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PAULINE.

Adorez-le dans l'ame, & n'en témoignez rien.
POLYE UCTE.
Que je fois tout ensemble idolâtre & chrétien !
PAULINE.

Ne feignez qu'un moment, laiffez partir Sévére
Et donnez lieu d'agir aux bontés de mon pere.
POLYE UCTE.

Les bontés de mon Dieu font bien plus à chérir.
Il m'ôte des périls que j'aurois pû courir ;
Et, fans me laiffer lieu de tourner en arriére,
Sa faveur me couronne entrant dans la carriére,
Du premier coup de vent il me conduit au port;
Et, fortant du batême, il m'envoie à la mort.
Si vous pouviez comprendre, & le peu qu'est la vie,
Et de quelles douceurs cette mort est suivie .
Mais que fert de parler de ces trésors cachés
A des efprits que Dieu n'a pas encor touchés ?
PAULINE.

Cruel, car il eft tems que ma douleur éclate,
Et qu'un jufte reproche accable une ame ingrate,
Eft-ce là ce beau feu? Sont-ce là tes fermens ?
Témoignes-tu pour moi les moindres fentimens ?
Je ne te parlois point de l'état déplorable
Où ta mort va laiffer ta femme inconfolable;
Je croyois que l'amour t'en parleroit affez,
Et je ne voulois pas de fentimens forcés.
Mais cette amour fi ferme & fi bien méritée,
Que tu m'avois promife, & que je t'ai portée,
Quand tu me veux quitter, quand tu me fais mourir,
Te peut elle arracher une larme, un foupir ?
Tu me quittes, ingrat, & le fais avec joie,
Tu ne la caches pas, tu veux que je la voie ;
Et ton cœur infenfible à ces triftes appas,
Se figure un bonheur ou je ne ferai pas !
C'eft donc là le dégoût qu'apporte l'hyménée !
Je te fuis odieuse après m'être donnée !
POLYE UCTE,

Hélas!

PAU

PAULINE.

Que cet hélas a de peine à fortir!

Encor s'il commençoit un heureux repentir,

Que tout forcé qu'il eft j'y trouverois de charmes !
Mais courage, il s'émeut, je voi couler des larmes.
POLYE UCTE.

J'en verfe, & plût à Dieu qu'à force d'en verfer
Ce cœur trop endurci fe pût enfin percer.
Le déplorable état où je vous abandonne,
Eft bien digne des pleurs que mon amour vous donne;
Et fi l'on peut au ciel fentir quelques douleurs,
J'y pleurerai pour vous l'excès de vos malheurs.
Mais, fi dans ce féjour de gloire & de lumiére
Ce Dieu tout jufte & bon peut fouffrir ma priére,
S'il y daigne écouter un conjugal amour,
Sur votre aveuglement il répandra le jour.

Seigneur, de vos bontés il faut que je l'obtienne,
Elle a trop de vertu pour n'être pas chrétienne,
Avec trop de mérite il vous plut la former,
Pour ne vous pas connoître, & ne vous pas aimer,
Pour vivre des enfers efclave infortunée ;
Et fous leur trifte joug mourir comme elle est née.
PAULINE.

Que dis-tu, malheureux ? Qu'ofes-tu souhaiter?
POLYE UCTE.

de tout mon fang je voudrois acheter.
PAULIN E.

Ce que

Que plûtôt.

POLYE UC TE.

C'est en vain qu'on se met en défense, Ce Dieu touche les coeurs lorfque moins on y penfe, Ce bienheureux moment n'eft pas encor venu, Il viendra; mais le tems ne m'en eft pas connu.

PAULINE.

Quittez cette chimére, & m'aimez.

POLYE UCTE.

Je vous aime,

Beaucoup moins que mon Dieu, mais bien plus que

moi-même.

PAU

PAULINE.

Au nom de cet amour ne m'abandonnez pas.
POLYE UCTE.

Au nom de cet amour daignez fuivre me pas.
PAULIN E.

C'eft peu de me quitter, tu veux donc me féduire ?
POLYE UCTE.

C'eft peu d'aller au ciel, je vous y veux conduire.

Imaginations!

PAULINE.

POLYE UCTE.

Céleftes vérités !

PAULIN E.

Etrange aveuglement !

POLYE UCT E.

Eternelles clartés!

PAULIN E.

