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Nos deux ames, Seigneur, font deux ames Romaines,
Uniffant nos défirs nous unîmes nos haines.
De nos parens perdus le vif reffentiment
Nous apprit nos devoirs en un même moment,
En ce noble deffein nos cœurs fe rencontrérent,
Nos efprits généreux ensemble le formérent,
Ensemble nous cherchons l'honneur d'un beau trépas,
Vous vouliez nous unir, ne nous féparez pas.
AUGUST E.

Oui, je vous unirai, couple ingrat & perfide,
Et plus mon ennemi qu'Antoine, ni Lépide,
Oui, je vous unirai, puifque vous le voulez,
Il faut bien fatisfaire aux feux dont vous brûlez,
Et que tout l'univers, fachant ce qui m'anime,
S'étonne du fupplice, auffi-bien que du crime.
Mais enfin le ciel m'aime, & fes bienfaits nouveaux
Ont arraché Maxime à la fureur des eaux.

SCENE DERNIERE.

AUGUSTE, LIVIE, CINNA, MAXIME, EMILIE, FULVIE.

AUGUSTE.

Approche, feul ami, que j'éprouve fidéle.

MAXIM E.

Honorez moins, Seigneur, une ame criminelle.

AUGUST E.

Ne parlons plus de crime après ton repentir,
Après que du péril tu m'as sû garantir.
C'eft à toi que je dois, & le jour, & l'empire.
MAXIM E

De tous vos ennemis connoiffez mieux le pire..
Si vous régnez encor, Seigneur, fi vous vivez,
C'est ma jalouse rage à qui vous le devez.

Un

Un vertueux remords n'a point touché mon ame,
Pour perdre mon rival j'ai découvert fa trame;
Euphorbe vous a feint que je m'étois noyé,
De crainte qu'après moi vous n'euffiez envoyé.
Je voulois avoir lieu d'abuser Æmilie,
Effrayer fon efprit, la tirer d'Italie,

Et penfois la réfoudre à cet enlevement
Sous l'efpoir du retour pour venger fon amant.
Mais au lieu de goûter ces groffiéres amorces,
Sa vertu combattue a redoublé fes forces;
Elle a lû dans mon cœur. Vous favez le furplus,
Et je vous en ferois des récits fuperflus.
Vous voyez le fuccès de mon lâche artifice;
Si pourtant quelque grace eft dûe à mon indice;
Faites périr Euphorbe au milieu des tourmens,
Et fouffrez que je meure aux yeux de ces amans.
J'ai trahi mon ami, ma maîtreffe, mon maître,
Ma gloire, mon pays, par l'avis de ce traître,
Et croirai toutefois mon bonheur infini,
Si je puis m'en punir après l'avoir puni.

AUGUSTE.

En eft-ce affez, ô ciel, & le fort, pour me nuire,
A-t-il quelqu'un des miens qu'il veuille encor féduire ?
Qu'il joigne à fes efforts le fecours des enfers,

Je fuis maître de moi comme de l'univers,
Je le fuis, je veux l'être. O fiécles! O mémoire !
Confervez à jamais ma derniére victoire,
Je triomphe aujourd'hui du plus jufte courroux
De qui le fouvenir puiffe aller jufqu'à vous.

Soyons amis, Cinna, c'eft moi qui t'en convie,
Comme à mon ennemi je t'ai donné la vie ;
Et, malgré la fureur de ton lâche destin,
Je te la donne encor comme à mon affaffin.
Commençons un combat qui montre par l'iffue
Qui l'aura mieux de nous, ou donnée, ou reçûe.
Tu trahis mes bienfaits, je les veux redoubler,
Je t'en avois comblé, je t'en veux accabler.
Avec cette beauté que je t'avois donnée
Reçois le confulat pour la prochaine année.

