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ALBIN.

Que tant de prévoyance est un étrange mal!
Tout vous nuit, tout vous perd, tout vous fait de
l'ombrage;

Mais voyez que fa mort mettra ce peuple en rage,
Que c'eft mal le guérir que le défespérer.
FELIX.

En vain après la mort il voudra murmurer ;
Et, s'il ofe venir à quelque violence.
C'eft à faire à céder deux jours à l'infolence;
J'aurai fait mon devoir, quoi qu'il puiffe arriver.
Mais Polyeucte vient, tachons à le fauver.
Soldats, retirez-vous, & gardez bien la porte.

SCENE

II.

FELIX, POLYE UCTE, ALBIN.

FELIX.

S tu donc pour la vie une haine fi forte,

A Malheureux Polyeucte, & la loi des chrétiens

T'ordonne-t-elle ainfi d'abandonner les tiens?

POLYE UCTE.

;

Je ne hai point la vie, & j'en aime l'usage;
Mais fans attachement qui fente l'esclavage,
Toujours prêt à la rendre au Dieu dont je la tiens
La raifon me l'ordonne, & la loi des chrétiens,
Et je vous montre à tous par là comme il faut vivre,
Si vous avez le cœur affez bon pour me fuivre.

FELIX.

Te fuivre dans l'abîme où tu te veux jetter?
POLYE UCTE.

Mais plûtôt dans la gloire où je m'en vais montrer.
FELIX.

Donne-moi pour le moins le tems de la connoître,
Pour me faire chrétien, fers-moi de guide à l'être;

Et

Et ne dédaigne pas de m'inftruire en ta foi,
Ou toi-même à ton Dieu tu répondras de moi.
POLYE UCTE.

N'en riez point, Félix, il fera votre juge,
Vous ne trouverez point devant lui de refuge.
Les rois & les bergers y font d'un même rang.
De tous les fiens fur vous il vengera le fang.

FELIX.

Je n'en répandrai plus ; &, quoi qu'il en arrive,
Dans la foi des chrétiens je fouffrirai qu'on vive,
J'en ferai protecteur.

POLYE UCTE.

Non, non, perfécutez,

Et foyez l'inftrument de nos félicités.

Celle d'un vrai chrétien n'eft que dans les fouffrances,
Les plus cruels tourmens lui font des récompenfes ;
Dieu qui rend le centuple aux bonnes actions,
Pour comble donne encor les perfécutions.

Mais ces fecrets pour vous font fâcheux à comprendre,
Ce n'eft qu'à fes élus que Dieu les fait entendre.

FELIX.

Je te parle fans fard, & veux être chrétien.

POLYE UCTE.

Qui peut donc retarder l'effet d'un fi grand bien ?

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Pour lui feul contre toi j'ai feint tant de colere ;
Diffimule un moment jufques à fon départ.

POLYE UCT E.

Félix, c'est donc ainfi que vous parlez fans fard?
Portez à vos payens, portez à vos idoles
Le fucre empoifonné que fement vos paroles.
Un chrétien ne craint rien, ne diffimule rien,
Aux yeux de tout le monde il est toujours chrétien.

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FELIX.

Ce zèle de ta foi ne fert qu'a te féduire,
Si tu cours à la mort plûtôt que de m'inftruire.
POLYE UCT E.

Je vous en parlerois ici hors de faison,
Elle eft un don du ciel, & non de la raifon ;
Et c'eft-là que bien-tôt, voyant Dieu face à face,
Plus aisément pour vous j'obtiendrai cette grace.
FELIX.

Ta perte cependant me va défefpérer.

POLYE UCT E.

Vous avez en vos mains de quoi la réparer.
En vous ôtant un gendre on vous en donne un autre,
Dont la condition répond mieux à la vôtre ;
Ma perte n'eft pour vous qu'un change avantageux.
FELIX.

Ceffe de me tenir un discours outrageux.

Je t'ai confidéré plus que tu ne mérites;
Mais, malgré ma bonté qui croît, plus tu l'irrites,
Cette infolence enfin te rendroit odieux;

Et je me vengerois auffi-bien que nos dieux.

POLYE UCT E.

Quoi! Vous changez bien-tôt d'humeur & de langage!

Le zèle de vos dieux rentre en votre courage !
Celui d'être chrétien s'échappe, &, par hazard,
Je vous viens d'obliger à me parler fans fard!

