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EMILI E.

Avec moins de frayeur je vais donc chez Livie,
Puifque dans ton péril il me refte un moyen
De faire agir pour toi fon crédit & le mien.
Mais fi mon amitié par-là ne te délivre,
N'efpére pas qu'enfin je veuille te furvivre,
Je fais de ton deftin des régles à mon fort;
Et j'obtiendrai ta vie, ou je fuivrai ta mort.
CINNA.

Soyez en ma faveur moins cruelle à vous-même.
EMILI E.

Va-t-en, & fouviens-toi feulement que je t'aime.

Fin du premior afte.

ACTE

ACTE II.

SCENE PREMIERE.

AUGUSTE, CINNA, MAXIME, Troupes de Courtisans.

AUGUSTE.

Ue chacun fe retire, & qu'aucun n'entre ici.

QVous, Cinna, demeurez, & vous, Maxime, aufti,

[Tous fe retirent, à la referve de Cinna & de
Maxime.]

Cet empire abfolu fur la terre & fur l'onde,
Ce pouvoir fouverain que j'ai fur tout le monde,
Cette grandeur fans borne, & cet illuftre rang
Qui m'a jadis coûté tant de peine & de fang,
Enfin tout ce qu'adore en ma haute fortune
D'un courtifan flatteur la préfence importune,
N'eft que de ces beautés dont l'éclat éblouit,
Et qu'on ceffe d'aimer fi-tôt qu'on en jouit.
L'ambition déplaît quand elle eft affouvic,
D'une contraire ardeur fon ardeur est suivie,
Et comme notre efprit, jufqu'au dernier foupir,
Toujours vers quelque objet pouffe quelque défir,
11 fe ramene en foi n'ayant plus où fe prendre,
Et monté fur le faîte îl aspire à descendre.
J'ai fouhaité l'empire, & j'y fuis parvenu,
Mais en le fouhaitant je ne l'ai pas connu.
Dans fa poffeffion j'ai trouvé pour tous charmes
D'effroyables foucis, d'éternelles alarmes,
Mille ennemis fecrets, la mort à tous propos,
Point de plaifir fans trouble, & jamais de repos.
Sylla m'a précedé dans ce pouvoir fuprême,
Le grand Céfar mon pere en a joui de même,
D'un œil fi différent tous deux l'ont regardé,
O 2

Que

Que l'un s'en eft démis, & l'autre l'a gardé :
Mais l'un cruel, barbare, eft mort aimé, tranquille,
Comme un bon citoyen dans le fein de fa ville,
L'autre tout débonnaire, au milieu du sénat,
A vû trancher fes jours par un afsassinat.
Ces exemples récens fufiroient pour m'inftruire,
Si par l'exemple feul on fe devoit conduire,
L'un m'invite à le fuivre, & l'autre me fait peur:
Mais l'exemple fouvent n'eft qu'un miroir trompeur,
Et l'ordre du deftin qui gêne nos pensées,
N'eft pas toujours écrit dans les chofes paffées.
Quelquefois l'un fe brife où l'autre s'eft fauvé,
Et par
où l'un périt, un autre eft confervé.

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Voilà, mes chers amis, ce qui me met en peine.
Vous, qui me tenez lieu d'Agrippe & de Mécéne,
Pour réfoudre ce point avec eux débattu,

Prenez fur mon efprit le pouvoir qu'ils ont eu.
Ne confidérez point cette grandeur fuprême,
Odieufe aux Romains, & pefante à moi-même,
Traitez-moi comme ami, non comme fouverain ;
Rome, Augufte, l'état, tout eft en votre main.
Vous mettrez & l'Europe, & l'Afie, & l'Afrique,
Sous les loix d'un monarque, ou d'une république,
Votre avis eft ma régle, &, par ce feul moyen,
Je veux être empereur, ou fimple citoyen.

CINNA.

Malgré notre furprise, & mon infuffifance,
Je vous obéirai, Seigneur, fans complaifance,
Et mets bas le respect qui pourroit m'empêcher
De combattre un avis où vous femblez pancher.
Souffrez-le d'un efprit jaloux de votre gloire,
Que vous allez fouiller d'une tache trop noire,
Si vous ouvrez votre ame à ces impreffions,
Jufques à condamner toutes vos actions.
On ne renonce point aux grandeurs légitimes,
On garde fans remords ce qu'on acquiert fans crimes;
Et plus le bien qu'on quitte eft noble, grand, exquis,
Plus qui l'ofe quitter le juge mal acquis.

