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thèse de la réminiscence, l'antécédent de la théorie Cartésienne de l'innéité des idées; dans l'entéléchie d'Aristote le dogme de l'activité des substances, et dans sa démonstration d'un premier moteur immobile luimême, le plus sûr fondement de la théologie. Mais s'il rend hommage aux conceptions de ces grands génies dont il vient en quelque sorte ressusciter la mémoire, il sait aussi quand il le faut condamner leurs erreurs. A Platon, il reproche d'avoir fait de la matière un principe coéternel à Dieu, et il poursuit dans Straton les suites funestes de l'aristotélisme. Nul mieux que Leibnitz n'a marqué la différence profonde qui sépare la morale des païens de celle des chrétiens. Épicure n'assigne d'autre fin à l'homme que la recherche de son bienêtre, il ne conçoit le bonheur que sous la condition du repos, de l'immobilité; Zénon veut la lutte, le sacrifice de la passion au devoir, et réclame un héroïsme impossible. L'un et l'autre aboutissent à une négation, la résignation, la patience, le culte égoïste de la personne. Suivant Épicure, il n'y a pas de Dieu; suivant Zénon, l'homme est son Dieu à lui-même. Aussi l'antiquité n'a-t-elle pas compris cette profonde question du mal que le christianisme devait résoudre. Elle n'a guère connu que ce qui frappe les seus, le mal physique; elle a oublié le plus grave et le plus terrible, le mal intérieur, celui de la conscience, le péché; là est le secret de la supériorité de la philosophie chrétienne sur la philosophie païenne. Les scolastiques sous ce

rapport ont été plus près de la vérité qu'Aristote et Platon; ils ont mieux reconnu et déterminé la dépendance des choses par rapport à Dieu, et son concours avec toutes les actions des créatures. Tel est aussi le problème capital autour duquel viennent graviter toutes les questions agitées pendant le moyen âge. En quoi consistent précisément l'omniscience et l'omnipotence divine? Comment concilier la liberté de Dieu avec son infaillible sagesse, la liberté de la créature avec les immuables prévisions du Créateur, la contingence avec la nécessité? Si tous les êtres dépendent de Dieu, s'ils tiennent de lui l'existence et l'action, quesontils, sinon des modes et des manifestations de l'existence et de l'activité suprême? Ont-ils au contraire une existence qui leur soit propre, dans quelle mesure, et jusqu'à quel point? Sur toutes ces questions qui sont le fond même de la théodicée, Leibnitz interroge et consulte tour à tour saint Anselme et Occam, Abélard et Thomas d'Aquin; et l'on a pu voir avec quel bonheur il les résout, ou prépare du moins les éléments d'une solution définitive. Il montre que l'idée de la bonté de Dieu est inséparable de celle de sa grandeur, et qu'il est impossible de sacrifier l'une ou l'autre de ces deux perfections sans détruire le dogme de la providence. Contre Abélard, il maintient la doctrine de l'indépendance de Dieu, en distinguant la nécessité métaphysique dont l'opposé est contradictoire, de la nécessité morale qui se règle sur la convenance et se rapporte

à la sagesse. Dans Occam, il approuve ce grand principe du nominalisme, qu'on ne doit pas multiplier les êtres sans raison; mais s'il combat l'abus des formes substantielles et des qualités occultes de la scolastique, Leibnitz n'y méconnaît pas l'application des causes finales; et bien loin de les exclure, il veut comme il le dit, sanctifier la philosophie en faisant couler ses ruisseaux de la fontaine des attributs de Dieu (1). C'est dans le même esprit, et avec la même supériorité qu'il juge les principaux systèmes de la philosophie moderne; qu'il s'agisse des subtilités de Hobbes sur la question de la liberté et de la nécessité; ou de la polémique de Locke contre les Cartésiens; ou enfin de l'école même de Descartes. Le premier il découvre et fait toucher au doigt, si je puis dire, les vices secrets du cartésianisme, dont il poursuit les inexorables conséquences dans Malebranche d'abord, et finalement dans Spinosa. Sans doute il s'est montré trop sévère, peut-être injuste; on peut lui reprocher d'avoir exagéré les applications du principe cartésien; mais logiquement le dogme de la passiveté des substances créées et de la création continue, mène droit à la théorie des causes occasionnelles, et au panthéisme. Cela est si vrai, que Leibnitz pour en avoir retenu une partie, l'impossibilité de communication entre les deux substances spirituelle et matérielle, a été conduit à son

(1) Éd. Erdmann, t. I, p. 106.

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tour à la négation de la liberté, ou du moins à une fausse idée de la liberté dans l'homme; et qu'il n'a pu défendre dans le détail sa doctrine de l'optimisme contre les objections de Bayle.

Quoi qu'il en soit, on peut affirmer que Leibnitz dans la plupart des jugements qu'il a portés, est toujours resté fidèle à ces habitudes de modération et d'impartialité qui sont le caractère et le trait glorieux de son génie; et qu'il est dans l'histoire le plus illustre représentant de l'éclectisme avec Aristote.

Je joins à ce travail un index aussi exact que possible, de tous les passages relatifs à l'histoire de la philosophie qui se trouvent dans Leibnitz. Les ouvrages cités sont l'Édition de Dutens, Genève, 1768, 6 volumes in-4°. Raspe, Nouveaux essais, Amsterdam et Leipsick, 1765, 1 vol. in-4°. Leibnitii et Bernoullii, Commercium philosophicum et mathematicum, editum à Cramero, Genève, 1745, 2 vol. in-4°. — Essais de Théodicée, Amsterdam, 1714, 2 vol. in-8°. Recueil de Des Maiseaux, Amsterdam, 1740, 1 vol. in-8°. - Cousin, Fragments philosophiques, 3o édition, 2 vol. in-8°. Leibnitii Opera philosophica, Erdmann, Berlin, 1840, 1 vol. grand in-4°.- Lettres choisies de la correspondance de Leibnitz; Ed. Feder, Hanovre, 1805, 1 vol. in-8°. Exposition de la doctrine de Leibnitz sur la religion (Lettres inédites à Arnaud), par Eymery. Paris, 1849, 1 vol. in-8°.

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