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Ne nous expofez plus à ces fameux revers,
Il est beau de mourir maître de l'univers ;
Mais la plus belle mort fouille notre mémoire,
Quand nous avons pû vivre & croître notre gloire.
CINNA.

Si l'amour du pays doit ici prévaloir,

C'est fon bien feulement que vous devez vouloir ;
Et cette liberté qui lui femble fi chere,

N'eft pour Rome, Seigneur, qu'un bien imaginaire,
Plus nuifible qu'utile, & qui n'approche pas
De celui qu'un bon prince apporte à fes états.
Avec ordre & raison les honneurs il dispense,
Avec difcernement punit & récompense;
Et difpofe de tout en jufte poffeffeur,
Sans rien précipiter de peur d'un fucceffeur.

Mais quand le peuple eft maître, on n'agit qu'en tu-
multe,

La voix de la raison jamais ne fe confulte,

Les honneurs font vendus aux plus ambitieux,
L'autorité livrée aux plus féditieux.

Ces petits fouverains qu'il fait pour une année,
Voyant d'un temps fi court leur puiffance bornée,
Des plus heureux deffeins font avorter le fruit,
De peur de le laiffer à celui qui les fuit.

Comme ils ont peu de part au bien dont ils ordon-
nent,

Dans le champ du public largement ils moissonnent,
Affurés que chacun leur pardonne aisément,
Efpérant à fon tour un pareil traitement.
Le pire des états c'eft l'état populaire.

AUGUSTE.

Et toutefois le feul qui dans Rome peut plaire.
Cette haine des rois que depuis cinq cens ans,
Avec le premier lait, fuccent tous les enfans,
Pour l'arracher des cœurs, eft trop enracinée
MAXIM E.

Oui, Seigneur, dans fon mal Rome eft trop obftinée,
Son peuple qui s'y plaît en fuit la guérison,
Sa coutume l'emporte, & non pas la raison,

Et

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Et cette vieille erreur que Cinna veut abattre,
Eft une heureuse erreur dont il est idolâtre,
Par qui le monde entier affervi fous fes loix
L'a vû cent fois marcher fur la tête des rois,
Son épargne s'enfler du fac de leurs provinces ;
Que lui pouvoient de plus donner les meilleurs princes?
J'ofe dire, Seigneur, que par tous les climats
Ne font pas bien reçûs toutes fortes d'états,
Chaque peuple a le fien conforme à sa nature,
Qu'on ne fauroit changer fans lui faire une injure;
Telle eft la loi du ciel, dont la fage équité
Séme dans l'univers cette diverfité.

Les Macédoniens aiment le monarchique,
Et le refte des Grecs la liberté publique,
Les Parthes, les Perfans veulent des fouverains,.
Et le feul confulat eft bon pour les Romains.
CINNA.

Il eft vrai que du ciel la prudence infinie
Départ à chaque peuple un différent génie :
Mais il n'eft pas moins vrai que cet ordre des cieux
Change felon les tems, comme felon les lieux.
Rome a reçû des rois fes murs & fa naiffance,
Elle tient des confuls fa gloire & fa puiflance;
Et reçoit maintenant de vos rares bontés
Le comble fouverain de fes profpérités..

Sous vous l'état n'eft plus en pillage aux armées,
Les portes de Janus par vos mains font fermées,
Ce que fous fes confuls on n'a vu qu'une fois,
Et qu'a fait voir comme eux le fecond de fes rois..
MAXIM E.

Les changemens d'état que fait l'ordre céleste
Ne coûtent point de fang, n'ont rien qui foit funefte.
CINNA.

C'est un ordre des dieux, qui jamais ne fe rompt,
De nous vendre bien cher les grands biens qu'ils nous
font.

L'exil des Tarquins même enfanglanti nos terres ;
Et nos premiers confuls nous ont coûté des guerres.

MAXIME.

MAXIM E.

Donc votre ayeul Pompée au ciel a résisté,
Quand il a combattu pour notre liberté ?
CINNA.

Si le ciel n'eût voulu que Rome l'eût perdue,
Par les mains de Pompée il l'auroit défendue,
Il a choifi fa mort pour fervir dignement
D'une marque éternelle à ce grand changement;
Et devoit cette gloire aux mânes d'un tel homme,
D'emporter avec eux la liberté de Rome.