N'imprimez pas, Seigneur, cette honteufe marque

A

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A ces rares vertus qui vous ont fait monarque,
Vous l'étes juftement, & c'est fans attentat
Que vous avez changé la forme de l'état.

Rome eft deffous vos loix par le droit de la guerre,
Qui fous les loix de Rome a mis toute la terre,
Vos armes l'ont conquife; & tous les conquérans
Pour être ufurpateurs, ne font pas des tyrans.
Quand ils ont fous leurs loix affervi des provinces,
Gouvernant juftement ils s'en font juftes princes.
C'est ce que fit Céfar, il vous faut aujourd'hui
Condamner fa mémoire, ou faire comme lui.
Si le pouvoir fuprême eft blâmé par Auguste,
Céfar fut un tyran, & fon trépas fut juste ;
Et vous devez aux dieux compte de tout le fang
Dont vous l'avez vengé pour monter à fon rang.
N'en craignez point, Seigneur, les tristes destinées,
Un plus puiffant démon veille fur vos années,
On a dix fois fur vous attenté fans effet,
Et qui l'a voulu perdre au même inftant l'a fait.
On entreprend affez, mais aucun n'exécute,
Il est des affaffins, mais il n'est plus de Brute ;
Enfin, s'il faut attendre un semblable revers,
Il est beau de mourir maître de l'univers.
C'est ce qu'en peu de mots j'ofe dire, & j'eftime
Que ce peu que j'ai dit eft l'avis de Maxime.
MAXIM E.

Oui, j'accorde qu'Augufte a droit de conferver
L'empire où fa vertu l'a fait feule arriver;
Et qu'au prix de fon fang, au péril de fa tête,
Il a fait de l'état une jufte conquête :
Mais que fans fe noircir il ne puiffe quitter
Le fardeau que fa main eft laffe de porter,
Qu'il accufe par-là Céfar de tyrannie,
Qu'il approuve fa mort, c'eft ce que je dénie.

1

Rome eft à vous, Seigneur, l'empire eft votre bien, Chacun en liberté peut difpofer du fien,

Il le peut à fon choix, garder, ou s'en défaire,
Vous feul ne pourriez pas ce que peut le vulgaire ;
Et feriez devenu, pour avoir tout domté,

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Efclave des grandeurs où vous étes monté !
Poffédez-les, Seigneur, fans qu'elles vous poffédent,
Loin de vous captiver, fouffrez qu'elles vous cédent,
Et faites hautement connoître enfin à tous

Que tout ce qu'elles ont eft au-deffous de vous.
Votre Rome autrefois vous donna la naissance,
Vous lui voulez donner votre toute-puissance,
Et Cinna vous impute à crime capital,
La libéralité vers le pays natal !
Il appelle remords l'amour de la patrie !
Par la haute vertu la gloire est donc flétrie ;
Et ce n'eft qu'un objet digne de nos mépris,
Si de ces pleins effets l'infamie eft le prix.
Je veux bien avouer qu'une action fi belle
Donne à Rome bien plus que vous ne tenez d'elle,
Mais commet-on un crime indigne de pardon,
Quand la reconnoiffance eft au-deffus du don?
Suivez, fuivez, Seigneur, le ciel qui vous infpire,
Votre gloire redouble à mépriser l'empire;
Et vous ferez fameux chez la postérité,

Moins pour l'avoir conquis, que pour l'avoir quitté.
Le bonheur peut conduire à la grandeur fuprême,
Mais pour y renoncer il faut la vertu même ;
Et peu de généreux vont jufqu'à dédaigner,
Après un fceptre acquis, la douceur de régner.

Confidérez d'ailleurs que vous régnez dans Rome,
Ou de quelque façon que votre cour nous nomme,
On hait la monarchie, & le nom d'empereur,
Cachant celui de roi, ne fait pas moins d'horreur.
Il paffe pour tyran quiconque s'y fait maître,
Qui le fert, pour efclave, & qui l'aime, pour traître,
Qui le fouffre, a le cœur lâche, mol, abattu,
Et, pour s'en affranchir, tout s'appelle vertu.
Vous en avez, Seigneur, des preuves trop certaines,
On a fait contre vous dix entreprises vaines,
Peut-être que l'onziéme eft prête d'éclater;
Et que ce mouvement qui vous vient d'agiter
N'eft qu'un avis fecret que le ciel vous envoie,
Qui, pour vous conferver, n'a plus que cette voie.

Ne

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