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SCENE IV.

FELIX, ALBIN, PAULINE,

STRATONICE.

FELIX.

Albin, en eft-ce fait ?

ALBIN.

Oui, Seigneur, & Néarque a payé fon forfait.

FELIX.

Et notre Polyeucte a vû trancher sa vie?
ALBIN.

Il l'a vû, mais, hélas! avec un œil d'envie,
Il brûle de le fuivre, au lieu de reculer;
Et fon cœur s'affermit, au lieu de s'ébranler.
PAULINE.

Je vous le difois bien. Encore un coup, mon pere,
Si jamais mon refpect a pû vous fatisfaire,
Si vous l'avez prifé, fi vous l'avez chéri ...

FELIX.

Vous aimez trop, Pauline, un indigne mari.
PAULIN E.

Je l'ai de votre main, mon amour est fans crime,
Il eft de votre choix la glorieuse estime;
Et j'ai, pour l'accepter, éteint le plus beau feu
Qui d'une ame bien née ait mérité l'aveu.

Au nom de cette aveugle & prompte obéïffance,
Que j'ai toujours rendue aux loix de la naiffance,
Si vous avez pû tout fur moi, fur mon amour,
Que je puiffe fur vous quelque chofe à mon tour.
Par ce jufte pouvoir, à préfent trop à craindre,
Par ces beaux fentimens qu'il m'a fallu contraindre,
Ne m'ôtez pas vos dons, ils font chers à mes yeux,
Et m'ont affez coûté pour m'être précieux.

FELIX.

Vous m'importunez trop. Bien que j'aie un cœur tendre,

Je n'aime la pitié qu'au prix que j'en veux prendre,
Employez mieux l'effort de vos juftes douleurs,

Malgré moi m'en toucher, c'eft perdre, & temps & pleurs,

J'en veux être le maître ; & je veux bien qu'on fache,
Que je la défavoue alors qu'on me l'arrache.
Préparez-vous à voir ce malheureux chrétien ;
Et faites votre effort quand j'aurai fait le mien.
Allez, n'irritez plus un pere qui vous aime;
Et tâchez d'obtenir votre époux de lui même.
Tantôt jufqu'en ce lieu je le ferai venir;
Cependant quittez-nous, je veux l'entretenir.

PAULIN E.

De grace, permettez .

ALBIN.

Laiffez-nous feuls, vous dis-je. Votre douleur m'offense autant qu'elle m'afflige; A gagner Polyeucte appliquez tous vos foins, Vous avancerez plus en m'importunant moins.

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En brutal, en impie,

En bravant les tourmens, en dédaignant la vie,
Sans regret, fans murmure, & fans étonnement,
Dans l'obftination, & l'endurciffement,

Comme un chrétien enfin, le blafphême à la bouche.

Et l'autre ?

FELIX.

ALBIN.

Je l'ai dit déja, rien ne le touche ;
Loin d'en être abattu fon cœur en eft plus haut.
On l'a violenté pour quitter l'échafaud,
Il eft dans la prifon où je l'ai vû conduire ;
Mais vous étes bien loin encor de le réduire.
FELIX.

Que je fuis malheureux !

ALBIN.

Tout le monde vous plaint.

FELIX.

On ne fait pas les maux dont mon cœur eft atteint.
De penfers fur penfers mon ame eft agitée,
De foucis fur foucis elle eft inquiétée ;

Je fens l'amour, la haine, & la crainte, & l'efpoir,
La joie, & la douleur tour à tour l'émouvoir.
J'entre en des fentimens qui ne font pas croyables,
J'en ai de violens, j'en ai de pitoyables,
J'en ai de généreux qui n'oferoient agir,
J'en ai même de bas, & qui me font rougir.
J'aime ce malheureux que j'ai choifi
pour gendre,
Je hais l'aveugle erreur qui le vient de furprendre,
Je déplore fa perte ; &, le voulant fauver,
J'ai la gloire des dieux ensemble à conserver,
Je redoute leur foudre, & celui de Décie;
Il y va de ma charge, il y va de ma vie :
Ainfi, tantôt pour lui je m'expofe au trépas;
Et tantôt je le perds, pour ne me perdre pas.

