Page images
PDF
EPUB

SEVER E.

Juge autrement de moi, mon refpect dure encore,
Tout violent qu'il eft, mon défespoir l'adore.
Quels reproches auffi peuvent m'être permis?
De quoi puis-je accufer qui ne m'a rien promis?
Elle n'eft point parjure, elle n'eft point légere,
Son devoir m'a trahi, mon malheur, & fon pere.
Mais fon devoir fut jufte, & fon pere eut raison,
J'impute à mon malheur toute la trahifon.
Un peu moins de fortune, & plûtôt arrivée,
Eût gagné l'un par l'autre, & me l'eût confervée,
Trop heureux, mais trop tard, je n'ai pû l'acquérir ;
Laiffe-la moi donc voir, foupirer, & mourir.

FABIA N.

Oui, je vais l'affurer qu'en ce malheur extrême
Vous étes affez fort pour vous vaincre vous-même.
Elle a craint comme moi ces premiers mouvemens
Qu'une perte imprevûe arrache aux vrais amans;
Et dont la violence excite affez de trouble,
Sans que l'objet préfent l'irrite & le redouble.

SEVERE.

Fabian, je la voi.

FABIA N.

Seigneur, fouvenez-vous

SEVERE.

Hélas! Elle aime un autre, un autre eft fon époux.

SCENE II.

SEVERE, PAULINE, STRATONICE, FABIAN.

PAULIN E.

Ui, je l'aime, Seigneur, & n'en fais point d'excufe,
Que tout autre que moi vous flatte, & vous abuse,

Pauline a l'ame noble, & parle à cœur ouvert.
Le bruit de votre mort n'eft point ce qui vous perd.

Si le ciel en mon choix eût mis mon hyménée,
A vos feules vertus je me ferois donnée ;
Et toute la rigueur de votre premier fort
Contre votre mérite eût fait un vain effort.
Je découvrois en vous d'affez illuftres marques
Pour vous préférer même aux plus heureux monarques;
Mais puifque mon devoir m'impofoit d'autres loix,
De quelque amant pour moi que mon pere eût fait
choix,

Quand à ce grand pouvoir que la valeur vous donne,
Vous auriez ajoûté l'éclat d'une couronne,
Quand je vous aurois vû, quand je l'aurois haï,
J'en aurois foupiré, mais j'aurois obéï;
Et fur mes paffions ma raison fouveraine
Eût blâmé mes foupirs, & diffipé ma haine.
SEVERE.

Que vous étes heureuse, & qu'un peu de foupirs
Fait un aifé reméde à tous vos déplaifirs!
Ainfi de vos defirs toujours reine abfolue,
Les plus grands changemens vous trouvent réfolue,
De la plus forte ardeur vous portez vos esprits
Jufqu'à l'indifférence, & peut-être au mépris ;
Et votre fermeté fait fuccéder fans peine
Le faveur au dedain, & l'amour à la haine.
Qu'un peu de votre humeur, ou de votre vertu
Soulageroit les maux de ce cœur abattu!
Un foupir, une larme à regret épandue
M'auroit déja guéri de vous avoir perdue,
Ma raison pourroit tout fur l'amour affoibli,
Et de l'indifférence iroit jufqu'à l'oubli;
Et mon feu déformais fe réglant fur le vôtre,
Je me tiendrois heureux entre les bras d'une autre.
O trop aimable objet qui m'avez trop charmé,
Eft-ce là comme on aime, & m'avez-vous aimé ?
PAULINE.

Je vous l'ai trop fait voir, Seigneur, & fi mon ame
Pouvoit bien étouffer les reftes de fa flamme,
Dieux, que j'éviterois de rigoureux tourmens !
Ma raison, il est vrai, domte mes fentimens ;

U

Mais,

Mais, quelque autorité que fur eux elle ait prife,
Elle n'y régne pas, elle les tyrannife;
Et, quoique le dehors foit fans émotion,
Le dedans n'eft que trouble, & que fédition.
Un je ne fçai quel charme encor vers vous m'emporte,
Votre mérite eft grand, fi ma raison est forte;
Je le vois encor tel qu'il alluma mes feux
D'autant plus puiffamment folliciter mes vœux,
Qu'il eft environné de puiffance & de gloire,
Qu'en tous lieux après vous il traîne la victoire,
Que j'en fai mieux le prix; & qu'il n'a point déçû
Le généreux efpoir que j'en avois conçû.
Mais ce même devoir qui le vainquit dans Rome,
Et qui me range ici deffous les loix d'un homme,
Repouffe encor fi bien l'effort de tant d'appas,
Qu'il déchire mon ame, & ne l'ébranle pas.
C'eft cette vertu même à nos defirs cruelle
Que vous louïez alors en blafphémant contre elle,
Plaignez-vous-en encor, mais louez fa rigueur
Qui triomphe à la fois de vous & de mon cœur ;
Et voyez qu'un devoir moins ferme & moins fincere
N'auroit pas mérité l'amour du grand Sévére.
SEVER E.