Aime Cinna, ma fille, en cet illuftre rang,
Préferes-en la pourpre à celle de mon fang,
Apprens fur mon exemple à vaincre ta colere,
Te rendant un époux, je te rens plus qu'un pere.
EMILIE.

Et je me rens, Seigneur, à ces hautes bontés,
Je recouvre la vûe auprès de leurs clartés.
Je connois mon forfait qui me fembloit justice,
Et ce que n'avoit pû la terreur du fupplice,
Je fens naître en mon ame un repentir puiffant ;
Et mon cœur en fecret me dit qu'il y confent.
Le ciel a réfolu votre grandeur fuprême,

Et pour preuve, Seigneur, je n'en veux que moimême,

J'ofe avec vanité me donner cet éclat,

Puifqu'il change mon cœur, qu'il veut changer l'état.
Ma haine va mourir que j'ai crue immortelle,
Elle eft morte, & ce cœur devient fujet fidéle,
Et prenant déformais cette haine en horreur,
L'ardeur de vous fervir fuccéde à fa fureur.

CINNA.

Seigneur, que vous dirai je, après que nos offenfes,
Au lieu de châtimens trouvent des récompenfes ?
O vertu fans exemple ! O clémence, qui rend
Votre pouvoir plus juste, & mon crime plus grand!
AUGUST E.

Ceffe d'en retarder un oubli magnanime,

Et tous deux avec moi faites grace à Maxime;
Il nous a trahi tous, mais ce qu'il a commis
Vous conferve innocens, & me rend mes amis.

[à Maxime.]

Reprens auprès de moi ta place accoûtumée,
Rentre dans ton credit, & dans ta renommée,
Qu'Euphorbe de tous trois ait fa grace à son tour,
que demain l'hymen couronne leur amour.
Si tu l'aimes encor, ce fera ton fupplice.

Et

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MAXIM E.

Je n'en murmure point, il a trop de justice,
Et je fuis plus confus, Seigneur, de vos bontés
Que je ne fuis jaloux du bien que vous m'ôtez.
CINNA.

Souffrez que ma vertu dans mon cœur rappellée,
Vous confacre une foi lâchement violée,

Mais fi ferme à préfent, fi loin de chanceler,
Que la chûte du ciel ne pourroit l'ébranler.
Puiffe le grand moteur des belles destinées,
Pour prolonger vos jours, retrancher nos années ;
Et moi, par un bonheur dont chacun foit jaloux,
Perdre pour vous cent fois ce que je tiens de vous.
LIVIE.

Ce n'eft pas tout, Seigneur, une célefte flamme
D'un rayon prophétique illumine mon ame.
Oyez ce que les dieux vous font favoir par moi,
De votre heureux deftin c'eft l'immuable loi.

Après cette action vous n'avez rien à craindre,
On porreta le joug déformais fans fe plaindre,
Et les plus indomtés renverfant leurs projets
Mettront toute leur gloire à mourir vos fujets.
Aucun lâche deffein, aucune ingrate envie,
N'attaquera le cours d'une fi belle vie,
Jamais plus d'affaffins, ni de confpirateurs ;
Vous avez trouvé l'art d'être maître des cœurs.
Rome avec une joie, & fenfible, & profonde,
Se démet en vos mains de l'empire du monde,
Vos royales vertus lui vont trop enseigner
Que fon bonheur confifte à vous faire régner.
D'une fi longue erreur pleinement affranchie
Elle n'a plus de vœux que pour la monarchie,
Vous prépare déja des temples, des autels,
Et le ciel une place entre les immortels;
Et la postérité, dans toutes les provinces,
Donnera votre exemple aux plus généreux princes.
AUGUSTE.

J'en accepte l'augure, & j'ofe l'efpérer;
Ainfi toujours les dieux vous daignent inspirer.

Qu'on

Qu'on redouble demain les heureux facrifices Que nous leur offrirons fous de meilleurs aufpices; Et que vos conjurés entendent publier,

Qu'Augufte a tout appris, & veut tout oublier.

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