ALBIN.

Décie excufera l'amitié d'un beau-pere;
Et d'ailleurs Polyeucte eft d'un fang qu'on révere.
FELIX.

A punir les chrétiens fon ordre eft rigoureux;
Et plus l'exemple eft grand, plus il eft dangereux.
On ne diftingue point quand l'offense eft publique ;
Et, lorsqu'on diffimule un crime domestique,

Par

Par quelle autorité peut-on, par quelle loi,
Châtier en autrui ce qu'on fouffre chez foi?
ALBIN.

Si vous n'ofez avoir d'égard à fa perfonne,
Ecrivez à Décie afin qu'il en ordonne.
FELIX.

Sévére me perdroit, fi j'en ufois ainfi.
Sa haine & fon pouvoir font mon plus grand foucí,
Si j'avois différé de punir un tel crime,
Quoiqu'il foit généreux, quoiqu'il foit magnanime,
Il eft homme, & fenfible, & je l'ai dédaigné,
Et de tant de mépris fon efprit indigné,
Que met au défespoir cet hymen de Pauline,
Du courroux de Décie obtiendroit ma ruine.
Pour venger un affront tout femble être permis;
Et les occafions tentent les plus remis.
Peut-être, & ce foupçon n'eft pas fans apparence,
Il rallume en fon cœur déja quelque espérance,
Et, croyant bien-tôt voir Polyeucte puni,
Il rappelle un amour à grand peine banni.
Juge fi fa colere en ce cas implacable
Me feroit innocent de fauver un coupable;
Et s'il m'épargneroit, voyant par mes bontés
Une feconde fois fes deffeins avortés.

Te dirai-je un penser indigne, bas, & lâche ? Je l'étouffe, il renaît, il me flatte & me fâche, L'ambition toujours me le vient présenter; Et tout ce que je puis, c'eft de le détester. Polyeucte eft ici l'appui de ma famille ; Mais, fi par fon trépas l'autre époufoit ma fille, J'acquerrois bien par-là de plus puiffans appuis, Qui me mettroient plus haut cent fois que je ne fuis. Mon cœur en prend par force une maligne joie ; Mais que plûtôt le ciel à tes yeux me foudroie, Qu'à des penfers fi bas je puiffe confentir, Que jufques-là ma gloire ofe fe démentir.

ALBIN.

Votre cœur eft trop bon, & votre ame trop haute. Mais vous réfolvez-vous punir cette faute ?

FELIX.

Je vais dans la prifon faire tout mon effort
A vaincre cet efprit par l'effroi de la mort ;
Et nous verrons après ce que pourra Pauline.
ALBIN.

Que ferez-vous enfin fi toujours il s'obstine?
FELIX.

Ne me preffe point tant. Dans un tel déplaifir
Je ne puis que réfoudre; & ne fai choifir.
ALBIN.

que

;

Je dois vous avertir en ferviteur fidéle
Qu'en fa faveur déja la ville fe rebelle
Et ne peut voir paffer par la rigueur des loix
Sa derniére espérance, & le fang de ses rois.
Je tiens fa prifon même affez mal assurée,
J'ai laiffe tout au tour une troupe éplorée,
Je crains qu'on ne la force.

FELIX.

Il faut donc l'en tirer;

Et l'amener ici pour nous en afsurer.

ALBIN.

Tirez-l'en donc vous-même; & d'un espoir de grace
Apaifez la fureur de cette populace.

FELIX.

Allons, & s'il perfifte à demeurer chrétien,
Nous en difpoferons fans quelle en fache rien.

Fin du troifiéme acte.

ACTE

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