Ce nom, depuis long-tems, ne fert qu'à l'éblovïr,
Et fa propre grandeur l'empêche d'en jouïr.
Depuis qu'elle fe voit la maîtreffe du monde
Depuis que la richeffe entre les murs abonde,
Et que fon fein fécond en glorieux exploits
Produit des citoyens plus puiffans que des rois,
Les grands pour s'affermir achetant les fuffrages,
Tiennent pompeufement leurs maîtres à leurs gages,
Qui, par des fers dorés fe laiffant enchaîner,
Reçoivent d'eux les loix qu'ils pensent leur donner.
Envieux l'un de l'autre, ils ménent tout par brigues,
Que leur ambition tourne en fanglantes ligues.
Ainfi de Marius Sylla devint jaloux,

Céfar de mon ayeul, Marc-Antoine de vous;
Ainfi la liberté ne peut plus être utile,
Qu'à former les fureurs d'une guerre civile,
Lorfque, par un défordre à l'univers fatal,
L'un ne veut point de maître, & l'autre point d'égal.
Seigneur, pour fauver Rome, il faut qu'elle s'uniffe
En la main d'un bon chef à qui tout obéiffe.

Si vous aimez encore à la favoriser,

Otez-lui les moyens de fe plus divifer.
Sylla quittant la place enfin bien ufurpée,
N'a fait qu'ouvrir le champ à Céfar & Pompée,
Que le malheur des tems ne nous eût pas fait voir,
S'il eût dans fa famille affuré fon pouvoir.
Qu'a fait du grand Céfar le cruel parricide,
Qu'élever contre vous Antoine avec Lepide,
Qui n'euffent pas détruit Rome par les Romains,

Si Céfar eût laiffé l'empire entre vos mains?
Vous la replongerez, en quittant cet empire,
Dans les maux, dont à peine encore elle refpire;
Et de ce peu, Seigneur, qui lui refte de fang,
Une guerre nouvelle épuifera fon flanc.

Que l'amour du pays, que la pitié vous touche,
Votre Rome à genoux vous parle par ma bouche.
Confidérez le prix que vous avez coûté,

Non pas qu'elle vous croie avoir trop acheté,
Des maux qu'elle a foufferts elle eft trop bien payée
Mais une jufte peur tient fon ame effrayée.
Si jaloux de fon heur, & las de commander,
Vous lui rendez un bien qu'elle ne peut garder,
S'il lui faut à ce prix en acheter un autre,
Si vous ne préférez fon intérêt au vôtre,
Si ce funefte don la met au défespoir,
Je n'ofe dire ici ce que j'ofe prévoir.
Confervez-vous, Seigneur, en lui laiffant un maître,
Sous qui fon vrai bonheur commence de renaître ;
Et pour mieux affurer le bien commun de tous,
Donnez un fucceffeur qui foit digne de vous.

AUGUST E.

N'en déliberons plus, cette pitié l'emporte,
Mon repos m'eft bien cher, mais Rome eft la plus forte;
Et, quelque grand malheur qui m'en puiffe arriver,
Je confens à me perdre afin de la fauver.
Pour ma tranquillité mon cœur en vain foupire,
Cinna, par vos confeils je retiendrai l'empire,
Mais je le retiendrai pour vous en faire part.

Je vois trop que vos cœurs n'ont point pour moi de fard,

Et
que chacun de vous, dans l'avis qu'il me donne,
Regarde feulement l'état & ma perfonne;

Votre amour en tous deux fait ce combat d'efprits,
Et vous allez tous deux en recevoir le prix.

Maxime, je vous fais gouverneur de Sicile.
Allez donner mes loix à ce terroir fertile,
Songez que c'eft pour moi que vous gouvernerez ;
Et que je répondrai de ce que vous ferez.

Pour

Pour épouse, Cinna, je vous donne Æmilie,
Vous favez qu'elle tient la place de Julie;
Et que fi nos malheurs & la néceffité
M'ont fait traiter fon pere avec févérité,
Mon épargne depuis en fa faveur ouverte
Doit avoir adouci l'aigreur de cette perte.
Voyez-la de ma part, tâchez de la gagner,
Vous n'êtes point pour elle un homme à dédaigner,
De l'offre de vos vœux elle fera ravie.
Adieu, j'en vais porter la nouvelle à Livie.

Qu

SCENE II.

CINNA, MAXIM E.

MAXIM E.

Uel eft votre deffein après ces beaux discours?
CINNA.

Le même que j'avois, & que j'aurai toujours.
MAXIM E.

Un chef de conjurés flatte la tyrannie !

CINNA.

Un chef de conjurés la veut voir impunie!

MAXIM E.

Je veux voir Rome libre.

CINNA.

Et vous pouvez juger

Que je veux l'affranchir enfemble, & la venger.

Octave aura donc vû fes fureurs affouvies,

Pillé jufqu'aux autels, facrifié nos vies,

Rempli les champs d'horreur, comblé Rome de morts,
Et fera quitte après pour l'effet d'un remords !
Quand le ciel par nos mains à le punir s'apprête,
Un lâche repentir garantira fa tête !
C'est trop femer d'appas, & c'est trop inviter
Par fon impunité quelque autre à l'imiter.

Vengeons

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