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Ne te pouyant aimer, fais que je te regrette,
Montre d'un vrai Romain la derniére vigueur ;
Et mérite mes pleurs au défaut de mon cœur.
Quoi ? Si ton amitié pour Cinna s'intéresse,
Crois-tu qu'elle confifte à flatter fa maitresse ?
Apprens, apprens de moi quel en est le devoir;
Et donne-m'en l'exemple, ou viens le recevoir.
MAXIM E.

Votre jufte douleur eft trop impétueuse.
EMILI E.

La tienne en ta faveur est trop ingénieuse.
Tu ma parles déja d'un bienheureux retour ;
Et dans tes déplaifirs tu conçois de l'amour.
MAXIM E.

Cet amour en naiffant est toutefois extrême,
C'eft votre amant en vous, c'est mon ami que j'aime;
Et des mêmes ardeurs dont il fut embrafe...

EMILI E.

Maxime, en voilà trop pour un homme avifé,
Ma perte m'a furprise, & ne m'a point troublée,
Mon noble défespoir ne m'a point aveuglée,
Ma vertu toute entiére agit fans s'émouvoir;
Et je vois malgré moi plus que je ne veux voir.
MAXIM E.

Quoi ? Vous fuis-je fufpect de quelque perfidic?
EMILI E.

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Oui, tu-l'es, puifqu'enfin tu veux que je le die.
L'ordre de notre fuite eft trop bien concerté
Pour ne te foupçonner d'aucune lâcheté.

Les dieux feroient pour nous prodigues en miracles
S'ils en avoient fans toi levé tous les oftacles.
Fui fans moi. Tes amours font ici fuperflus.

MAXIM E.

Ah! Vous m'en dites trop.

EMILI E.

J'en préfume encor plus..

Ne crains pas toutefois que j'éclate en injures,
Mais n'espére non plus m'éblouir de parjures.

Si c'eft te faire tort que de m'en défier,
Vien mourir avec moi pour te justifier.
MAXIM E.

Vivez, belle Æmilie; & fouffrez qu'un efclave..
EMILI E.

Je ne t'écoute plus qu'en présence d'Octave.
Allons, Fulvie, allons.

·

SCENE VII.

MAXIME feul.

DEfefpéré, confus,

Et digne, s'il fe peut, d'un plus cruel refus,
Que réfous-tu, Maxime, & quel eft le fupplice
Que ta vertu prépare à ton vain artifice ?
Aucune illufion ne te doit plus flatter,
Æmilie en mourant va tout faire éclater,
Sur un même échaffaud la perte de fa vie
Etalera fa gloire & ton ignominie ;
Et fa mort va laiffer à la poftérité
L'infâme fouvenir de ta déloyauté.

Un même jour t'a vû par une fauffe adreffe,
Trahir ton fouverain, ton ami, ta maitresse,
Sans que de tant de droits en un jour violés,
Sans que de deux amans au tyran immolés,
Il te refte aucun fruit, que la honte & la rage
Qu'un remords inutile allume en ton courage.

Euphorbe, c'eft l'effet de tes lâches conseils;
Mais que peut on attendre enfin de tes pareils ?
Jamais un affranchi n'eft qu'un esclave infâme,
Bien qu'il change d'état il ne change point d'ame;
La tienne encor fervile avec la liberté

N'a pû prendre un rayon de générofité.
Tu m'as fait relever une injufte puiffance,

Tu m'as fait démentir l'honneur de ma naiffance,

Mon

Mon cœur te réfiftoit, & tu l'as combattu
Jufqu'à ce que ta fourbe ait fouillé fa vertu,
Il m'en coûte la vie, il m'en coûte la gloire,
Et j'ai tout mérité pour t'avoir voulu croire.
Mais les dieux permettront à mes ressentimens,
De te facrifier aux yeux des deux amans;
Et j'ofe m'affurer qu'en dépit de mon crime
Mon fang leur fervira d'affez pure victime,
Si dans le tien mon bras juftement irrité,
Peut laver le forfait de t'avoir écouté.

