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Ai-je de bons avis, ou de mauvais foupçons,
De tous ces meurtriers te dirai-je les noms ?
Procule, Glabrion, Virginian, Rutile,
Marcel, Plaute, Lenas, Pompone, Albin, Icile,
Maxime, qu'après toi j'avois le plus aimé ;
Le refte ne vaut pas l'honneur d'être nommé,
Un tas d'hommes perdus de dettes & de crimes,
Que preffent de mes loix les ordres légitimes,
Et qui, défefpérant de les plus éviter,
Si tout n'elt renverfé, ne fauroient fubfiftér.
Tu te tais maintenant, & gardes le filence
Plus par confufion que par obéiffance.
Quel étoit ton deffein, & que prétendois-tu
Après m'avoir au temple à tes piéds abattu?
Affranchir ton pays d'un pouvoir monarchique?
Si j'ai bien entendu tantôt ta politique,
Son falut déformais dépend d'un fouverain
Qui, pour tout conferver, tienne tout en fa main;
Et fi fa liberté te faifoit entreprendre
Tu ne m'euffes jamais empêché de la rendre,
Tu l'aurois acceptée au nom de tout l'état,
Sans vouloir l'acquérir par un affaffinat.
Quel étoit donc ton but? D'y régner en ma place?
D'un étrange malheur fon deftin le menace,
Si pour monter au trône & lui donner la loi
Tu ne trouves dans Rome autre obftacle que moi,
Si jufques à ce point fon fort eft déplorable,
Que tu fois après moi le plus confidérable;
Et que ce grand fardeau de l'empire Romain
Ne puiffe après ma mort tomber mieux qu'en ta main.
Apprens à te connoître, & defcens en toi même.
On t'honore dans Rome, on te courtife, on t'aime,
Chacun tremble fous toi, chacun t'offre des vœux,
Ta fortune eft bien haut, tu peux ce que tu veux;
Mais tu ferois pitié, même à ceux qu'elle irrite,
Si je t'abandonnois à ton peu de mérite.
Ofe me démentir, dis-moi ce que tu vaux,
Conte-moi tes vertus, tes glorieux travaux,
Les rares qualités par où tu m'as dû plaire ;

Et

Et tout ce qui t'éleve au-deffus du vulgaire.
Ma faveur fait ta gloire, & ton pouvoir en vient,
Elle feule t'éleve, & feule te foutient,

C'eft elle qu'on adore, & non pas ta perfonne,

Tu n'as crédit, ni rang, qu'autant qu'elle t'en donne ;
Et, pour te faire choir, je n'aurois aujourd'hui
Qu'à retirer la main qui feule eft ton appui.
J'aime mieux toutefois céder à ton envie,
Régne, fi tu le peux, aux dépens de ma vie.
Mais ofes-tu penfer que les Serviliens,
Les Coffes, les Metels, les Pauls, les Fabiens,
Et tant d'autres enfin de qui les grands courages
Des héros de leur fang font les vives images,
Quittent le noble orgueil d'un fang fi généreux,
Jufqu'à pouvoir fouffrir que tu régnes fur eux ?
Parle, parle, il eft temps.

CINNA.

Je demeure ftupide,
Non que votre colere ou la mort m'intimide,
Je voi qu'on m'a trahi, vous m'y voyez rêver,
Et j'en cherche l'auteur fans le pouvoir trouver.
Mais c'est trop y tenir toute l'ame occupée.
Seigneur, je fuis Romain, & du fang de Pompée,
Le pere & les deux fils lâchement égorgés
Par la mort de Céfar étoient trop peu vengés.
C'eft-là d'un beau deffein l'illuftre & feule cause ;
Et, puifqu'à vos rigueurs la trahifon m'expofe,
N'attendez point de moi d'infames repentirs,
D'inutiles regrets, ni de honteux foupirs.

Le fort vous eft propice, autant qu'il m'eft contraire,
Je fais ce que j'ai fait, & ce qu'il vous faut faire.
Vous devez un exemple à la poftérité,

Et mon trépas importe à votre fûreté.

AUGUSTE.
Tu me braves, Cinna, tu fais le magnanime,
Et, loin de l'excufer, tu couronnes ton crime;
Voyons fi ta conftance ira jusques au bout.
Tu fais ce qui t'eft dû, tu vois que je fais tout,
Fais ton arrêt toi-même, & choifis tes fupplices.

SCENE

1

SCENE II.

AUGUSTE, LIVIE, CINNA,

EMILIE, FULVIE.

LIVIE.

Ous ne connoiffez pas encor tous les complices,
Votre Æmilie en eft, Seigneur, & la voici.

CINNA.

C'est elle même, ô dieux!

AUGUSTE.

Et toi, ma fille, auffi !

EMILI E.

Oui, tout ce qu'il a fait, il l'a fait pour me plaire,
Et j'en étois, Seigneur, la caufe, & le falaire.

AUGUST E.

