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Malheureux Polyeucte, es-tu feul insensible;
Et veux-tu rendre feul ton crime irrémiffible?
Peux-tu voir tant de pleurs d'un œil fi détaché ?
Peux-tu voir tant d'amour fans en être touché ?
Ne reconnois-tu plus, ni beau-p
-pere, ni femme,
Sans amitié pour l'un, & pour l'autre fans flamme?
Pour reprendre les noms, & de gendre, & d'époux,
Veux-tu nous voir tous deux embraffer tes genoux ?
POLYE UCTE.

Que tout cet artifice eft de mauvaise grace!
Après avoir deux fois effayé la menace,
Après m'avoir fait voir Néarque dans la mort,
Après avoir tenté l'amour & fon effort,
Après m'avoir montré cette foif du batême,
Pour oppofer à Dieu l'intérêt de Dieu même,
Vous vous joignez ensemble! Ah, rufes de l'enfer !
Faut-il tant de fois vaincre avant que triompher!
Vos réfolutions ufent trop de remise,

Prenez la vôtre enfin, puifque la mienne eft prife.
Je n'adore qu'un Dieu, maître de l'univers,
Sous qui tremblent le ciel, la terre & les enfers,
Un Dieu qui nous aimant d'une amour infinie
Voulut mourir pour nous avec ignominie;
Et qui, par un effort de cet excès d'amour,
Veut pour nous en victime être offert chaque jour.
Mais j'ai tort d'en parler à qui ne peut m'entendre,
Voyez l'aveugle erreur que vous ofez défendre.
Des crimes les plus noirs vous fouillez tous vos dieux,
Vous n'en puniffez point qui n'ait fon maître aux cieux.
La prostitution, l'adultere, l'incefte,

Le vol, l'affaffinat, & tout ce qu'on détefte,
C'est l'exemple qu'à fuivre offrent vos immortels;
J'ai profané leur temple, & brifé leurs autels,

Je le ferois encor fi j'avois à le faire,

Même aux yeux de Félix, même aux yeux de Sévére, Même aux yeux du fénat, aux yeux de l'empereur.

FELIX.

Enfin ma bonté céde à ma jufte fureur.

Adore-les, ou meurs.

PO

Souffre que de toi-même elle obtienne ta vie,
Pour vivre fous tes loix à jamais affervie.
Si tu peux rejetter de fi juftes defirs,
Regarde au moins fes pleurs, écoute fes foupirs,
Ne défefpére pas une ame qui t'adore.
POLYE UCTE.

Je vous l'ai déja dit, & vous le dis encore,
Vivez avec Sévére, ou mourez avec moi.
Je ne méprise point vos pleurs, ni votre foi;
Mais, de quoi que pour vous notre amour m'entretienne,
Je ne vous connois plus fi vous n'étes chrétienne.
C'en eft affez, Félix, reprenez ce courroux,
Et fur cet infolent vengez vos dieux, & vous.
PAULINE.

Ah, mon pere, fon crime à peine est pardonnable,
Mais s'il eft infenfé, vous étes raisonnable;
La nature eft trop forte, & fes aimables traits
Imprimés dans le fang ne s'effacent jamais ;
Un pere eft toujours pere, & fur cette affurance
J'ofe appuyer encore un refte d'espérance.

Jettez fur votre fille un regard paternel,
Ma mort fuivra la mort de ce cher criminel,
Et les dieux trouveront fa peine illégitime,
Puifqu'elle confondra l'innocence & le crime,
Et qu'elle changera, par ce redoublement,
En injufte rigueur un jufte châtiment.
Nos deftins par vos mains rendus inféparables
Nous doivent rendre heureux ensemble, ou miférables,
Et vous feriez cruel, jufques au dernier point,
Si vous défuniffiez ce que vous avez joint.
Un cœur à l'autre uni jamais ne fe retire,
Et pour l'en féparer il faut qu'on le déchire.
Mais vous étes fenfible à mes juftes douleurs,
Et d'un œil paternel vous regardez mes pleurs.
FELIX.

Oui, ma fille, il eft vrai qu'un pere est toujours pere;
Rien n'en peut effacer le facré caractere,

Je porte un cœur fenfible, & vous l'avez percé,
Je me joints avec vous contre cet insensé.

Malheureux

Malheureux Polyeucte, es-tu feul infenfible;
Et veux-tu rendre feul ton crime irrémiffible?
Peux-tu voir tant de pleurs d'un œil fi détaché?
Peux-tu voir tant d'amour fans en être touché ?
Ne reconnois-tu plus, ni beau-pere, ni femme,
Sans amitié pour l'un, & pour l'autre fans flamme ?
Pour reprendre les noms, & de gendre, & d'époux,
Veux-tu nous voir tous deux embraffer tes genoux ?
POLYE UCTE.

