Page images
PDF
EPUB

Le vieil HORACE.

N'en prenez aucun foin,

C'est un foulagement dont je n'ai pas besoin;

Et j'aime mieux voir morts que couverts d'infamie
Ceux que vient de m'ôter une main ennemie.

Tous deux pour leur pays font morts en gens d'honneur,
Il me fuffit.

VALER E.

Mais l'autre eft un rare bonheur,
De tous les trois chez vous il doit tenir la place.
Le vieil H ORACE.

Que n'a-t-on vû périr en lui le nom d'Horace !
VALER E.

Seul vous le maltraitez après ce qu'il a fait.
Le vieil H ORACE.
C'est à moi feul auffi de punir fon forfait.

VALER E.

Quel forfait trouvez-vous en fa bonne conduite ?
Le vieil H ORACE.
Quel éclat de vertu trouvez-vous en fa fuite?
VALER E.

La fuite eft glorieuse en cette occafion.

Le vieil HORACE.

Vous redoublez ma honte & ma confufion,
Certes l'exemple eft rare & digne de mémoire,
De trouver dans la fuite un chemin à la gloire !
VALER E.

Quelle confufion, & quelle honte à vous

D'avoir produit un fils qui nous conferve tous,
Qui fait triompher Rome; & lui gagne un empire?
A quels plus grands honneurs faut-il qu'un pere aspire ?
Le vieil H ORACE.

Quels honneurs, quel triomphe, & quel empire enfin
Lorfqu'Albe fous fes loix range notre destin ?
VALER E.

Que parlez-vous ici d'Albe, & de fa victoire ?
Ignorez-vous encor la moitié de l'hiftoire ?
Le vieil H ORACE.

Je fai que par fa fuite il a trahi l'état.

VALER E.

Oui, s'il eût en fuyant terminé le combat;

Mais on a bien-tôt vû qu'il ne fuyoit qu'en homme
Qui favoit ménager l'avantage de Rome.
Le vieil H ORACE.

Quoi? Rome donc triomphe!

VALER E.

Apprenez, apprenez La valeur de ce fils qu'à tort vous condamnez. Refté feul contre trois, mais en cette avanture, Tous trois étant bleffés, & lui feul fans bleffure, Trop foible pour eux tous, trop fort pour chacun d'eux, Il fait bien fe tirer d'un pas fi hazardeux, Il fuit pour mieux combattre, & cette prompte rufe Divife adroitement trois freres qu'elle abufe. Chacun le fuit d'un pas, ou plus, ou moins preffé, Selon qu'il fe rencontre, ou plus, ou moins bleffé; Leur ardeur eft égale à pourfuivre fa fuite; Mais leurs coups inégaux féparent leur pourfuite, Horace les voyant l'un de l'autre écartés, Se retourne, & déja les croit demi domtés, Il attend le premier, & c'étoit votre gendre. L'autre tout indigné qu'il ait ofé l'attendre, En vain en l'attaquant fait paroître un grand cœur, Le fang qu'il a perdu rallentit fa vigueur. Albe à fon tout commence à craindre un fort contraire, Elle crie au fecond qu'il fecoure fon frere, Il fe hâte & s'épuife en efforts fuperflus,

Il trouve en le joignant que fon frere n'eft plus.

Hélas!

CAMILLE.

VALERE.

Tout hors d'haleine il prend pourtant fa place, Et redouble bien-tôt la victoire d'Horace, Son courage fans force eft un débile appui, Voulant venger fon frere, il tombe auprès de lui. L'air raisonne des cris qu'au ciel chacun envoie, Albe en jette d'angoiffe, & les Romains de joie. Comme notre héros fe voit prêt d'achever,

C'eft

C'est peu pour
lui de vaincre, il veut encor braver.
J'en viens d'immoler deux aux mânes de mes freres,
Rome aura le dernier de mes trois adverfaires,
C'est à fes intérêts que je vais l'immoler,
Dit-il, & tout d'un temps on le voit
y voler.
La victoire entr'eux deux n'étoit pas incertaine,
L'Albain percé de coups ne fe traînoit qu'à peine ;
Et comme une victime aux marches de l'autel,
Il fembloit préfenter fa gorge au coup mortel.
Auffi le reçoit-il, peu s'en faut, fans défense,
Et fon trépas de Rome établit la puissance.
Le vieil HORACE.

O mon fils! O ma joie! O l'honneur de nos jours!
O d'un état panchant l'inespéré secours!
Vertu digne de Rome, & fang digne d'Horace,
Appui de ton pays, & gloire de ta race!