Quoi! L'amour qu'en ton cœur j'ai fait naître aujourd'hui

T'emporte-t-il déja jufqu'à mourir pour lui?

'Ton ame à ces tranfports un peu trop s'abandonne, Et c'est trop tôt aimer l'amant que je te donne. EMILI E.

Cet amour qui m'expose à vos reffentimens

N'eft point le prompt effet de vos commandemens, Ces flammes dans nos cœurs fans votre ordre étoient nées;

Et ce font des fecrets de plus de quatre années.

Mais quoique je l'aimaffe, & qu'il brûlât pour moi,
Une haine plus forte à tous deux fit la loi :
Je ne voulus jamais lui donner d'efpérance
Qu'il ne m'eût de mon pere affuré la vengeance.
Je la lui fis jurer, il chercha des amis

Le ciel rompt le fuccès que je m'étois promis,
Et je vous viens, Seigneur, offrir une victime,
Non pour fauver fa vie en me chargeant du crime,
Son trépas eft trop jufte après fon attentat,

Et

Et toute excufe eft vaine en un crime d'état :
Mourir en fa présence, & rejoindre mon pere,
C'est tout ce qui m'améne, & tout ce que j'espére.
AUGUST E.

Jufques à quand, ô ciel, & par quelle raifon
Prendrez-vous contre moi des traits dans ma maison ?
Pour fes débordemens j'en ai chaffé Julie,
Mon amour en fa place a fait choix d'Æmilie,
Et je la voi comme elle indigne de ce rang,
L'une m'ôtoit l'honneur, l'autre a foif de mon fang,
Et prenant toutes deux leur paffion pour guide,
L'une fut impudique, & l'autre eft parricide.
O, ma fille, est-ce là le prix de mes bienfaits ?
EMILI E.

Ceux de mon pere en vous firent mêmes effets.
AUGUST E.

Songe avec quel amour j'élevai ta jeunesse.

EMILI E.

Il éleva la vôtre avec même tendreffe,
Il fut votre tuteur, & vous fon affaffin;
Et vous m'avez au crime enseigné le chemin.
Le mien d'avec le vôtre en ce point feul différe,
Que votre ambition s'est immolé mon pere:
Et qu'un jufte courroux dont je me fens brûler,
A fon fang innocent vouloit vous immoler.

LIVIE.

C'en eft trop, Emilie, arrête, & confidére
Qu'il t'a trop bien payé les bienfaits de ton pere:
Sa mort dont la mémoire allume ta fureur,
Fut un crime d'Octave, & non de l'empereur.
Tous ces crimes d'état qu'on fait pour la couronne,
Le ciel nous en abfout, alors qu'il nous la donne ;
Et dans le facré rang où fa faveur l'a mis,
Le paffe devient jufte, & l'avenir permis.
Qui peut y parvenir ne peut être coupable,
Quoiqu'il ait fait, ou faffe, il eft inviolable,
Nous lui devons nos biens, nos jours font en fa main
Et jamais on n'a droit fur ceux du fouverain.

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ÆMILIE.

Auffi dans le difcours que vous venez d'entendre,
Je parlois pour l'aigrir, & non pour me défendre.
Puniffez donc, Seigneur, ces criminels appas,
Qui de vos favoris font d'illuftres ingrats,
Tranchez mes tristes jours pour affurer les vôtres,
Si j'ai féduit Cinna, j'eu féduirai bien d'autres ;
Et je fuis plus à craindre, & vous plus en danger,
Si j'ai l'amour enfemble, & le fang à venger.

CINNA.

Que vous m'ayez féduit, & que je fouffre encore
D'être defhonoré par celle que j'adore!
Seigneur, la vérité doit ici s'exprimer,
J'avois fait ce deffein avant que de l'aimer.
A mes plus faints défirs la trouvant inflexible,
Je crûs qu'à d'autres foins elle feroit sensible,
Je parlai de fon pere, & de votre rigueur ;
Et l'offre de mon bras fuivit celle du cœur.
Que la vengeance eft douce à l'efprit d'une femme!
Je l'attaquai par-là, par-là je pris fon ame,
Dans mon peu de mérite elle me négligeoit ;
Et ne put négliger le bras qui la vengeoit.
Elle n'a confpiré que par mon artifice,
J'en fuis le feul auteur, elle n'eft que complice.
EMILI E.

Cinna, qu'ofes-tu dire? Eft-ce là me chérir,
Que de m'ôter l'honneur quand il me faut mourir!

CINNA.

Mourez, mais en mourant ne fouillez point ma gloire.

EMILI E.

La mienne se flétrit, fi Céfar te veut croire.

CINNA.

Et la mienne se perd, fi vous tirez à vous
Toute celle qui fuit de fi généreux coups.

EMILI E.

He bien, prens-en ta part, & me laiffe la mienne,
Ce feroit l'affoiblir que d'affoiblir la tienne,
La gloire & le plaifir, la honte & les tourmens,
Tout doit être commun entre de vrais amans.

Nos

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