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NEAR QUE.

Ainfi du genre humain l'ennemi vous abuse,
Ce qu'il ne peut de force, il l'entreprend de rufe.
Jaloux des bons deffeins qu'il tâche d'ébranler,
Quand il ne les peut rompre, il pouffe à reculer;
D'obftacle fur cbftacle il va troubler le vôtre,
Aujourd'hui par des pleurs, chaque jour par quelque

autre ;

Et ce fonge rempli de noires vifions

N'eft que le coup d'effai de fes illufions.
Il met tout en ufage, & priére, & menace,
Il attaque toujours, & jamais ne fe laffe,
Il croit pouvoir enfin ce qu'encor il n'a pû;
Et que ce qu'on différe eft à demi rompu.

Rompez fes premiers coups, laiffez pleurer Pauline, Dieu ne veut point d'un cœur où le monde domine, Qui regarde en arriére ; &, douteux en fon choix, Lorfque fa voix l'appelle, écoute une autre voix. POLYEU C T E.

Pour fe donner à lui faut-il n'aimer perfonne ?

NEAR QU E.

Nous pouvons tout aimer, il le fouffre, il l'ordonne;
Mais a vous dire tout, ce feigneur des feigneurs
Veut le premier amour, & les premiers honneurs.
Comme rien n'eft égal à fa grandeur fuprême,
Il faut ne rien aimer qu'après lui, qu'en lui-même,
Négliger pour lui plaire, & femme, & biens, & rang,
Expofer pour fa gloire, & verfer tout fon fang:
Mais que vous étes loin de cette ardeur parfaite,
Qui vous est néceffaire, & que je vous souhaite !
Je ne puis vous parler que les larmes aux yeux.
Polyeucte, aujourd'hui qu'on nous hait en tous lieux,
Qu'on croit fervir l'état quand on nous perfécute,
Qu'aux plus âpres tourmens un chrétien eft en butte,
Comment en pourrez-vous furmonter les douleurs,
Si vous ne pouvez pas réfifter à des pleurs ?

POLYE UCTÉ.

Vous, ne m'étonnez point. La pitié que me bleffe
Sied bien aux plus grands cœurs & n'a point de foibleffe.

Sur

Sur mes pareils, Néarque, un bel œil eft bien fort,
Tel craint de le fâcher qui ne craint pas la mort ;
Et, s'il faut affronter les plus cruels fupplices,
Y trouver des appas, en faire mes délices,
Votre Dieu, que je n'ofe encor nommer le mien,
M'en donnera la force en me faisant chrétien.
NEAR QUE.

Hâtez-vous donc de l'être.

POLYE UC TE.

Oui, j'y cours, cher Néarque,

Je brûle d'en porter la glorieuse marque ;
Mais Pauline s'afflige, & ne peut consentir,
Tant ce fonge la trouble, à me laiffer fortir.
NEAR QU E.

Votre retour pour elle en aura plus de charmes,
Dans une heure au plûtard vous effuierez fes larmes ;
Et l'heur de vous revoir lui femblera plus doux,
Plus elle aura pleuré pour un fi cher époux.

Allons, on nous attend.

POLYE UCTE.

Apaifez donc fa crainte ;

Et calmez la douleur dont fon ame eft atteinte.

Elle revient.

NEAR QUE.

Fuyez.

POLYE UCTE.
Je ne puis.

NEAR QUE.

Fuyez un ennemi qui fait votre défaut,

Qui le trouve aisément, qui blesse

par

Il le faut,

la vûe;

Et dont le coup mortel vous plaît quand il vous tue. POLYE UCT E.

Fuyons, puifqu'il le faut.

SCENE

SCENE II.

POLYE UCTE, NEARQUE, PAULINE, STRATONICE.

POLYE UCTE.

A Dicu, Pauline, adicu.

Dans une heure au plûtard je reviens en ce lieu.
PAULIN E.

Quel fujet fi preffant à fortir vous convie?
Y va-t-il de l'honneur? Y va-t-il de la vie?
POLYE UCT E.

Il y va de bien plus.

PAULINE.

Quel eft donc ce fecret?

POLYE UCT E.

Vous le faurez un jour, je vous quitte à regret ;

Mais enfin il le faut.

PAULIN E.

Vous m'aimez ?
POLYE UCTE.

