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gence qui le conçoit, et par conséquent le principe du mouvement ne se trouve pas dans la matière ni dans aucun corps, mais dans un esprit. Toutes les sciences dépendent donc de la métaphysique, et tous les êtres de Dieu.

La doctrine d'Aristote finit cependant par aboutir à un panthéisme naturaliste entre les mains de Straton (1).

Straton, un des chefs de l'école péripatéticienne et successeur de Théophraste, soutenait (au rapport de Cicéron) que ce monde avait été créé par la nature, ou par une cause nécessaire destituée de connaissance. Mais sans Dieu, il n'y aurait aucune raison de l'existence en général, et encore moins de telle ou telle existence déterminée. Dans la région des vérités éternelles se trouvent tous les possibles, et pour qu'un possible arrive à l'être à l'exclusion des autres, il faut une raison qui l'ait fait préférer. Or, où résidera-t-elle cette raison, si ce n'est dans l'entendement divin qui la conçoit et la choisit! Straton n'arrive donc pas à son but, car il faudrait supposer que la matière a été préformée de telle sorte qu'elle réalise sa fin par les seules lois du mouvement, et dans ce dernier cas quel autre que Dieu l'aurait préformée ?

(1) Essai sur la Théodicée, t 1, deuxième partie, p. 254.

Épicure n'a pas été plus heureux dans son explication des choses. Il n'a guère fait que reproduire la doctrine physique de Démocrite, et encore n'était-il pas capable d'en prendre le meilleur (1). Comment, après avoir rejeté les dieux et toutes les substances incorporelles, a-t-il pu s'imaginer que la volonté qu'il composait d'atomes, agît sur les atomes à son tour, et les détournât de leur chemin sans autre sujet? Ge n'est là qu'une hypothèse ridicule, et en contradiction avec les faits qu'on prétend expliquer.

Quant à la morale d'Épicure, elle repose sur le principe de l'utile. Le bonheur, voilà la fin de l'homme; et le bonheur le plus complet consiste dans la tranquillité de l'âme. Mais cette tranquillité n'est que négation, l'exemption de tout souci, de toute inquiétude, c'est-à-dire le repos, et comme l'immobilité de la mort.

Leibnitz ne donne aucun détail sur la logique ni sur la physique des Stoïciens. Il paraît seulement leur attribuer la doctrine d'une âme universelle qui fut développée plus tard par les Averroïstes. Ainsi Dieu serait considéré comme un animal divin, et c'est là sans doute qu'il faut chercher la raison de cette formule de

(1) Ed. Dutens, t. II, première partie, p. 66. — Essai sur la Theodicée, t. II, troisième partie, p. 364.

leur morale, que l'homme doit vivre conformément à la nature (1). Du reste, en professant cette héroïque négation de la douleur, qui est un des traits caractéristiques de leur école, ils appliquaient à la lettre un de leurs dogmes favoris, à savoir, que le mal n'existe pas par lui-même, qu'il n'est qu'une privation, un défaut de la matière, et non pas une entité distincte. Tel était du moins le sentiment d'Épictète, et JusteLipse l'a démontré depuis (2). Mais les Stoïciens se sont égarés en voulant montrer dans le détail cette utilité du mal qui sert à relever le bien; ils se sont trompés aussi dans la pratique en niant la présence du mał ici-bas. Cette victoire sur eux-mêmes est au-dessus des forces de l'homme, car ils ne veulent pas seulement triompher de la passion, ils vont jusqu'à l'anéantir (3). Il y a donc autant de différence entre la véritable morale et celle des Stoïciens et des Épicuriens, qu'il y en a entre la joie et la patience, car leur tranquillité d'âme n'était fondée que sur la nécessité, tandis que la nôtre le doit être sur la perfection et la beauté des choses, puisqu'en effet l'amour de Dieu nous donne une parfaite confiance dans notre auteur et maître.

(1) Ed. Dutens, t. II, première partie, p. 151 et 225.

(2) Ed. Dutens, t. II, première partie, p. 90.— Essai sur la Théodicée, t. II, troisième partie, p. 413.

(3) Ed. Dutens, t. II, première partie, p. 38. — Essai sur la Théodicée, t. II, troisième partie, p. 311.

Du reste, Chrysippe, qui cherchait des appuis à sadoctrine jusquedans les symboles de l'antiquité païenne, entreprit de justifier ou du moins d'expliquer l'existence du mal en ce monde (1). Ainsi, dans son quatrième livre de la Providence chez Aulu-Gelle (L. 6, c. 1), il prétend d'abord que le mal sert à faire connaître le bien; et dans son second livre de la Nature, au témoignage de Plutarque, il emploie la comparaison d'une pièce de théâtre, en disant qu'il y a quelquefois dans une comédie des endroits qui ne valent rien par eux-mêmes, et qui ne laissent pas de donner de la grâce à l'ensemble; en d'autres termes, que ce qui est un inconvénient dans une partie considérée isolément, peut contribuer à la perfection du tout.

De ces deux raisons, la première n'est pas suffisante, la seconde est mieux appropriée à la question, et ce n'est pas la réfuter que de dire avec Plutarque qu'un mauvais passage n'est qu'une petite partie d'une bonne comédie, tandis que la vie humaine, par exemple, fourmille de maux; car, en admettant ce dernier point, il reste toujours vrai que ce que nous connaissons n'est aussi qu'une très-petite partie de l'univers.

Chrysippe est allé plus loin. A ceux qui concluaient

(1) Essai sur la Théodicée, t. I, p. 46; t. II, troisième partie, p. 372 et 374.

de la connexion inévitable de tous les événements d'après la doctrine stoïcienne, que les actes de la volonté deviennent nécessaires, et que, par conséquent, les criminels ne doivent pas être punis, il répond que le mal vient de la première constitution des âmes; que celles qui sont bien faites naturellement, résistent mieux aux impressions des causes externes, mais que celles dont les défauts naturels n'ont pas été corrigés par la discipline, se laissent pervertir. Puis, il distingue, au dire de Cicéron, entre les causes principales et les causes accessoires, et se sert de la comparaison d'un cylindre dont la structure et la forme accélèrent le mouvement qu'il reçoit, au lieu que ce même mouvement serait retardé si le cylindre était raboteux. Or, Chrysippe a raison de dire que le vice provient de la constitution originaire de quelques esprits; on lui objecte que Dieu les a formés, et il répond en opposant l'imperfection de la matière qui ne permettait pas à Dieu de mieux faire. C'est, on le voit, à peu près la même réponse que celle de Platon, et en général des anciens, qui regardaient la matière comme un principe co-éternel à Dieu (1). Mais cette réponse ne vaut rien, car la matière en elle-même est indifférente à toutes les formes, et c'est Dieu qui l'a créée. Le mal vient plutôt des formes mêmes, mais abstraites, c'est

(1) Essai sur la Théodicée, t. I, première partie, p. 94; t. II, troisième partie, p. 412.

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