Que tout cet artifice eft de mauvaise grace!
Après avoir deux fois effayé la menace,
Après m'avoir fait voir Néarque dans la mort,
Après avoir tenté l'amour & fon effort,
Après m'avoir montré cette foif du batême,
Pour oppofer à Dieu l'intérêt de Dieu même,
Vous vous joignez ensemble! Ah, rufes de l'enfer !
Faut-il tant de fois vaincre avant que triompher!
Vos réfolutions usent trop de remife,

Prenez la vôtre enfin, puifque la mienne eft prise.
Je n'adore qu'un Dieu, maître de l'univers,
Sous qui tremblent le ciel, la terre & les enfers,
Un Dieu qui nous aimant d'une amour infinie
Voulut mourir pour nous avec ignominie ;
Et qui, par un effort de cet excès d'amour,
Veut pour nous en victime être offert chaque jour.
Mais j'ai tort d'en parler à qui ne peut m'entendre,
Voyez l'aveugle erreur que vous ofez défendre.
Des crimes les plus noirs vous fouillez tous vos dieux,
Vous n'en puniffez point qui n'ait fon maître aux cieux.
La prostitution, l'adultere, l'incefte,

Le vol, l'affaffinat, & tout ce qu'on détefte,
C'eft l'exemple qu'à fuivre offrent vos immortels;
J'ai profané leur temple, & brifé leurs autels,

Je le ferois encor fi j'avois à le faire,

Même aux yeux de Félix, même aux yeux de Sévére, Même aux yeux du fénat, aux yeux de l'empereur.

FELIX.

Enfin ma bonté céde à ma jufte fureur.

Adore-les, ou meurs.

PO

POLYE UC TE.

Je fuis chrétien.

FELIX.

Adore-les, te dis-je, ou renonce à la vie.
POLYE UCTE.

Je fuis chrétien.

FELIX.

Impie,

Tu l'es? O cœur trop obstiné !

Soldats, exécutez l'ordre que j'ai donné.

PAULINE.

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Je te fuivrai par tout, & mourrai fi tu meurs.
POLYE UCTE.
Ne fuivez point mes pas, ou quittez vos erreurs.
FELIX.

Qu'on l'ôte de mes yeux, & que l'on m'obéiffe,
Puifqu'il aime à périr, je confens qu'il périffe.

JE

SCENE IV.

FELIX, ALBIN.

FELIX.

E me fais violence, Albin, mais je l'ai dû.
Ma bonté naturelle aisément m'eût perdu.
Que la rage du peuple à préfent fe déploie,
Que Sévére en fureur tonne, éclate, foudroie,
M'étant fait cet effort, j'ai fait ma fûreté.
Mais n'es tu point furpris de cette dureté ?
Vois-tu comme le fien des cœurs impénétrables,

Οι

Ou des impiétés à ce point exécrables ?
Du moins j'ai fatisfait mon efprit affligé,
Pour amollir fon cœur je n'ai rien négligé,
J'ai feint même à tes yeux des lâchetés extrêmes;
Et, certes, fans l'horreur de fes derniers blafphêmes
Qui m'ont rempli foudain de colere & d'effroi,
J'aurois eu de la peine à triompher de moi.
ALBIN.

Vous maudirez peut-être un jour cette victoire
Qui tient je ne fai quoi d'une action trop noire,
Indigne de Félix, indigne d'un Romain,
Répandant votre fang par votre propre main.
FELIX.

Ainfi l'ont autrefois verfé Brute & Manlie,
Mais leur gloire en a crû, loin d'en être affoiblie
Et quand nos vieux héros avoient de mauvais fang,
Ils euffent pour le perdre ouvert leur propre flanc.
ALBIN.

Votre ardeur vous féduit; mais, quoi qu'elle vous die,
Quand vous la fentirez une fois refroidie,
Quand vous verrez Pauline; & que fon désespoir
Par fes pleurs & fes cris faura vous émouvoir . . .
FELIX.

Tu me fais fouvenir qu'elle a fuivi ce traître;
Et que ce défefpoir qu'elle fera paroître

De mes commandemens pourra troubler l'effet.
Va donc, cours y mettre ordre & voir ce qu'elle fait,
Romps ce que fes douleurs y donneroient d'obstacle,
Tire-la, fi tu peux, de ce trifte fpectacle,

Tâche à la confoler, va donc, qui te retient?

ALBIN.

Il n'en eft pas befoin, Seigneur, elle revient.

SCENE

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