu de la victoire
Imprime à votre nom une tache trop noire
Ne le pas fecourir fuffit fans l'opprimer.
En ufant de la forte on ne vous peut blâmer.
Vous lui devez beaucoup, par lui Rome animée
A fait rendre le fceptre au feu roi Ptolomće ;
Mais la reconnoiffance & l'hospitalité

Sur les ames des rois n'ont qu'un droit limité.
Quoi que doive un monarque, & dût-il fa couronne,
Il doit à fes fujets encor plus qu'à perfonne,
Et ceffe de devoir, quand la dette est d'un rang
A ne point s'acquiter qu'aux dépens de leur fang.
S'il eft jufte d'ailleurs que tout fe confidére,
Que hazardoit Pompée en fervant votre pere?
Il fe voulut par-là faire voir tout puiffant;
Et vit croître fa gloire en le rétablissant.
Il le fervit enfin, mais ce fut de la langue,
La bourfe de Céfar fit plus que fa harangue,
Sans fes mille talens, Pompée & fes discours
Pour rentrer en Egypte étoient un froid fecours.
Qu'il ne yante donc plus fes mérites frivoles,
Les effets de Céfar valent bien fes paroles;
Et fi c'est un bienfait qu'il faut rendre aujourd'hui,
Comme il parla pour vous, vous parlerez pour lui.
Ainfi vous le pouvez, & devez reconnoître,
Le recevoir chez vous, c'eft recevoir un maître,
Qui, tout vaincu qu'il eft, bravant le nom de roi,
Dans vos propres états vous donneroit la loi.

Fermez-lui donc vos ports, mais épargnez sa tête.
S'il le faut toutefois, ma main eft toute prête,
J'obéis avec joie, & je ferois jaloux

Qu'autre bras que le mien portât les premiers coups.
SEPTIM E.

Seigneur, je fuis Romain, je connois l'un & l'autre,
Pompée a befoin d'aide, il vient chercher la vôtre,
Vous pouvez, comme maître abfolu de fon fort,
Le fervir, le chaffer, le livrer, vif, ou mort.
Des quatre le premier vous feroit trop funefte;
Souffrez donc qu'en deux mots j'examine le reste.

Le

Le chaffer, c'eft vous faire un puiffant ennemi,
Sans obliger par là le vainqueur qu'à demi,
Puifque c'eft lui laiffer, & fur mer, & fur terre,
La fuite d'une longue & difficile guerre,
Dont peut-être tous deux également laffés
Se vengeroient fur vous de tous les maux paffés.
Le livrer à Céfar n'eft que la même chose.
Il lui pardonnera s'il faut qu'il en difpofe;
Et, s'armant à regret de générofité,
D'une fauffe clémence il fera vanité ;
Heureux de l'affervir en lui donnant la vie,
Et de plaire par là, même à Rome asservie,
Cependant que forcé d'épargner fon rival,
Auffi bien que Pompée, il vous voudra du mal.
Il faut le délivrer du péril, & du crime,
Affurer fa puiffance, & fauver fon estime;
Et du parti contraire en ce grand chef détruit,
Prendre fur vous la honte, & lui laiffer le fruit.
C'eft-là mon fentiment, ce doit être le vôtre,
Par-là vous gagnez l'un, & ne craignez plus l'autre ;
Mais, fuivant d'Achillas le confeil hazardeux,
Vous n'en gagnez aucun, & les perdez tous deux.
PTOLOME E.
N'examinons donc plus la juftice des causes;
Et cédons au torrent qui roule toutes choses.
Je paffe au plus de voix; &, de mon sentiment,
Je veux bien avoir part à ce grand changement.

Affez & trop long-tems l'arrogance de Rome
A crû qu'être Romain c'étoit être plus qu'homme,
Abattons fa fuperbe avec fa liberté,

Dans le fang de Pompée éteignons fa fierté,
Tranchons l'unique efpoir où tant d'orgueil fe fonde;
Et donnons un tyran à ces tyrans du monde,
Secondons le deftin qui les veut mettre aux fers;
Et prêtons-lui la main pour venger l'univers.
Rome, tu ferviras, & ces rois que tu braves.
Et que ton infolence ofe traiter d'esclaves,
Adoreront Céfar avec moins de douleur,
Puifqu'il fera ton maître, auffi bien que le leur.

Allez

Allez donc, Achillas, allez avec Septime,
Nous immortaliser par cet illuftre crime;

Qu'il plaise au ciel, ou non, laiffez-m'en le fouci,
Je croi qu'il veut fa mort, puifqu'il l'améne ici.
A CHIL L'A S.

Seigneur, je croi tout juste alors qu'un roi l'ordonne. PTOLO ME E.

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Allez, & hâtez-vous d'affurer ma couronne ;
Et vous reffouvenez que je mets en vos mains
Le deftin de l'Egypte, & celui des Romains.

SCENE II.

PTOLOMEE, PHOTIN.

PH

PTOLOME E.

Hotin, ou je me trompe, ou ma fœur eft déçûe,
De l'abord de Pompée elle efpere autre iffue;
Sachant que de mon pere il a le testament,
Elle ne doute point de fon couronnement,
Elle fe croit déja fouveraine maitresse
D'un fceptre partagé que fa bonté lui laiffe;
Et, fe promettant tout de leur vieille amitié,
De mon trône en fon ame elle prend la moitié,
Où de fon vain orgueil les cendres rallumées
Pouffent déja dans l'air de nouvelles fumées.
PHOTIN.

Seigneur, c'est un motif que je ne difois pas,
Qui devoit de Pompée avancer le trépas.
Sans doute il jugeroit de la foeur, & du frere,
Suivant le teftament du feu roi votre pere,
Son hôte & fon ami, qui l'en daigna faifir;
Jugez après cela de votre déplaifir.

Ce n'eft pas que je veuille, en vous parlant contre elle,
Rompre les facrés nœuds d'une amour fraternelle,

Du trône, & non du cœur, je la veux éloigner;
Car c'eft ne régner pas qu'être deux à régner.

B b

Un

Un roi qui s'y réfout eft mauvais politique,
Il détruit fon pouvoir quand il le communique;
Et les raifons d'état... Mais, Seigneur, la voici.

SCENE III.

PTOLOMEE, CLEOPATRE,

Seigneur,

PHOTIN.

CLEOPATRE.

Eigneur, Pompée arrive, & vous êtes ici !

PTOLOME E.

J'attens dans mon palais ce guerrier magnanime,
Et lui viens d'envoyer Achillas & Septime.

CLEOPATRE.

Quoi! Septime à Pompée ! A Pompée Achillas!
PTOLOME E.
Si ce n'eft affez d'eux, allez, fuivez leurs pas.
CLEOPATRE.

Donc, pour le recevoir c'est trop que de vous-même ?

PTOLOME E.

Ma fœur, je dois garder l'honneur du diadême.

CLEOPATRE.

Si vous en portez un, ne vous en fouvenez
Que pour baifer la main de qui vous le tenez,
Que pour en faire hommage aux pieds d'un fi grand
homme.

PTOLOME E.

Au fortir de Pharfale eft-ce ainsi qu'on le nomme?
CLEOPATRE.

Fût-il dans fon malheur de tous abandonné,
Il est toujours Pompée, & vous a couronné.
PTOLOME E.

Il n'en eft plus que l'ombre, & couronna mon pere,
Dont l'ombre, & non pas moi, lui doit ce qu'il espére.

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