FELIX.

Va, ne préfume pas que, quoi que je te jure,
De tes nouveaux docteurs je fuive l'imposture,
Je flattois ta manie, afin de t'arracher,
Du honteux précipice où tu vas trébucher.
Je voulois gagner tems pour ménager ta vie
Après l'éloignement d'un flatteur de Décie;
Mais j'ai fait trop d'injure à nos dieux tout-puiffans,
Choifis de leur donner ton fang, ou de l'encens.

POLYE UCT E.

Mon choix n'eft point douteux; mais j'aperçoi Pauline.

O ciel !

SCENE

SCENE III.

FELIX, POLYEUCTE, PAULINE,

QU

ALBIN.

PAULIN E.

Ui de vous deux aujourd'hui m'affaffine? Sont-ce tous deux ensemble, ou chacun à son tour ? Ne pourrai-je fléchir la nature, ou l'amour; Et n'obtiendrai-je rien d'un époux, ni d'un pere; FELIX.

Parlez à votre époux.

POLYE UCTE.

Vivez avec Sévére.

PAULIN E.

Tigre, aflaffine moi du moins fans m'outrager.
POLYE UCT E.

Mon amour par pitié cherche à vous foulager,
Il voit quelle douleur dans l'ame vous poffède,
Et fait qu'une autre amour en eft le feul reméde.
Puifqu'un fi grand mérite a pû vous enflammer,
Sa préfence toujours a droit de vous charmer,
Vous l'aimiez, il vous aime, & fa gloire augmentée ..
PAULINE.
Que t'ai-je fait, cruel, pour être ainfi traitée ;
Et pour me reprocher, au mépris de ma foi,
Un amour fi puiffant que j'ai vaincu pour toi ?
Voi, pour te faire vaincre un fi fort adverfaire,
Quels efforts à moi-même il a fallu me faire,
Quels combats j'ai donnés pour te donner un cœur
Si juftement acquis à fon premier vainqueur;
Et, fi l'ingratitude en ton cœur ne domine,
Fais quelque effort fur toi pour te rendre à Pauline,
Apprens d'elle à forcer ton propre fentiment,
Prens fa vertu pour guide en ton aveuglement,

Souffre

Souffre que de toi-même elle obtienne ta vie,
Pour vivre fous tes loix à jamais afservie.
Si tu peux rejetter de fi juftes defirs,
Regarde au moins fes pleurs, écoute fes foupirs,
Ne défefpére pas une ame qui t'adore.
POLYE UCTE.

Je vous l'ai déja dit, & vous le dis encore,
Vivez avec Sévére, ou mourez avec moi.
Je ne méprise point vos pleurs, ni votre foi;
Mais, de quoi que pour vous notre amour m'entretienne,
Je ne vous connois plus fi vous n'étes chrétienne.
C'en eft affez, Félix, reprenez ce courroux,
Et fur cet infolent vengez vos dieux, & vous.
PAULIN E.

Ah, mon pere, fon crime à peine est pardonnable,
Mais s'il eft infenfé, vous étes raisonnable;
La nature eft trop forte, & fes aimables traits
Imprimés dans le fang ne s'effacent jamais ;
Un pere
eft toujours pere, & fur cette affurance
J'ofe appuyer encore un refte d'espérance.
Jettez fur votre fille un regard paternel,
Ma mort fuivra la mort de ce cher criminel,
Et les dieux trouveront fa peine illégitime,
Puifqu'elle confondra l'innocence & le crime,
Et qu'elle changera, par ce redoublement,
En injufte rigueur un jufte châtiment.
Nos deftins par vos mains rendus inféparables
Nous doivent rendre heureux ensemble, ou miférables,
Et vous feriez cruel, jusques au dernier point,
Si vous défuniffiez ce que vous avez joint.
Un cœur à l'autre uni jamais ne fe retire,
Et pour l'en féparer il faut qu'on le déchire.
Mais vous étes fenfible à mes juftes douleurs,
Et d'un œil paternel vous regardez mes pleurs.
FELIX.

Oui, ma fille, il eft vrai qu'un pere eft toujours pere;
Rien n'en peut effacer le facré caractere,
Je porte un cœur fenfible, & vous l'avez percé,
Je me joints avec vous contre cet infenfé.

Malheureux

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