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Mais plus l'effort eft grand, plus la gloire en eft grande;
Conferver un rival dont vous étes jaloux,
C'est un trait de vertu qui n'appartient qu'a vous ;
Et fi ce n'eft affez de votre renommée,

C'est beaucoup qu'une femme autrefois tant aimée,
Et dont l'amour peut-être encor vous peut toucher,
Doive à votre grand cœur ce qu'elle a de plus cher.
Souvenez-vous enfin que vous êtes Sévére.
Adieu. Résolvez feul ce que vous voulez faire,
Si vous n'êtes pas tel que je l'ofe espérer,
Pour vous prifer encor, je le veux ignorer.

Q

SCENE VI.

SEVERE, FABIAN.

SEVER E.

U'eft ce-ci, Fabian, quel nouveau coup de foudre Tombe fur mon bonheur, & le réduit en poudre ? Plus je l'eftime près, plus il eft éloigné,

Je trouve tout perdu, quand je croi tout gagné ;
Et toujours la fortune à me nuire obstinée
Tranche mon espérance auffi-tôt qu'elle eft née.
Avant qu'offrir des vœux je reçoi des refus,
Toujours trifte, toujours & honteux, & confus,
De voir que lâchement elle ait ofé renaître,
Qu'encor plus lâchement elle ait ofé paroître ;
Et qu'une femme enfin dans la calamité
Me faffe des leçons de générofité.

Votre belle ame eft haute autant que malheureuse,
Mais elle eft inhumaine autant que généreuse,
Pauline, & vos douleurs avec trop de rigueur
D'un amant tout à vous tyrannisent le cœur.

C'est donc peu de vous perdre, il faut que je vous donne,

Que je ferve un rival lorfqu'il vous abandonne ;

Et

Et que, par un cruel & généreux effort,

Pour vous rendre en fes mains, je l'arrache à la mort.
FABIA N.

Laiffez à fon deftin cette ingrate famille,
Qu'il accorde, s'il veut, le pere avec la fille,
Polyeucte & Félix, l'époufe avec l'époux,
D'un fi cruel effort quel prix efpérez-vous ?
SEVERE.

La gloire de montrer à cette ame fi belle
Que Sévére l'égale, & qu'il eft digne d'elle,
Qu'elle m'étoit bien dûe, & que l'ordre des cieux
En me la refufant m'eft trop injurieux.

FABIA N.

Sans accufer le fort, ni le ciel d'injustice,
Prenez garde au péril qui fuit un tel service.
Vous hazardez beaucoup, Seigneur, penfez-y bien.
Quoi, vous entreprenez de fauver un chrétien ?
Pouvez-vous ignorer pour cette fecte impie
Quelle eft, & fut toujours la haine de Décie ?
C'est un crime vers lui fi grand, fi capital,
Qu'à votre faveur même il peut être fatal.
SEVER E.

Cet avis feroit bon pour quelque ame commune.
S'il tient entre fes mains ma vie & ma fortune,
Je fuis encor Sévére, & tout ce grand pouvoir
Ne peut rien fur ma gloire, & rien fur mon devoir.
Ici l'honneur m'oblige, & j'y veux fatisfaire;
Qu'après, le fort fe montre, ou propice, ou contraire,
Comme fon naturel eft toujours inconftant,
Périffant glorieux, je périrai content.

Je te dirai bien plus, mais avec confidence,
La fecte des chrétiens n'eft pas ce que l'on penfe,
On les hait, la raison, je ne la connois point;
Et je ne vois Décie injufte qu'en ce point.
Par curiofité j'ai voulu les connoître,

On les tient pour forciers dont l'enfer eft le maître
Et fur cette croyance on punit du trépas
Des myftéres fecrets que nous n'entendons pas.
Mais Cérés, Eleufine, & la bonne déeffe

Ont

Ont leurs fecrets comme eux à Rome & dans la Grece,
Encore impunément nous fouffrons en tous lieux,
Leur Dieu feul excepté, toute forte de dieux.