Ah! Madame, excufez une aveugle douleur
Qui ne connoît plus rien que l'excès du malheur.
Je nommois inconftance, & prenois pour un crime
De ce jufte devoir l'effort le plus fublime.
De grace, montrez moins à mes fens défolés
La grandeur de ma perte, & ce que vous valez ;
Et, cachant par pitié cette vertu fi rare
Qui redouble mes feux, lorfqu'elle nous fépare,
Faites voir des défauts qui puiffent à leur tour
Affoiblir ma douleur avecque mon amour.
PAULIN E.

Hélas! Cette vertu, quoiqu'enfin invincible,
Ne laiffe que trop voir une ame trop fenfible.
Ces pleurs en font témoins, & ces lâches foupirs
Qu'arrachent de nos feux les cruels fouvenirs,
Trop rigoureux effets d'une aimable présence,

Contre

Contre qui mon devoir a trop peu de défense.
Mais, fi vous estimez ce vertueux devoir,
Conservez m'en la gloire, & ceffez de me voir.
Epargnez-moi des pleurs qui coulent à ma honte,
Epargnez moi des feux qu'à regret je furmonte;
Enfin épargnez-moi ces triftes entretiens,
Qui ne font qu'irriter vos tourmens, & les miens.
SEVER E.

Que je me prive ainfi du feul bien qui me refte!
PAULIN E.

Sauvez-vous d'une vûe à tous les deux funefte.

SEVER E.

Quel prix de mon amour! Quel fruit de mes travaux ! PAULIN E.

C'est le reméde feul qui peut guérir nos maux.

SEVERE.

Je veux mourir des miens, aimez-en la mémoire.

PAULINE.

Je veux guérir des miens, ils fouilleroient ma gloire.
SEVER E.

Ah! Puifque votre gloire en prononce l'arrêt,
11 faut que ma douleur céde à son intérêt;
Eft-il rien que fur moi cette gloire n'obtienne?
Elle me rend les foins que je dois à la mienne.
Adieu. Je vais chercher au milieu des combats
Cette immortalité que donne un beau trépas;
Et remplir dignement par une mort pompeuse
De mes premiers exploits l'attente avantageufe ;
Si toutefois, après ce coup mortel du fort,
J'ai de la vie affez pour chercher une mort.
PAULIN E.

Et moi, dont votre vûe augmente le fupplice,
Je l'éviterai même en votre facrifice;

Et feule dans ma chambre enfermant mes regrets,
Je vais pour vous aux dieux faire des vœux fecrets.
SEVER E.

Puiffe le jufte ciel, content de ma ruine,

Combler d'heur & de jours Polyeucte, & Pauline.

U 2

PAU

PAULINE.

Puiffe trouver Sévére, après tant de malheur,
Une félicité digne de fa valeur.

SEVER E.

Il la trouvoit en vous.

Je dépendois d'un pere.

PAULIN E.

SEVER E.

O devoir qui me perd, & qui me défefpere !
Adieu, trop vertueux objet, & trop charmant.
PAULINE.

Adieu, trop malheureux, & trop parfait amant.

[merged small][ocr errors][merged small]

JE

STRATONICE.

E vous ai plaints tous deux, j'en verse encor des
larmes,
Mais du moins votre esprit eft hors de fes alarmes.
Vous voyez clairement que votre fonge eft vain ;
Sévére ne vient pas la vengeance à la main.

PAULIN E.
Laiffe moi refpirer du moins fi tu m'as plainte,
Au fort de ma douleur tu rappelles ma crainte,
Souffre un peu de relâche à mes efprits troublés,
Et ne m'accable point par des maux redoublés.
STRATONIC E.

Quoi, vous craignez encor!

PAULINE.

Je tremble, Stratonice;

Et, bien que je m'effraie avec peu de justice,
Cette injufte frayeur fans ceffe reproduit
L'image des malheurs que j'ai vûs cette nuit.
STRATONICE.

Sévére eft généreux.

PAU

« PreviousContinue »