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JUGEMENT fur la TRAGEDIE de CINN A.

'Eft à cette Piece que d'une commune voix on a

Cadjugé le prix fur toutes celles de notre Poète.

Il juge que cette approbation fi forte & fi génerale ne peut venir que de ce que la vrai-femblance s'y trouve fi heureusement confervée aux endroits où la verité lui manque qu'il n'a jamais befoin de recourir au néceffaire. Rien n'y contredit l'Hiftoire, quoique beaucoup de chofes y foient ajoutées, rien n'y eft violenté par les incomodités de la représentation, ni par l'unité de jour, ni par celle de lieu. Il eft vrai qu'il s'y rencontre une duplicité de lieu particulier: mais il prétend que c'etoit une néceffité indifpenfable de le faire.

Au refte Cinna eft la derniere Piéce où l'Auteur fe foit pardonné les longs Monologues. Comme les Vers de la Tragédie d'Horace ont quelque chofe de plus net & de moins guindé pour les pensées que ceux du Cid; on peut dire que ceux de Cinna ont quelque chofe de plus achevé que ceux d'Horace; & qu'enfin la facilité de concevoir le fujet, qui n'eft'ni trop chargé d'incidens, ni trop embarasse des récits de ce qui s'eft passé avant le commencement de la Piéce, eft une des caufes, fans doute, de la grande approbation qu'elle a regue.

POLYEUCTE

POLYEUCTE

MARTY R,

TRAGEDIE

CHRETIENNE.

ACTEURS.

FELIX, fénateur Romain, gouverneur d'Arménie.

POLYE UCT E, feigneur Arménien, gendre de Félix.

SEVERE, chevalier Romain, favori de l'empereur Décie.

NEAR QUE, feigneur Arménien, ami de Polyeucte.

PAULIN E, fille de Félix, & femme de Polyeucte.

STRATONICE, confidente de Pauline.

ALBIN, confident de Félix.

FABIAN, domeftique de Sévere.

CLEON, domeftique de Félix.

TROIS GARDE S.

La fcéne eft à Mélitene capitale d'Arménie,
dans le palais de Félix.

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Q

NEAR QUE.

UOI? Vous vous arrêtez aux fonges d'une femme !

De fi foibles fujets troublent cette grande ame! Et ce cœur, tant de fois dans la guerre éprouvé, S'alarme d'un péril qu'une femme a rêvé !

POLYE UCTE. Je fai ce qu'eft un fonge, & le peu de croyance Qu'un homme doit donner à fon extravagance, Qui d'un amas confus des vapeurs de la nuit Forme de vains objets que le réveil détruit. Mais vous ne favez pas ce que c'eft qu'une femme, Vous ignorez quels droits elle a fur toute l'ame, Quand, après un long-tems qu'elle a sû nous charmer, Les flambeaux de l'hymen viennent de s'allumer. Pauline fans raifon dans la douleur plongée Craint, & croit déja voir ma mort qu'elle a fongée, Elle oppofe fes pleurs au deffein que je fais,

Et

Et tâche à m'empêcher de fortir du palais ;
Je méprife fa crainte, & je céde à fes larmes,
Elle me fait pitié fans me donner d'alarmes ;
Et mon cœur attendri, fans être intimidé,
N'ofe déplaire aux yeux dont il eft poffédé.
L'occafion, Néarque, eft-elle fi preffante,

Qu'il faille être infenfible aux foupirs d'une amante ?
Remettons ce deffein qui l'accable d'ennui,
Nous le pourrons demain, auffi-bien qu'aujourd'hui.
NEAR QU E.

Avez-vous cependant une pleine affurance
D'avoir affez de vie, ou de perfévérance,

Et Dieu qui tient votre ame & vos jours dans fa main
Promet-il à vos vœux de le pouvoir demain ?
Il est toujours tout juste, & tout bon, mais fa grace
Ne defcend pas toujours avec même efficace.
Après certains momens que perdent nos longueurs,
Elle quitte fes traits qui pénétrent les cœurs,
Le nôtre s'endurcit, la repouffe, l'égare,
Le bras qui la versoit en devient plus avare;
Et cette fainte ardeur qui doit porter au bien,
Tombe plus rarement, ou n'opére plus rien.
Celle qui vous preffoit de courir au batême,
Languiffante déja, ceffe d'être la même ;
Et pour quelques foupirs qu'on vous a fait ouir,
Sa flamme fe diffipe, & va s'évanouir.

POLYE UCT E.

Vous me connoiffez mal, la même ardeur me brûle ;
Et le défir s'accroît quand l'effet se recule.
Ces pleurs que je regarde avec un œil d'époux
Me laiffent dans le cœur auffi chrétien que vous ;
Mais pour en recevoir le facré caractére
Qui lave nos forfaits dans une eau falutaire,
Et qui, purgeant notre ame, & deffillant nos yeux,
Nous rend le premier droit que nous avions aux cieux,
Bien que je le préfére aux grandeurs d'un empire,
Comme le bien fuprême, & le feul où j'afpire,
Je croi, pour fatisfaire un juste & faint amour,
Pouvoir un peu remettre, & différer d'un jour.

NEARQUE.

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