Page images
PDF
EPUB

Cinna vient; & je veux en tirer quelque chofe,
Pour mieux réfoudre après ce que je me propose.

[blocks in formation]

Puis-je d'un tel chagrin favoir quel eft l'objet ?

Emilie, & Céfar.

CINNA.

L'un & l'autre me gêne,
L'un me femble trop bon, l'autre trop inhumaine.
Plût aux dieux que Céfar employât mieux fes foins,
Et s'en fît plus aimer, ou m'aimât un peu moins,
Que fa bonté touchât la beauté qui me charme;
Et la pût adoucir, comme elle me défarme.
Je fens au fond du cœur mille remords cuifans
Qui rendent à mes yeux tous fes bienfaits préfens;
Cette faveur fi pleine, & fi mal reconnue,
Par un mortel reproche à tous momens me tue.
Jl me femble fur tout inceffamment le voir
Dépofer en nos mains fon abfolu pouvoir,
Ecouter nos avis, m'applaudir; & me dire,
Cinna, par vos confeils je retiendrai l'empire,
Mais je le retiendrai pour vous en faire part.
Et je puis dans fon fein enfoncer un poignard!
Ah! Plûtôt... Mais, hélas ! J'idolâtre Æmilie,
Un ferment exécrable à fa haine me lie,
L'horreur qu'elle a de lui me le rend odieux,
Des deux côtés j'offenfe, & ma gloire, & les dieux,
Je deviens facrilége, ou je fuis parricide;

Et vers l'un, ou vers l'autre il faut être perfide.

P 3

MAXIME.

MAXIM E.

Vous n'aviez point tantôt ces agitations,
Vous paroiffiez plus ferme en vos intentions,
Vous ne fentiez au cœur ni remords, ni reproche.
CINNA.

On ne les fent auffi que quand le coup approche;
Et l'on ne reconnoit de femblables forfaits
Que quand la main s'apprête à venir aux effets.
L'ame, de fon deffein jufque-là poffédée,
S'attache aveuglément à fa premiére idée ;
Mais alors quel efprit n'en devient point troublé ?
Ou plûtôt quel efprit n'en eft point accablé ?
Je crois que Brute même, à tel point qu'on le prife,
Voulut plus d'une fois rompre fon entreprise,
Qu'avant que de frapper elle lui fit fentir
Plus d'un remords en l'ame, & plus d'un repentir.
MAXIM E.

Il eut trop de vertu pour tant d'inquiétude,
Il ne foupçonna point fa main d'ingratitude,
Et fut contre un tyran d'autant plus animé,
Qu'il en reçut de biens, & qu'il s'en vit aimé.
Comme vous l'imitez, faites la même chose,
Et formez vos remords d'une plus jufte caufe,
De vos lâches confeils, qui feuls ont arrété
Le bonheur renaiffant de notre liberté.
C'eft vous feul aujourd'hui qui nous l'avez ôtée,
De la main de Céfar Brute l'eût acceptée;
Et n'eût jamais fouffert qu'un intérêt léger
De vengeance ou d'amour l'eût remise en danger.
N'écoutez plus la voix d'un tyran qui vous aime,
Et vous veut faire part de fon pouvoir suprême ;
Mais entendez crier Rome à votre côté,
Rens-moi, rens moi, Cinna, ce que tu m'as ôté,
Et fi tu m'as tantôt préféré ta maitresse,
Ne me préfère pas le tyran qui m'oppresse.
CIN NA.

Ami, n'accable plus un efprit malheureux,
Qui ne forme qu'en lâche un deffein généreux,
Envers nos citoyens je fai quelle eft ma faute ;

[blocks in formation]

Et leur rendrai bien-tôt tout ce que je leur ôte.
Mais pardonne aux abois d'une vieille amitié
Qui ne peut expirer fans me faire pitié ;
Et laiffe-moi, de grace, attendant Æmilie,
Donner un libre cours à ma mélancolie,
Mon chagrin t'importune, & le trouble où je fuis
Veut de la folitude à calmer tant d'ennuis.
MAXIM E.

Vous voulez rendre compte à l'objet qui vous bleffe
De la bonté d'Octave, & de votre foibleffe.
L'entretien des amans veut un entier fecret.
Adieu. Je me retire en confident discret.

D

SCENE III.

CINNA feul.