Tous les monftres d'Egypte ont leurs temples dans
Rome,

Nos ayeux à leur gré faifoient un dieu d'un homme;
Et leur fang parmi nous confervant leurs erreurs,
Nous rempliffons le ciel de tous nos empereurs ;
Mais, à parler fans fard de tant d'apothéoses,
L'effet eft bien douteux de ces métamorphofes.
Les chrétiens n'ont qu'un Dieu, maître abfolu de
tout,

De qui le feul vouloir fait tout ce qu'il résout :
Mais fi j'ofe entre nous dire ce qui me femble,
Les nôtres bien souvent s'accordent mal ensemble;
Et me dût leur colere écrafer à tes yeux,

Nous en avons beaucoup pour être de vrais dieux.
Enfin chez les chrétiens les mœurs font innocentes,
Les vices détestés, les vertus floriffantes,

Ils font des vœux pour nous qui les perfécutons ;
Et depuis tant de tems que nous les tourmentons,
Les a-t-on vûs mutins ? Les a-t-on vûs rebelles ?
Nos princes ont-ils eu des foldats plus fidéles?
Furieux dans la guerre, ils fouffrent nos bourreaux,
Et, lions au combat, îls meurent en agneaux.
J'ai trop de pitié d'eux pour ne les pas défendre.
Allons trouver Félix, commençons par fon gendre;
Et contentons ainfi d'une feule action.

Et Pauline & ma gloire, & ma compaffion.

Fin du quatriéme acte.

N

ACTE

ACTE V.

SCENE

PREMIERE.

FELIX, ALBIN, CLEON.

A

FELIX.

Lbin, as-tu bien vû la fourbe de Sévére?

As-tu bien vû fa haine, & vois-tu ma misere?
ALBIN.

Je n'ai vû rien en lui qu'un rival généreux,
Et ne voi rien en vous qu'un pere rigoureux.
FELIX.

Que tu difcernes mal le cœur d'avec la mine!
Dans l'ame il hait Félix, & dédaigne Pauline;
Et, s'il aima jadis, il eftime aujourd'hui
Les reftes d'un rival trop indignes de lui.
Il parle en fa faveur, il me prie, il menace,
Et me perdra, dit-il, fi je ne lui fais grace,
Tranchant du généreux il croit m'épouvanter;
L'artifice eft trop lourd pour ne pas l'éventer.
Je fai des gens de cour quelle eft la politique,
J'en connois mieux que lui la plus fine pratique;
C'eft en vain qu'il tempête, & feint d'être en fureur,
Je vois ce qu'il prétend auprès de l'empereur,
De ce qu'il me demande il m'y feroit un crime,
Epargnant fon rival je ferois fa victime;
Et, s'il avoit affaire à quelque mal-à-droit,
Le piége eft bien tendu, fans doute il le perdroit.
Mais un vieux courtisan est un peu moins crédule,
Il voit quand on le joue, & quand on diffimule;
Et moi, j'en ai tant vû de toutes les façons,
Qu'à lui-même au befoin j'en ferois des leçons.
ALBIN.

Dieux, que vous vous gênez par cette défiance!

FELIX.

Pour fubfifter en cour c'eft la haute science.

Quand un homme une fois a droit de nous hair,
Nous devons préfumer qu'il cherche à nous trahir,
Toute fon amitié nous doit être suspecte :
Si Polyeucte enfin n'abandonne fa fecte,

Quoi que fon protectcur ait pour lui dans l'efprit,
Je fujvrai hautement l'ordre qui m'est prescrit.

ALBIN.

Grace, grace, Seigneur, que Pauline l'obtienne.

FELIX.

Celle de l'empereur ne fuivroit pas la mienne,
Et loin de le tirer de ce pas dangereux,
Ma bonté ne feroit que nous perdre tous deux.

ALBIN,

Mais Sévére promet . .

...

FELIX.

Albin, je m'en défie,

Et connois mieux que lui la haine de Décie;
En faveur des chrétiens s'il choquoit fon courroux,
Lui-même affûrément fe perdroit avec nous.

Je veux tenter pourtant encore une autre voie.
Amenez Polyeucte, &, fi je le renvoie,
S'il demeure infenfible à ce dernier effort,
Au fortir de ce lieu qu'on lui donne la mort.

ALBIN.

Votre ordre eft rigoureux.

FELIX.

Il faut que je le fuive,
Si je veux empêcher qu'un défordre n'arrive.
Je voi le peuple émû pour prendre son parti;
Et toi-même tantôt tu m'en as averti.
Dans ce zèle pour lui qu'il fait déja paroître,
Je ne fai fi long-tems j'en pourrois être maître :
Peut être dès demain, dès la nuit, dès ce foir,
J'en verrois des effets que je ne veux pas
voir
Et Sévére auffi-tôt, courant à fa vengeance,
M'iroit calomnier de quelque intelligence.
Il faut rompre ce coup qui me feroit fatal.
Z 2

ALBIN.

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