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Puifque tu le connois, je ne t'en dirai rien ;
Je l'aimai, Stratonice, il le méritoit bien.
Mais que fert le mérite où manque la fortune?
L'un étoit grand en lui, l'autre foible & commune :
Trop invincible obftacle, & dont trop rarement
Triomphe auprès d'un pere un vertueux amant.
STRATONIC E.

La digne occafion d'une rare conftance !
PAULIN E.

Di plûtôt d'une indigne & folle résistance,
Quelque fruit qu'une fille en puifle recueillir,
Ce n'eft une vertu que pour qui veut faillir.

Parmi ce grand amour que j'avois pour Sévére
J'attendois un époux de la main de mon pere,
Toujours prête à le prendre ; & jamais ma raison
N'avoua de mes yeux l'aimable trahison.

Il poffedoit mon cœur, mes défirs, ma pensée,
Je ne lui cachois point combien j'étois bleffée,
Nous foupirions ensemble & pleurions nos malheurs,
Mais au feu d'efpérance il n'avoit que des pleurs,
Et, malgré des foupirs fi doux, fi favorables,
Mon pere & mon devoir étoient inexorables.
Enfin, je quittai Rome, & ce parfait amant,
Pour fuivre ici mon pere en fon gouvernement;
Et lui, défefpéré, s'en alla dans l'armée
Chercher d'un beau trépas l'illuftre renommée.
Le refte, tu le fais: Mon abord en ces lieux
Me fit voir Polyeucte, & je plus à fes yeux;
Et, comme il eft ici le chef de la nobleffe,
Mon pere fut ravi qu'il me prît pour maitresse,
Et, par fon alliance, il fe crut affuré
D'être plus redoutable & plus confidéré.
Il approuva fa flamme, & conclut l'hyménée,
Et moi, comme à fon lit je me vis destinée,
Je donnai par devoir à fon affection
Tout ce que l'autre avoit par inclination :
Si tu peux en douter, juge-le par la crainte
Dont en ce trifte jour tu me vois l'ame atteinte.

STRA

STRATONICE.

Elle fait affez voir à quel point vous l'aimez ;
Mais quel fonge après tout tient vos fens alarmés ?
PAULIN E.

Je l'ai vû cette nuit, ce malheureux Sévére,
La vengeance à la main, l'œil ardent de colere,
Il n'étoit point couvert de ces triftes lambeaux,
Qu'une ombre défolée emporte des tombeaux,
Il n'étoit point percé de ces coups pleins de gloire
Qui, retranchant fa vie, affurent fa mémoire,
Il fembloit triomphant ; & tel que fur fon char
Victorieux dans Rome entre notre Céfar.
Après un peu d'effroi que m'a donné fa vûe,
Porte à qui tu voudras la faveur qui m'eft dûe,
Ingrate, m'a-t-il dit ; &, ce jour expiré,
Pleure à loifir l'époux que tu m'as préféré.
A ces mots j'ai frémi, mon amé s'eft troublée,
Enfuite des chrétiens une impie affemblée,
Pour avancer l'effet de ce discours fatal,
A jetté Polyeucte aux pieds de fon rival.
Soudain à fon fecours j'ai réclamé mon pere;
Hélas! C'eft de tout point ce qui me défespere,
J'ai vû mon pere même un poignard à la main,
Entrer le bras levé pour lui percer le fein.
Là, ma douleur trop forte a brouillé ces images,
Le fang de Polyeucte a fatisfait leurs rages,
Je ne fai, ni comment, ni quand ils l'ont tué ;
Mais je fai qu'à fa mort tous ont contribué.
Voilà quel est mon fonge.

STRATONIC E.

Il eft vrai qu'il eft trifte, Mais il faut que votre ame à ces frayeurs réfifte, La vifion de foi peut faire quelque horreur ; Mais non pas vous donner une jufte terieur.

Pouvez-vous craindre un mort? Pouvez-vous craindre

un pere,

Qui chérit votre époux, que votre époux révére;
Et dont le jufte choix vous a donnée à lui

Pour s'en faire en ces lieux un ferme & sûr appui?

T 2

PAU

PAULINE.

Il m'en a dit autant, & rit de mes alarmes,
Mais je crains des chrétiens les complots & les charmes ;
Et que fur mon époux leur troupeau ramaffé,
Ne venge tant de fang que mon pere a versé.

STRATONICE.

