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à-dire des idées que Dieu n'a point produites par sa volonté, non plus que les nombres et les figures, en un mot que toutes les essences possibles qu'on doit tenir pour éternelles et nécessaires, car elles se trouvent dans l'entendement divin. Dieu n'est donc point auteur des essences en tant qu'elles ne sont que des possibilités, mais il n'y a rien d'actuel à quoi il n'ait décerné et donné l'existence, et il a permis le mal parce qu'il est enveloppé dans le meilleur plan qui se trouve dans la région des possibles, et que la sagesse suprême ne pouvait manquer de choisir. C'est cette notion qui satisfait en même temps à la sagesse, à la puissance et à la bonté de Dieu. Dieu donne donc aux créatures autant de perfection que l'univers en peut recevoir. On pousse le cylindre, mais ce qu'il a de raboteux dans sa figure met des bornes à son mouvement. La comparaison de Chrysippe n'est donc pas fort différente de la nôtre, qui était prise d'un bateau chargé que le courant de la rivière fait aller, mais d'autant plus lentement que la charge est plus lourde. Toutes deux tendent au même but, et cela fait voir, ajoute Leibnitz, que si nous étions assez informés des sentiments des anciens philosophes, nous y trouverions plus de raison qu'on ne croit. Le mal que Dieu a permis n'est donc pas un objet de sa volonté comme fin et comme moyen, mais simplement comme condition, puisqu'il devait être enveloppé dans le meilleur.

Carnéade est célèbre dans l'histoire de la philosophie par sa polémique contre l'école stoïcienne; mais Leibnitz en dit à peine quelques mots, et ne fait que relever en passant son opinion sur la liberté. Sans aller, jusqu'aux atomes comme Épicure, Carnéade voulut trouver dans l'âme de l'homme la raison de la prétendue indifférence vague. C'était prendre pour raison du fait, le fait lui-même qu'il s'agissait d'expliquer. Du reste il n'y gagna rien que de tromper les esprits par des sophismes et des équivoques, en transportant l'absurdité d'un sujet où elle est par trop manifeste, à un autre sujet où il est plus facile d'embarrasser les questions, c'est-à-dire du corps à l'âme. Mais toutes ces subtilités n'aboutissent à rien; car on n'entend probablemnt pas et l'on ne saurait avoir la prétention de soutenir que ce grand principe: rien ne se fait sans cause, ne regarde que les corps, et que l'âme, qui est le siége de la raison, soit plus capable que le corps d'agir sans être déterminée par quelque raison ou cause, soit interne, soit externe (1).

Néanmoins Leibnitz ne veut pas que l'on dédaigne les arguments captieux des philosophes de la nouvelle académie, ni mêine des sceptiques (2). II déclare expressément, au contraire, qu'on peut en tirer un

(1) Essai sur la Théodicée, t. II, troisième partie, p. 365. (2) Ed. Dutens, t. V, p. 369.

excellent parti, ne fût-ce que pour s'éprouver à leur école, et se mettre en garde contre les erreurs d'un dogmatisme précipité. N'ont-ils pas ruiné par avance toute philosophie qui prétendrait emprunter ses principes à la seule observation sensible, en montrant ce qu'il y a de variable, de mobile, dans les phénomènes du dehors et les notions qui s'y rapportent? Ils ont donc rendu ce service à la science, service négatif si l'on veut, d'apprendre à l'esprit humain qu'il doit aller puiser à une autre source la connaissance des vérités nécessaires. Leurs critiques éclairent aussi l'étude de l'histoire; et la lecture des ouvrages de Sextus Empiricus, en particulier, sert beaucoup à entendre la philosophie des anciens Grecs (1).

C'est encore dans le même esprit de tolérance et de conciliation que Leibnitz relève la doctrine des Mystiques. « Je ne méprise pas même les Mystiques; leurs pensées sont souvent confuses, mais comme ils se servent ordinairement de belles allégories ou images qui touchent, cela peut rendre les vérités plus acceptables, pourvu qu'on donne un bon sens à ces idées confuses (2). » Du reste il nomme à peine les Alexandrins, et ne donne sur Proclus d'autre indication que

(1) Ed. Dutens, t. V, p. 472. (2) Ed. Dutens, t. VI, p. 211.

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celle-ci, à savoir que Proclus avait eu quelque dessein de travailler à la preuve des axiomes (1).

La philosophie romaine n'a pas d'autre représentant que Cicéron. Leibnitz engage à le consulter pour ce qui regarde l'étude de l'histoire, de la philosophie, mais avec la plus grande réserve; car Cicéron, homme politique, en proie à mille préoccupations, ne pouvait comprendre ni reproduire avec une intelligence suffisante des doctrines philosophiques qu'il n'avait fait guère que parcourir du regard (2).

(1) Ed. Dutens, t. II, première partie, p. 238.
(2) Ed. Dutens, t. IV, première partie, p. 61.

PHILOSOPHIE SCOLASTIQUE.

Leibnitz essaya de réhabiliter la Scolastique, comme il avait fait pour l'antiquité. Ce n'est pas qu'il accepte la science métaphysique du moyen âge; elle lui paraît singulièrement corrompue par des chimères et des extravagances de toute sorte (1); mais, comme il le dit, il y a quelquefois de l'or caché sous les ordures du latin barbare des moines, ce qui lui a fait souhaiter plus d'une fois qu'un habile homme, chargé d'apprendre le langage de l'école, eût voulu en tirer ce qu'il y a de meilleur (2).

L'origine, l'existence et les caractères de la scolas

(1) Interim fateor scientia metaphysicam scholarum non magni esse momenti. Ed. Dutens, t.V,

p. 385.

(2) Essai sur la Théodicée, t. I, p. 7. << Scholasticos agnosco abundare ineptiis, sed aurum est in illo

cœno. »

Ed. Dutens, t. V, p. 355; t. VI, deuxième partie, p. 334.

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