Fin du quatriéme afte.

R 2

ACTE

ACTE V.

SCENE PREMIERE. AUGUSTE, CINN A.

PR

AUGUSTE.

Rens un fiége, Cinna, prens, & fur toute chose,
Obferve exactement la loi que je t'impose,

Prête fans me troubler l'oreille à mes difcours,
D'aucun mot, d'aucun cri n'en interromps le cours,
Tiens ta langue captive, & fi ce grand filence
A ton émotion fait quelque violence,
Tu pourras me répondre après tout à loifir,
Sur ce point feulement contente mon défir.

CINNA.

Je vous obéïrai, Seigneur.

AUGUST E.

Qu'il te fouvienne

De garder ta parole, & je tiendrai la mienne.

Tu vois le jour, Cinna, mais ceux dont tu le tiens Furent les ennemis de mon pere, & les miens, Au milieu de leur camp tu reçûs la naissance; Et lorfqu'après leur mort tu vins en ma puiffance, Leur haine enracinée au milieu de ton sein, T'avoit mis contre moi les armes à la main. Tu fus mon ennemi, même avant que de naître. Et tu le fus encor quand tu me pûs connoître, Et l'inclination jamais n'a démenti Ce fang qui t'avoit fait du contraire parti. Autant que tu l'as pû, les effets l'ont fuivie, Je ne m'en fuis vengé qu'en te donnant la vie. Je te fis prifonnier pour te combler de biens, Ma cour fut ta prifon, mes faveurs tes liens, Je te reftituai d'abord ton patrimoine, Je t'enrichis après des dépouilles d'Antoine,

Et

Et tu fais que depuis, à chaque occafion,
Je fuis tombé pour toi dans la profufion.
Toutes les dignités que tu m'as demandées,
Je te les ai fur l'heure, & fans peine accordées ;
Je t'ai préféré même à ceux dont les parens
Ont jadis dans mon camp tenu les premiers rangs,
A ceux qui de leur fang m'ont acheté l'empire,
Et qui m'ont confervé le jour que je respire;
De la façon enfin qu'avec toi j'ai vêcu,
Les vainqueurs font jaloux du bonheur du vaincu.
Quand le ciel me voulut, en rappellant Mécene,
Après tant de faveurs montrer un peu de haine,
Je te donnai fa place en ce trifte accident;
Et te fis après lui mon plus cher confident.
Aujourd'hui même encor, mon ame irréfolue
Me preffant de quitter ma puiffance abfolue,
De Maxime & de toi j'ai pris les feuls avis,
Et ce font malgré lui les tiens que j'ai fuivis.
Bien plus. Ce même jour je te donne Æmilie,
Le digne objet des voeux de toute l'Italie;
Et qu'ont mise fi haut mon amour & mes foins,
Qu'en te couronnant roi, je t'aurois donné moins.
Tu t'en fouviens, Cinna, tant d'heur & tant de gloire
Ne peuvent pas fi-tôt fortir de ta mémoire ;
Mais ce qu'on ne pourroit jamais s'imaginer,
Cinna, tu t'en fouviens, & veux m'affaffiner.
CINNA.

Moi, Seigneur, moi que j'euffe une ame fi traîtreffe !
Qu'un fi lâche deffein ...

AUGUSTE.

Tu tiens mal ta promeffe,
Siéd-toi, je n'ai pas dit encor ce que je veux,
Tu te juftifieras après, fi tu le peux ;
Ecoute cependant, & tiens mieux ta parole.

Tu veux m'affaffiner, demain, au capitole,
Pendant le facrifice; & ta main pour fignal
Me doit au lieu d'encens donner le coup
fatal:
La moitié de tes gens doit occuper la porte,
L'autre moitié te fuivre, & te prêter main forte.
R 3

Ai-je

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