Leur fecte eft infenfée, impie, & facrilege,
Et dans fon facrifice ufe de fortilége;
Mais fa fureur ne va qu'à brifer nos autels,
Elle n'en veut qu'aux dieux, & non pas aux mortels.
Quelque févérité que fur eux on déploie,

Ils fouffrent fans murmure, & meurent avec joie ;
Et depuis qu'on les traite en criminels d'état,
On ne peut les charger d'aucun affaffinat.

PAULIN E.

Tai-toi, mon pere

vient.

SCENE IV.

FELIX, ALBIN, PAULINE,

STRATONICE.

FELIX.

MA

A fille, que ton fonge

En d'étranges frayeurs ainfi que toi me plonge !
Que j'en crains les effets qui femblent s'approcher !
PAULIN E.

Quelle fubite alarme ainfi vous peut toucher ?

FELIX.

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PAULIN E.

Après l'avoir fauvé des mains des ennemis,
L'efpoir d'un fi haut rang lui devenoit permis.
Le destin aux grands cœurs fi fouvent mal propice
Se réfout quelquefois à leur faire justice.

Il vient ici lui-même.

FELIX.

PAULIN E.
Il vient !

FELIX.

Tu le vas voir.

PAULIN E.

C'en eft trop; mais comment le pouvez-vous savoir?
FELIX.

Albin l'a rencontré dans la proche campagne,
Un gros de courtifans en foule l'accompagne;
Et montre affez quel eft fon rang & fon crédit.
Mais, Albin, redis-lui ce que fes gens t'ont dit.
ALBIN.

Vous favez quelle fut cette grande journée,
Que fa perte pour nous rendit fi fortunée.
Où l'empereur captif par fa main dégagé
Raffura fon parti déja découragé,

Tandis que fa vertu fuccomba fous le nombre.
Vous favez les honneurs qu'on fit faire à son ombre.
Après qu'entre les morts on ne le put trouver;
Le roi de Perfe auffi l'avoit fait enlever.
Témoin de fes hauts faits & de fon grand courage,
Ce monarque en voulut connoître le vifage,
On le mit dans fa tente, où tout percé de coups,
Tout mort qu'il paroiffoit, il fit mille jaloux.
Là, bien-tôt il montra quelque figne de vie,
Ce prince généreux en eut l'ame ravie ;
Et fa joie, en dépit de fon dernier malheur,
Du bras qui le caufoit honora la valeur.
Il en fit prendre foin, la cure en fut fecrette;
Et, comme au bout d'un mois fa fanté fut parfaite,
Il offrit dignités, alliance, tréfors,

Et pour gagner Sévére il fit cent vains efforts.

T3

Après

Après avoir comblé fes refus de louange,
Il envoie à Décie en propofer l'échange,
Et foudain l'empereur tranfporté de plaifir
Offre au Perfe fon frere, & cent chefs à choifir.
Ainfi revint au camp le valeureux Sévére
De fa haute vertu recevoir le falaire,
La faveur de Décie en fut le digne prix.

De nouveau l'on combat, & nous fommes furpris,
Ce malheur toutefois fert à croître fa gloire,
Lui feul rétablit l'ordre & gagne la victoire,
Mais fi belle, & fi pleine, & par tant de beaux faits,
Qu'on nous offre tribut, & nous faifons la paix.
L'empereur qui lui montre une amour infinie,
Après ce grand fuccès l'envoie en Arménie.
Il vient en apporter la nouvelle en ces lieux;
Et par un facrifice en rendre hommage aux dieux.
FELIX.

O ciel! En quel état ma fortune eft réduite !
ALBIN.

Voilà ce que j'ai sû d'un homme de fa fuite,
Et j'ai couru, Seigneur, pour vous y difpofer.
FELIX.

Ah, fans doute, ma fille, il vient pour t'époufer.
L'ordre d'un facrifice eft pour lui peu de chofe ;
C'eft un prétexte faux dont l'amour eft la cause.
PAULIN E.

Cela pourroit bien être, il m'aimoit chérement.
FELIX.

Que ne permettra-t-il à fon reffentiment?
Et jufques à quel point ne porte fa vengeance
Une jufte colere avec tant de puiffance ?
Il nous perdra, ma fille.

PAULINE.

Il eft trop généreux.

FELIX.

Tu veux flatter en vain un pere malheureux,

Il nous perdra, ma fille. Ah, regret qui me tue,
De n'avoir pas aimé la vertu toute nue!
Ah, Pauline, en effet tu m'as trop obćï ;

Ton

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