Quand pourrai-je étouffer dans tes embraffemens
L'erreur dont j'ai formé de fi faux fentimens ?
Quand pourra mon amour baigner avec tendreffe
Ton front victorieux de larmes d'allégreffe ?
VALER E.

Vos careffes bien-tôt pourront fe déployer,
Le roi dans un moment vous le va renvoyer,
Et remet à demain la pompe qu'il prépare
D'un facrifice aux dieux pour un bonheur fi rare.
Aujourd'hui feulement on s'acquite vers eux
Par des chants de victoire & par de fimples vœux,
C'eft où le roi le méne; & tandis il m'envoie
Faire office vers vous de douleur & de joie.
Mais cet office encor n'est pas affez pour lui,
Il y viendra lui-même, & peut être aujourd'hui ;
Il croit mal reconnoître une vertu fi pure,
Si de fa propre bouche il ne vous en affure,
S'il ne vous dit chez vous combien vous doit l'état.
Le vieil HORACE.

De tels remercimens ont pour moi trop d'éclat ;
Et je me tiens déja trop payé par les vôtres
Du service d'un fils, & du fang des deux autres.

VALERE.

11 ne fait ce que c'est d'honorer à demi;
Et fon fceptre arraché des mains de l'ennemi,
Fait qu'il tient cet honneur qu'il lui plaît de vous faire
Au-deffous du mérite, & du fils, & du pere.
Je vais lui témoigner quels nobles fentimens
La vertu vous inspire en tous vos mouvemens ;
Et combien vous montrez d'ardeur pour fon service,
Le vieil H OR A CE.
Je vous devrai beaucoup pour un fi bon office.

SCENE III.

Le vieil HORACE, CAMILLE.

Le vieil HORACE.

A fille, il n'eft plus temps de répandre des pleurs, 11 fiéd mal d'en verfer où l'on voit tant d'hon

neurs,

On pleure injustement des pertes domestiques
Quand on en voit fortir des victoires publiques.
Rome triomphe d'Albe, & c'eft affez pour nous,
Tous nos maux à ce prix doivent nous être doux.
En la mort d'un amant vous ne perdez qu'un homme,
Dont la perte est aisée à réparer dans Rome :
Après cette victoire il n'eft point de Romain
Qui ne foit glorieux de vous donner la main.
Il me faut à Sabine en porter la nouvelle,
Ce coup fera fans doute affez rude pour elle;
Et fes trois freres morts par la main d'un époux
Lui donneront des pleurs bien plus justes qu'à vous;
Mais j'espére aîfément en diffiper l'orage,

Et qu'un peu de prudence aidant fon grand courage,
Fera bien-tôt régner fur un fi noble cœur
Le généreux amour qu'elle doit au vainqueur.
Cependant étouffez cette lâche trifteffe,
Recevez-le, s'il vient, avec moins de foibleffe,

[ocr errors]

Faites

Faites-vous voir fa fœur, & qu'en un même flanc
Le ciel vous a tous deux formés d'un même fang.

[ocr errors]

SCENE IV.

CAMILLE feule.

Ui, je lui ferai voir par d'infaillibles marques
Qu'un véritable amour brave la main des parques,
Et ne prend point de loix de ces cruels tyrans,
Qu'un aftre injurieux nous donne pour parens.
Tu blâmes ma douleur, tu l'ofes nommer lâche,
Je l'aime d'autant plus, que plus elle te fâche,
Impitoyable pere; &, par un jufte effort,
Je la veux rendre égale aux rigueurs de mon fort.
En vit-on jamais un dont les rudes traverses
Priffent en moins de rien tant de faces diverfes,
Qui fût doux tant de fois, & tant de fois cruel;
Et portât tant de coups avant le coup mortel?
Vit-on jamais une ame en un jour plus atteinte
De joie & de douleur, d'efpérance & de crainte ;
Affervie en efclave à plus d'évenemens,

Et le piteux jouët de plus de changemens?
Un oracle m'affure, un fonge me travaille,
La paix calme l'effroi que me fait la bataille,
Mon hymen fe prépare; &, prefqu'en un moment,
Pour combattre mon frere on choifit mon amant.
Ce choix me défefpére, & tous le défavouent,
La partie eft rompue, & les dieux la renouent.
Rome femble vaincue, & feul des trois Albains
Curiace en mon fang n'a point trempé fes mains.
O dieux! Sentois-je alors des douleurs trop légéres,
Pour le malheur de Rome, & la mort de deux freres ?
Et me flattois-je trop, quand je croyois pouvoir
L'aimer encor fans crime, & nourrir quelque efpoir ?
Sa mort m'en punit bien, & la façon cruelle
Dont mon ame éperdue en reçoit la nouvelle ;

Son

« PreviousContinue »