Je vous aime,

Le ciel m'en foit témoin, cent fois plus que moi

;

même

Mais.

...

PAULIN E.

Mais mon déplaifir ne vous peut émouvoir ?

Vous avez des fecrets que je ne puis favoir !
Quelle preuve d'amour! Au nom de l'hyménée,
Donnez à mes foupirs cette feule journée.
POLYE UCTE.

Un fonge vous fait peur !

PAULINE.

Ses préfages font vains,

РО

Je le fai; mais enfin je vous aime, & je crains.

POLYE UCTE.

Ne craignez rien de mal pour une heure d'absence.
Adieu. Vos pleurs fur moi prennent trop de puiffance.
Je fens déja mon cœur prêt à fe révolter;
Et ce n'eft qu'en fuyant que j'y puis résister.

SCENE III.

PAULINE, STRATONICE.

VA

PAULINE.

A, néglige mes pleurs, cours, & te précipite
Au devant de la mort que les dieux m'ont prédite.

Sui cet agent fatal de tes mauvais deftins,

Qui peut-être te livre aux mains des affaffins.

Tu vois, ma Stratonice, en quel ficcle nous fommes,
Voilà notre pouvoir fur les efprits des hommes,
Voilà ce qui nous refte; & l'ordinaire effet

De l'amour qu'on nous offre, & des vœux qu'on nous fait.

Tant qu'ils ne font qu'amans, nous fommes fouveraines,
Et jufqu'à la conquête ils nous traitent de reines ;
Mais après l'hyménée, ils font rois à leur tour.
STRATONICE.

Polyeucte pour vous ne manque point d'amour.
S'il ne vous traite ici d'entiére confidence,
S'il part malgré vos pleurs, c'eft un trait de prudence,
Sans vous en affliger, préfumez avec moi
Qu'il eft plus à propos qu'il vous céle pourquoi ;
Affurez-vous fur lui qu'il en a juste cause.

Il eft bon qu'un mari nous cache quelque chofe,
Qu'il foit quelque fois libre ; & ne s'abaiffe pas
A nous rendre toujours compte de tous fes pas.
On n'a tous deux qu'un cœur qui fent mêmes traverses;
Mais ce cœur a pourtant fes fonctions diverses;
Et la loi de l'hymen qui vous tient affemblés,
N'ordonne pas qu'il tremble alors que vous tremblez.

Ce

Ce qui fait vos frayeurs ne peut le mettre en peine,
Il eft Arménien, & vous êtes Romaine;
Et vous pouvez favoir que nos deux nations
N'ont pas fur ce fujet mêmes impreffions.
Un fonge en notre efprit paffe pour ridicule,
Il ne nous laiffe espoir, ni crainte, ni fcrupule
Mais il paffe dans Rome avec autorité
Pour fidéle miroir de la fatalité.

PAULINE.

Quelque peu de crédit que chez vous il obtienne,
Je croi que ta frayeur égaleroit la mienne,
Si de telles horreurs t'avoient frappé l'efprit,
Si je t'en avois fait feulement le récit.

STRATONICE.

A raconter ses maux fouvent on les foulage.
PAULIN E.
Ecoute, mais il faut te dire davantage,

Et que, pour mieux comprendre un fi triste discours,
Tu faches ma foibleffe, & mes autres amours.
Une femme d'honneur peut avouer fans honte
Ces furprises des fens que la raison furmonte,
Ce n'eft qu'en ces affauts qu'éclate la vertu ;
Et l'on doute d'un cœur qui n'a point combattu.
Dans Rome où je naquis ce malheureux visage
D'un chevalier Romain captiva le courage,
Il s'appelloit Sévére. Excufe les foupirs
Qu'arrache encore un nom trop cher à mes defirs.
STRATONICE.

Eft-ce lui qui naguére aux dépens de fa vie
Sauva des ennemis votre empereur Décie,
Qui leur tira mourant la victoire des mains;
Et fit tourner le fort des Perfes aux Romains ?
Lui qu'entre tant de morts immolés à fon maître
On ne put rencontrer, ou du moins reconnoître,
A qui Décie enfin, pour des exploits fi beaux,
Fit fi pompeusement dreffer de vains tombeaux ?
PAULIN E.

Hélas! C'étoit lui-même, & jamais notre Rome
N'a produit plus grand cœur, ni vû plus honnête homme.

T

Puifque

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