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Et mourront par les mains qui leur font d'autres loix, Que pas un d'eux renonce aux honneurs d'un tel choix. SABINE.

Quoi! Dans leur dureté ces cœurs d'acier s'obstinent!
JULIE.

Oui, mais d'autre côté les deux camps se mutinent;
Et leurs cris des deux parts pouffés en même temps
Demandent la bataille, ou d'autres combattans.
La présence des chefs à peine eft respectée,
Le pouvoir eft douteux, leur voix mal écoutée ;
Le roi même s'étonne; &, pour dernier effort,
Puifque chacun, dit-il, s'échauffe en ce difcord,
Confultons des grands dieux la majesté facrée ;
Et voyons fi ce change à leurs bontés agrée.
Quel impie ofera fe prendre à leur vouloir,
Lorfqu'en un facrifice ils nous l'auront fait voir ?
Il fe taît, & ces mots femblent être des charmes,
Même aux fix combattans ils arrachent les armes,
Et ce défir d'honneur qui leur ferme les yeux,
Tout aveugle qu'il eft, refpecte encor les dieux.
Leur plus bouillante ardeur céde à l'avis de Tulle,
Et, foit par déférence, ou par un prompt fcrupule,
Dans l'une & l'autre armée on s'en fait une loi,
Comme fi toutes deux le connoiffoient pour roi.
Le refte s'apprendra par la mort des victimes.
SABIN E.

Les dieux n'avoueront point un combat plein de crimes,

J'en efpére beaucoup puifqu'il eft différé ;

Et je commence à voir ce que j'ai defiré.

SCENE III.

SABINE, CAMILLE, JULIE.

SABIN E.

ΜΑ fœur, que je vous dife une bonne nouvelle.

CAMILLE.

CAMILLE.

Je penfe la favoir, s'il faut la nommer telle,
On l'a dite à mon pere, & j'étois avec lui;
Mais je n'en conçois rien qui flatte mon ennui.
Ce délai de nos maux rendra leurs coups plus rudes,
Ce n'est qu'un plus long terme à nos inquiétudes;
Et tout l'allégement qu'il en faut espérer,
C'eft de pleurer plûtard ceux qu'il faudra pleurer.
SABINE.

Les dieux n'ont pas en vain infpiré ce tumulte.
CAMILLE.

Difons plûtôt, ma fœur, qu'en vain on les confulte,
Ces mêmes dieux à Tulle ont infpiré ce choix ;
Et la voix du public n'eft pas toujours leur voix.
Ils descendent bien moins dans de fi bas étages,
Que dans l'ame des rois, leurs vivantes images,
De qui l'indépendante & fainte autorité
Eft un rayon fecret de leur divinité.

JULIE.

C'est vouloir fans raison vous former des obftacles,
Que de chercher leurs voix ailleurs qu'en leurs oracles;
Et vous ne vous pouvez figurer tout perdu,
Sans démentir celui qui vous fut hier rendu.

CAMILLE.

Un oracle jamais ne fe laiffe comprendre,

On l'entend d'autant moins que plus on croit l'entendre ;

Et loin de s'affûrer fur un pareil arrêt,

Qui n'y voit rien d'obfcur, doit croire que tout l'eft.
SABIN E.

Sur ce qui fait pour nous prenons plus d'affûrance;
Et fouffrons les douceurs d'une jufte espérance.
Quand la faveur du ciel ouvre à demi fes bras,
Qui ne s'en promet rien ne la mérite pas,
Il empêche fouvent qu'elle ne fe déploïe;
Et, lorfqu'elle descend, fon refus la renvoïe.
CAMILLE.

Le ciel agit fans nous en ces événemens ;'
Et ne les régle point deffus nos fentimens.
K

JULIE.

JULIE.

Il ne vous a fait peur que pour vous faire grace.
Adieu! Je vais favoir comme enfin tout fe paffe.
Modérez vos frayeurs, j'espére à mon retour
Ne vous entretenir que de propos d'amour ;
Et que nous n'employerons la fin de la journée
Qu'aux doux préparatifs d'un heureux hyménée.
SABIN E.

J'ofe encor l'efpérer.

CAMILLE.

Moi je n'espére rien.

JULIE.

L'effet vous fera voir que nous en jugeons bien.

SCENE IV.

SABINE, CAMILLE.

SABIN E.

