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J'aurois sû mieux ufer de l'entiére puiffance
Que me donne fur lui les droits de la naissance ;
J'aime trop l'honneur, Sire, & ne fuis point de rang
A fouffrir ni d'affront, ni de crime en mon fang.
C'est dont je ne veux point de témoin que
Valere,
Il a vû quel accueil lui gardoit ma colere,
Lors qu'ignorant encor la moitié du combat,
Je croyois que fa fuite avoit trahi l'état.
Qui le fait fe charger des foins de ma famille ?
Qui le fait malgré moi vouloir venger ma fille ?
Et par quelle raison, dans fon jufte trépas,
Prend-t-il un intérêt qu'un pere ne prend pas ?
On craint qu'après fa fœur il n'en maltraite d'autres !
Sire, nous n'avons part qu'à la honte des nôtres ;
Et de quelque façon qu'un autre puiffe agir,
Qui ne nous touche point ne nous fait point rougir.
[à Valere.]

Tu peux pleurer, Valere, & même aux yeux d'Horace,
Il ne prend intérêt qu'aux crimes de fa race,
Qui n'eft point de fon fang ne peut faire d'affront
Aux lauriers immortels qui lui ceignent le front.
Lauriers, facrés rameaux qu'on veut réduire en poudre,
Vous qui mettez fa tête à couvert de la foudre,
L'abandonnerez-vous à l'infame couteau

Qui fait choir les méchans fous la main d'un boureau ?
Romains, fouffrirez-vous qu'on vous immole un homme,
Sans qui Rome aujourd'hui cefferoit d'être Rome,
Et qu'un Romain s'efforce à tacher le renom
D'un guerrier à qui tous doivent un fi beau nom?
Di, Valere, di-nous, fi tu veux qu'il périffe,
Où tu penfes choifir un lieu pour fon fupplice?
Sera-ce entre ces murs, que mille & mille voix
Font raisonner encor du bruit de fes exploits?
Sera-ce hors des murs, au milieu de ces places
Qu'on voit fumer encor du fang des Curiaces,
Entre leurs trois tombeaux, & dans ce champ d'honneur
Témoin de fa vaillance, & de notre bonheur ?
Tu ne faurois cacher fa peine à fa victoire,

Dans les murs, hors des murs, tout parle de fa gloire,

Tout

Tout s'oppose à l'effort de ton injufte amour,
Qui veut d'un fi bon fang fouiller un fi beau jour.
Albe ne pourra pas fouffrir un tel spectacle ;
Et Rome par fes pleurs y mettra trop d'obstacle.
Vous les préviendrez, Sire; & par un jufte arrêt
Vous faurez embraffer bien mieux fon intérêt,
Ce qu'il a fait pour elle il peut encor le faire,
Il peut la garantir encor d'un fort contraire.
Sire, ne donnez rien à mes débiles ans,
Rome aujourd'hui m'a vû pere de quatre enfans,
Trois en ce même jour font morts pour fa querelle,
Il m'én refte encore un, confervez-le pour elle,
N'ôtez pas à fes murs un fi puiffant appui ;
Et fouffrez, pour finir, que je m'adreffe à lui.
Horace, ne croi pas que le peuple stupide
Soit le maître abfolu d'un renom bien folide.
Sa voix tumultueufe affez fouvent fait bruit,
Mais un moment l'éléve, un moment le détruit ;
Et ce qu'il contribue à notre renommée,
Toujours en moins de rien fe diffipe en fumée.
C'eft aux rois, c'eft aux grands, c'eft aux efprits bien
faits,

A voir la vertu pleine en fes moindres effets;
C'eft d'eux feuls qu'on reçoit la véritable gloire,
Eux feuls des vrais héros affurent la mémoire.
Vi toujours en Horace, & toujours auprès d'eux
Ton nom demeurera grand, illuftre, fameux,
Bien que l'occafion moins haute, ou moins brillante,
D'un vulgaire ignorant trompe l'injuste attente.
Ne hai donc plus la vie, & du moins vi pour moi ;
pour fervir encor ton pays & ton roi.
Sire, j'en ai trop dit, mais l'affaire vous touche ;
Et Rome toute entiére a parlé par ma bouche.
VALERE.

Et

Sire, permettez-moi. . . .

TULLE.

