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gories ordinairement belles et touchantes, et qui servent à rendre les vérités plus acceptables, pourvu qu'on donne un bon sens à leurs idées confuses. Les sceptiques eux-mêmes, en nous dévoilant les incertitudes et les imperfections du savoir humain, nous apprennent à être plus sévères dans la discussion des preuves, et le choix des principes sur lesquels la science repose (1).

Rattacher au présent les traditions du passé, n'adopter ni ne repousser aucune doctrine, mais les accepter toutes comme les produits légitimes de la raison, à la condition de dégager les éléments de vérité que chacune contient, voilà donc la formule dernière à laquelle aboutit Leibnitz, et que la science de notre époque devait reproduire et commenter avec tant d'éclat. Il nous reste maintenant à le suivre dans les applications qu'il en a faites à l'étude de l'histoire ellemême.

(1) Ed. Dutens, t. VI, p. 211; t. V, p. 369.

PHILOSOPHIE ANCIENNE.

Après avoir tout pesé, je trouve que la philosophie des anciens est solide, et qu'il faut se servir de celle des modernes pour l'enrichir, et non pour la détruire (1). >>>>

Telle est la règle de critique à laquelle Leibnitz demeure invariablement fidèle dans les nombreux rapprochements qu'il établit entre son système et ceux des philosophes antérieurs. C'est ainsi que nous le verrons réhabiliter, avec cette haute impartialité qu'on pourrait appeler la probité du génie, la doctrine de Platon et celle d'Aristote, et trouver matière à d'utiles enseignements jusque dans les hypothèses les plus dédaignées de l'histoire de la philosophie.

Leibnitz n'a laissé que quelques mots sur cette première période de la philosophie grecque qui s'étend

(1) Ed. Dutens, t. II, première partie, p. 262.

de Thales à Socrate; période moins connue d'ailleurs, et dont les principaux systèmes ne devaient recevoir que plus tard leur entier développement. Mais encore ces indications, si rapides qu'elles soient, suffisentelles pour montrer qu'il n'en avait pas négligé l'étude.

Le nom de Pythagore surtout revient souvent dans ses œuvres; et, pour la puissance de l'invention et la force du génie, il le fait au moins l'égal des plus grands philosophes de l'antiquité.

<< Maxima apud me Pythagoræ existimatio est, et parùm abest quin cæteris veteribus philosophis potiorem credam, quùm et Mathesin et scientiam incorporalium prope modum fundârit, invento hecatomba digno, et præclaro illo dogmate, quod omnes animæ sint inextinctæ (1). »

Pythagore, en effet, n'a pas seulement fondé les mathématiques, il a, dans le monde de la nature, reconnu d'impérissables principes qui animent toutes choses, et sans lesquels rien ne saurait être ni durer. C'est du moins ce qui semble ressortir de l'hypothèse de la métempsycose, où Leibnitz retrouvait le germe de sa doctrine des monades.

(1) Ed. Dutens, t. V, p. 370.

<«< Pour ce qui est des anciens, dit-il, j'avoue que leurs sentiments ordinaires n'arrivent pas à mon sentiment de l'inextinction des animaux. Leur indestructibilité ne s'entend ordinairement que de celle de la matière, ou tout au plus des atomes; et l'on peut dire que, pour ceux qui n'admettent ni atomes, ni entėléchies, aucune substance ne se conserve (1).

Le dogme de la transmigration des âmes, voilà donc le point de départ de la monadologie. Sans doute, pour Pythagore comme pour toute l'antiquité païenne, l'âme n'est pas ce principe immortel de la pensée qui subsiste avec la conscience et la perpétuité du moi, ce n'est guère qu'un élément matériel plus ou moins subtil, et qui ne peut rendre compte que des phénomènes du monde extérieur ou des apparences de la vie. Toutefois, cette première conception de la force qui devait jouer un si grand rôle dans les progrès ultérieurs de la science, suppose déjà un point de vue supérieur à celui de la pure observation sensible, et mérite à ce titre seul de reprendre le rang élevé qui lui appartient dans l'histoire (2).

(1) Ed. Dutens, t. II, première partie, p. 66.

(2) « Ce ne sont pas les principes mathématiques, selon le sens ordinaire de ce terme, mais les principes métaphysiques qu'il faut opposer à ceux des matérialistes. Pythagore, Platon, et en partie Aristote en ont eu quelque connaissance. »

Ed. Dutens, t. II, première partie, p. 113.

Ajoutons que si Leibnitz n'est pas entré dans d'autres détails au sujet de la doctrine de Pythagore, il en a nettement apprécié les principes et les tendances en signalant ses étroits rapports avec la philosophie platonicienne dont elle est l'antécédent direct et légitime (1).

Les renseignements sont encore plus rares sur Parménide et Mélissus, et Leibnitz ne nomme ni Xénophon, ni Zénon d'Élée.

« Pour ce qui est du cours ordinaire des animaux et d'autres substances corporelles dont on a cru jusqu'ici l'extinction entière, et dont les changements dépendent plutôt des règles mécaniques que des lois morales, je remarque avec plaisir que l'auteur du livre de la diète, qu'on attribue à Hippocrate, avait entrevu quelque chose de la vérité, lorsqu'il dit en termes exprès que les animaux ne naissent et ne meurent point, et que les choses qu'on croit commencer et périr, ne font que paraître et disparaître. C'était aussi le sentiment de Parménide et de Mélissus, chez Aristote, car ces anciens étaient plus solides qu'on ne croit (2). »

(1) Historia philosophiæ Platonicæ velut continuatio quædam foret philosophiæ Pythagorica. Nam Pythagoræ primaria dogmata Plato renovavit et illustravi.

Ed. Dutens, t. V, p. 170.

(2) Ed. Dutens, t. II, première partie, p. 52.

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