Onne un plus digne nom au glorieux empire Du noble fentiment que la vertu m'inspire; Et que l'honneur oppofe au coup précipité De mon ingratitude & de ma lâcheté. Mais plûtôt continue à le nommer foibleffe, Puisqu'il devient fi foible auprès d'une maitreffe, Qu'il refpecte un amour qu'il devroit étouffer, Ou que, s'il le combat, il n'ofe en triompher. En ces extrémités quel confeil dois-je prendre? De quel côté pancher ? A quel parti me rendre ? Qu'une ame généreuse a de peine à faillir ! Quelque fruit que par-là j'efpére de cueillir, Les douceurs de l'amour, celles de la vengeance, La gloire d'affranchir le lieu de ma naiffance, N'ont point affez d'appas pour flatter ma raison, S'il les faut acquérir par une trahison ; S'il faut percer le flanc d'un prince magnanime, Qui du peu que je fuis fait une telle estime, Qui me comble d'honneurs, qui m'accable de biens, Qui ne prend pour régner de confeil que les miens.

O coup
! O trahison trop indigne d'un homme !
Dure, dure à jamais l'esclavage de Rome,
Périffe mon amour, périffe mon espoir,
Plûtôt que de ma main parte un crime fi noir.
Quoi! Ne m'offre-t-il pas tout ce que je fouhaite,
Et qu'au prix de fon fang ma paffion achete ?
Pour jouir de fes dons faut-il l'affaffiner?
Et faut-il lui ravir ce qu'il me veut donner?

Mais je dépens de vous, ô ferment téméraire,
O haine d'Æmilie, ô fouvenir d'un pere,

Ma foi, mon cœur, mon bras, tout vous eft engagé,
Et je ne puis plus rien que par votre congé.
C'est à vous à régler ce qu'il faut que je faffe,
C'est à vous, Emilie, à lui donner fa grace,
Vos feules volontés préfident à fon fort ;
Et tiennent en mes mains, & fa vie, & fa mort.
O dieux, qui comme vous la rendez adorable,
Rendez-là comme vous à mes vœux exorable :
Et puifque de fes loix je ne puis m'affranchir,
Faites qu'à mes défirs je la puiffe fléchir.
Mais voici de retour cette aimable inhumaine

SCENE

IV.

EMILIE, CINNA, FULVIE.

G

EMILI E.

Races aux dieux, Cinna, ma frayeur étoit vaine,
I Aucun de tes amis ne t'a manqué de foi ;
Et je n'ai point eu lieu de m'employer pour toi.
Octave en ma présence a tout dit à Livie,

Et par cette nouvelle il m'a rendu la vie.
CINNA.

Le défavouerez-vous, & du don qu'il me fait
Voudrez-vous retarder le bienheureux effet?
ÆMILI E.

L'effet eft en ta main.

[ocr errors][merged small]

Je fuis toujours moi-même, & mon cœur n'eft point

autre,

Me donner à Cinna, c'est ne lui donner rien,
C'est seulement lui faire un présent de son bien.
CINNA.

Vous pouvez toutefois... O ciel! L'ofai-je dire!
EMILI E.

Que puis-je, & que crains-tu ?

CINNA.

Je tremble, je foupire,
Et vois que fi nos cœurs avoient mêmes défirs,
Je n'aurois pas befoin d'expliquer mes foupirs.
Ainfi je fuis trop sûr que je vais vous déplaire;
Mais je n'ofe parler, & je ne puis me taire.

EMILI E.

C'est trop me gêner, parle.

CINNA.

Il faut vous obéir,

Je vais donc vous déplaire, & vous m'allez haïr.
Je vous aime, Æmilie, & le ciel me foudroie,
Si cette paffion ne fait toute ma joie ;
Et fi je ne vous aime avec toute l'ardeur
Que peut un digne objet attendre d'un grand cœur.
Mais voyez à quel prix vous me donnez votre ame,
En me rendant heureux, vous me rendez infame,
Cette bonté d'Auguste .

EMILI E.

Il fuffit, je t'entens,
Je vois ton repentir & tes vœux inconftans,
Les faveurs du tyran emportent tes promeffes,
Tes feux & tes fermens cédent à fes careffes,
Et ton efprit crédule ofe s'imaginer

Qu'Augufte pouvant tout, peut auffi me donner,
Tu me veux de fa main, plûtôt que de la mienne;
Mais ne croi pas qu'ainfi jamais je t'appartienne.
11 peut faire trembler la terre fous fes pas,

Mettre

« PreviousContinue »