Valere, c'eft affez,

Vos difcours par les leurs ne font pas effacés,
J'en garde en mon efprit les forces plus preffantes ;

Et

Et toutes vos raisons me font encor présentes.
Cette énorme action faite prefque à nos yeux,
Outrage la nature, & bleffe jufqu'aux dieux.
Un premier mouvement qui produit un tel crime,
Ne fauroit lui fervir d'excuse légitime,

Les moins févéres loix en ce point font d'accord;
Et fi nous les fuivons, il eft digne de mort.
Si d'ailleurs nous voulons regarder le coupable,
Ce crime, quoique grand, énorme, inéxcufable,
Vient de la même épée, & part du même bras,
Qui me fait aujourd'hui maître de deux états.
Deux fceptres en ma main, Albe à Rome affervie,
Parlent bien hautement en faveur de fa vie.
Sans lui j'obéirois où je donne la loi;
Et je fercis fujet où je fuis deux fois roi.
Affez de bons fujets dans toutes les provinces

Par des vœux impuiffans s'acquitent vers leurs princes.
Tous les peuvent aimer, mais tous ne peuvent pas
Par d'illuftres effets affurer leurs états,

;

Et l'art, & le pouvoir d'affermir des couronnes,
Sont des dons que le ciel fait à peu de perfonnes,
De pareils ferviteurs font les forces des rois ;
Et de pareils auffi font au-deffus des loix.
Qu'elles fe taifent donc, que Rome diffimule
Ce que dès fa naiffance elle vit en Romule
Elle peut bien fouffrir en fon libérateur
Ce qu'elle a bien fouffert en fon premier auteur.
Vi donc, Horace, vi, guerrier trop magnanime,
Ta vertu met ta gloire au-deffus de ton crime,
Sa chaleur généreufe a produit ton forfait,
D'une caufe fi belle il faut fouffrir l'effet.
Vi pour fervir l'état, vi, mais aime Valere,
Qu'il ne refte entre vous ni haine ni colere ;
Et foit qu'il ait fuivi l'amour, ou le devoir,
Sans aucun fentiment réfous-toi de le voir.
Sabine, écoutez moins la douleur qui vous preffe,
Chaffez de ce grand cœur ces marques de foibleffe,
C'eft en féchant vos pleurs que vous vous montrerez
La véritable fœur de ceux que vous pleurez.

Mais nous devons aux dieux demain un facrifice,
Et nous aurions le ciel à nos vœux mal propice,
Si nos prêtres, avant que de facrifier,
Ne trouvoient les moyens de le purifier.
Son pere en prendra foin; il lui fera facile
D'apaifer tout d'un temps les mânes de Camille.
Je la plains, & pour rendre à fon fort rigoureux
Ce que peut fouhaiter fon efprit amoureux,
Puifqu'en un même jour l'ardeur d'un même zéle
Achéve le deftin de fon amant, & d'elle,

Je veux qu'un même jour témoin de leurs deux morts, Dans un même tombeau voie enfermer leurs corps.

FIN.

Jugement

142

JUGEMENT fur la TRAGEDIE d'HORACE.

L

E genie de Mr. Corneille s'étant une fois déclaré par le Cid, dit Mr. Bayle, on ne vit prefque plus que des chefs-d'œuvres nouveaux qu'il fit paroître durant cinq ou fix années confécutives. C'eft le tems précis qu'on peut marquer, felon le même Auteur, pour celui où le théatre François a été au plus haut point de fa gloire; & affurément il etoit alors bien au-deffus de l'ancien théatre d'Athènes, fi nous en croyons ce critique & les autres Connoiffeurs.

Horace fut pour le tems le premier de tous ces Ouvrages admirables qui fuivirent le Cid. Cette piece pourroit passer pour la plus belle des fiennes, fi les derniers Actes répondoient aux premiers. C'eft le jugement qu'en a fait l'Auteur lui-même, qui ajoute que la mort de Camille gâte la fin de ces Actes, non pas à cause qu'elle se fait fur le Théatre, mais parce que cette Action qui devient la principale de la Piéce eft momentanée, & n'a point cette jufte grandeur que demande Ariftote, qui confifte en un commencement, un millieu & une fin. Action furprend tout d'un coup, faute d'une préparation fuffifante que le Poëte devoit y donner.

Cette

L'Auteur y a trouvé encore un autre Défaut confiderable, en ce que cette mort fait une Action double, à caufe de deux périls qui font autant d'Actions & il compte auffi pour une grande imperfection l'inégalité qui paroît dans la dignité des Perfonages comme Camille & Sabine, quoi qu'il y ait égalité dans les mœurs. Il ajoute que ce defaut en Rodelinde a eté une des principales caufes du mauvais fuccès de fon Pertharite.

Le

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