Armi nos déplaifirs fouffrez que je vous blâme,

Que feriez-vous, ma fœur, au point où je me voi,
Si vous aviez à craindre autant que je le doi ;
Et fi vous attendiez de leurs armes fatales
Des maux pareils aux miens, & des pertes égales?
CAMILLE.

me,

Parlez plus fainement de vos maux & des miens.
Chacun voit ceux d'autrui d'un autre œil que
les fiens
Mais, à bien regarder ceux où le ciel me plonge,
Les vôtres auprès d'eux vous fembleront un fonge.
La feule mort d'Horace eft à craindre pour vous,
Des freres ne font rien à l'égal d'un époux,
L'hymen qui nous attache en une autre famille
Nous détache de celle où l'on a vécu fille,
On voit d'un œil divers des nœuds fi différens,
Et, pour fuivre un mari, l'on quitte fes parens.
Mais fi près d'un hymen l'amant que donne un pere,

Nous

Nous eft moins qu'un époux, & non pas moins qu'un frere ;

Nos fentimens entr'eux demeurent suspendus,

Notre choix impoffible, & nos vœux confondus.
Ainfi, ma fœur, du moins vous avez dans vos plaintes
Où porter vos fouhaits, & terminer vos craintes ;
Mais fi le ciel s'obstine à nous perfécuter,

Pour moi, j'ai tout à craindre, & rien à fouhaiter.
SABIN E.

Quand il faut que l'un meure, & par les mains de l'autre,

C'est un raisonnement bien mauvais que le vôtre.
Quoique ce foient, ma fœur, des nœuds bien différens,
C'eft fans les oublier qu'on quitte fes parens,
L'hymen n'efface point ces profonds caractéres,
Pour aimer un mari l'on ne hait pas fes freres,
La nature en tout temps garde fes premiers droits,
Aux dépens de leur vie on ne fait point de choix,
Auffi-bien qu'un époux ils font d'autres nous-mêmes,
Et tous maux font pareils alors qu'ils font extrêmes.
Mais l'amant qui vous charme & pour qui vous brûlez,
Ne vous eft après tout que ce que vous voulez ;
Une mauvaise humeur, un peu de jaloufie,
En fait affez fouvent paffer la fantasie.
Ce que peut le caprice, ofez-le par raison,
Et laiffez votre fang hors de comparaifon.
C'eft crime qu'oppofer des liens volontaires
A ceux que la naiffance a rendus néceffaires.
Si donc le ciel s'obstine à nous perfécuter,
Seule j'ai tout à craindre, & rien à souhaiter;
Mais pour vous, le devoir vous donne dans vos plaintes
Où porter vos fouhaits, & terminer vos craintes.

CAMILLE.

Je le voi bien, ma fœur, vous n'aimâtes jamais,
Vous ne connoiffez point ni l'amour, ni fes traits.
On peut lui résister quand il commence à naître,
Mais non pas le bannir quand il s'eft rendu maître,
Et
que l'aveu d'un pere, engegeant notre foi,
A fait de ce tyran un légitime roi.

Il entre avec douceur, mais il régne par force,
Et quand l'ame une fois a goûté fon amorce,
Vouloir ne plus aimer, c'eft ce qu'elle ne peut,
Puifqu'elle ne peut plus vouloir que ce qu'il veut ;
Ses chaînes font pour nous auffi fortes que belles.

SCENE V.

Le vieil HORACE, SABINE, CAMILLE.

JE

Le vieil HORACE.

E viens vous apporter de fâcheufes nouvelles, Mes filles, mais en vain je voudrois vous celer Ce qu'on ne vous fauroit long-temps diffimuler.

Vos freres font aux mains, les dieux ainfi l'ordonnent.
SABIN E.

Je veux bien l'avouër, ces nouvelles m'étonnent;
Et je m'imaginois dans la divinité

Beaucoup moins d'injuftice, & bien plus de bonté.
Ne nous confolez point; contre tant d'infortune
La pitié parle en vain, la raison importune,

Nous avons en nos mains la fin de nos douleurs ;
Et qui veut bien mourir peut braver les malheurs.
Nous pourrions aifément faire en votre présence
De notre défespoir une fauffe conftance,

Mais quand on peut fans honte être fans fermeté,
L'affecter au dehors c'est une lâcheté :

L'ufage d'un tel art, nous le laiffons aux hommes ;
Et ne voulons paffer que pour ce que nous fommes.
Nous ne demandons point qu'un courage fi fort;
S'abaiffe à notre exemple à fe plaindre du fort.
Recevez fans frémir ces mortelles alarmes,
Voyez couler nos pleurs fans y mêler vos larmes,
Enfin, pour toute grace, en de tels déplaisirs,
Gardez votre conftance, & fouffrez nos foupirs.

Le

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