Tu préféres la mort à l'amour de Pauline !

POLYE UCTE. Vous préférez le monde à la bonté divine !

PAULIN E.

Va, cruel, va mourir, tu ne m'aimas jamais.
POLYE UCTE.

Vivez heureuse au monde, & me laiffez en paix.
PAULINE.

Oui, je t'y vais laiffer, ne t'en mets plus en peine;
Je vais .

SCENE IV.

POLYEUCTE,

PAULINE,

SEVERE, FABIAN, Gardes..

PAULIN E..

Mais quel deffein, en ce lieu vous améne,

Severe ? Auroit-on crû qu'un cœur fi généreux

Pût

Pût venir jusqu'ici braver un malheureux ?
POLYE UC TE.

Vous traitez mal, Pauline, un fi rare mérite,
A ma feule priére il rend cette vifite.

Je vous ai fait, Seigneur, une incivilité,
Que vous pardonnerez à ma captivité.
Poffeffeur d'un tréfor dont je n'étois pas digne,
Souffrez avant ma mort que je vous le réfigne;
Et laiffe la vertu la plus rare à nos yeux
Qu'une femme jamais pût recevoir des cieux,
Aux mains du plus vaillant, & du plus honnête homme
Qu'ait adoré la terre, & qu'ait vû naître Rome.
Vous étes digne d'elle, elle eft digne de vous,
Ne la refufez pas de la main d'un époux,
S'il vous a défunis, fa mort vous va rejoindre,
Qu'un feu jadis fi beau n'en devienne pas moindre,
Rendez lui votre cœur, & recevez fa foi,

Vivez heureux enfemble, & mourez comme moi,
C'est le bien qu'à tous deux Polyeucte défire.

Qu'on me méne à la mort, je n'ai plus rien à dire, Allons, gardes, c'est fait.

SCENE V.

SEVERE, PAULINE,

FABIAN.

SEVER E.

Dans mon étonnement

Je fuis confus pour lui de fon aveuglement ;
Sa réfolution a fi peu de pareilles

Qu'à peine je me fie encore à mes oreilles.
Un cœur qui vous chérit, mais quel cœur affez bas
Auroit pû vous connoître, & ne vous chérir pas ?
Un homme aimé de vous, fi-tôt qu'il vous poffède,

Sans

Sans regret il vous quitte, il fait plus, il vous céde;
Et comme fi vos feux étoient un don fatal,
11 en fait un préfent lui-même à fon rival!
Certes, ou les chrétiens ont d'étranges manies,
Ou leurs félicités doivent être infinies,
Puifque pour y prétendre ils ofent rejetter
Ce que de tout l'empire il faudroit acheter.
Pour moi, fi mes deftins un peu plûtôt propices
Euffent de votre hymen honoré mes fervices,
Je n'aurois adoré que l'éclat de vos yeux,

J'en aurois fait mes rois, j'en aurois fait mes dieux,
On m'auroit mis en poudre, on m'auroit mis en cendre
Avant que.

PAULINE.

Brifons là, je crains de trop entendre, Et que cette chaleur qui fent vos premiers feux, Ne pouffe quelque fuite indigne de tous deux. Sévére, connoiffez Pauline toute entiére.

Mon Polyeucte touche à fon heure derniére,
Pour achever de vivre il n'a plus qu'un moment ;
Vous en étes la caufe, encor qu'innocemment.
Je ne fai fi votre ame à vos defirs ouverte
Auroit ofé former quelque efpoir fur fa perte;
Mais fachez qu'il n'eft point de fi cruels trépas,
Où d'un front affuré je ne porte mes pas,

Qu'il n'eft point aux enfers d'horreurs que je n'endure,

Plûtôt que de fouiller une gloire fi pure,

Que d'époufer un homme après fon triste fort,
Qui de quelque façon foit caufe de fa mort;
Et fi vous me croyiez d'une ame fi peu faine,
L'amour que j'eus pour vous tourneroit toute en haine.
Vous étes généreux, foyez-le jufqu'au bout;
Mon pere eft en état de vous accorder tout,
Il vous craint; & j'avance encor cette parole,
Que s'il perd mon époux, c'est à vous qu'il l'immole.
Sauvez ce malheureux, employez-vous pour lui,
Faites-vous un effort pour lui fervir d'appui.
Je fai que c'est beaucoup que ce que je demande,

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