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LA SCIENCE

D U

GOUVERNEMENT.

DROIT PUBLIC.

CHAPITRE PREMIER.
Du Gouvernement Économique.

SECTION PREMIERE

Du Mariage.

E Mariage eft un des plus folides fondemens de la
fociété. Dans tous les tems, il a été fous la protec-

tion particuliére de Dieu; les peuples même qui n'ont pas le bonheur d'être éclairés des lumiéres de notre Religion, faifoient de ce contrat un acte de culte relatif à leurs fauffes Divinités. Dans l'ancienne Loi, le Ciel influoit sur la plupart des Mariages; il les préparoit fouvent lui-même, par

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La différence &

deux fexesétoient

Propagation.

les traits d'une volonté marquée. Moyfe & les autres Législa→ teurs avoient soin de refferrer des nœuds si respectables; il n'étoit pas permis de les rompre arbitrairement; mais les mœurs n'étoient pas maintenues avec une exacte sévérité ; & lorsque les époux fe dégoûtoient l'un de l'autre, & que des motifs puiffans autorifoient leur inconftance, on paffoit à la licence des divorces, profcrits parmi nous, depuis que le mariage a été élevé à la dignité de Sacrement fous la Loi de grace.

Tous les hommes defcendent d'un feul homme & d'une Pinclination des feule femme que le lien conjugal avoit unis. C'est par la difnéceffaires à la férence des fexes, par la faculté de perpétuer leur espéce, par le penchant d'un fexe pour l'autre, & par l'inclination des deux fexes pour leur poftérité, que Dieu a pourvû à la propagation. Il a voulu qu'ils fuffent portés à faire non feulement fans répugnance, mais encore avec plaifir, un acte duquel dépend la confervation du genre humain. Sans cet attrait, les foins & les dépenfes de l'éducation des enfans, de la part des peres, & les inconvéniens de la groffeffe de la part des meres, y auroient pû mettre obstacle. Si l'on n'eût été follicité au mariage par l'inclination naturelle que Dieu a mife en nous, quel homme auroit voulu mettre au monde des enfans qui font fouvent un sujet de douleur & toujours une occafion de peine & de dépenfe! Quelle femme n'auroit pas été rebutée par les fuites de l'action du mariage, fi cette action eût été fans charmes.

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Ce n'est que par la voie du ma

La premiere question à examiner, est si les hommes auriage & dans l'u- roient pû naturellement & raisonnablement travailler à la propagation de l'efpece, fans s'engager dans les liens du mariage.

pité du mariage,

qu'elle doit fe fai

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Toutes les fois que les confeils de la raison condamnent l'instinct de la nature, il est loüable de résister à ses mouvemens déréglés. L'instinct feul eft impuiffant à produire par lui même quelque obligation; mais notre inclination peut nous porter à des actes que notre raison autorise, & aufquels même elle nous follicite

follicite. Le concours de l'instinct & de la raifon forme un engagement parfait.

Plus les mouvemens de l'amour font vifs, plus la loi naturelle doit aller au devant des défordres qu'ils pourroient caufer dans la fociété. Le but de cette loi eft de faire fervir l'amour à unir étroitement les deux fexes ; & c'eft par cette raison qu'elle condamne non-feulement ces paffions infames qui ont des bêtes ou des perfonnes de même fexe pour objet, mais encore la conjonction naturelle des deux fexes qui n'a pas pour but la propagation de l'efpéce.

la

Conviendroit-il à la fageffe des vues de la nature, que propagation de l'espéce qui est son objet, se fit par des conjonctions licentieuses! Les Loix du mariage feules mettent de la différence entre l'union des perfonnes & l'accouplement des bêtes. Hors de l'état de mariage, que de querelles il y auroit eu dans le monde entre les hommes, pour la poffeffion des plus belles femmes!

La confufion des femences feroit d'ailleurs contraire à la génération ; & c'est une seconde raison de croire que le Créa teur a voulu qu'une femme ne fe livrât qu'à un feul homme. L'unité dans le mariage eft plus avantageuse à la propagation que la Poligamie. Dans le fiftême de la Poligamie, multiplication feroit moins grande, & la Poligamie qui reduit plusieurs hommes à un célibat forcé, n'eft pas moins contraire aux Loix de la nature, qu'à celles de l'Evangile.

la

Que ce ne foit que par la voie unique du mariage que la propagation doive fe faire, cela réfulte de l'obligation que la loi naturelle impose aux époux de s'aimer réciproquement. On ne quitte point une époufe qu'on aime, & les fervices que cette loi veut que nous rendions à nos enfans en font une nouvelle preuve. Les fecours du pere & de la mere leur font également néceffaires or ces fecours leur manqueroient fi leur Tome IV

B

union n'étoit que momentanée. Ce n'eft que dans l'unité du mariage, que les femmes devenues groffes peuvent troude la part de leurs maris, l'affiftance dont elles ont befoin, & que les enfans peuvent recevoir de leurs

ver,

peres les fe→

enga

cours qui leur font néceffaires. Quels motifs pourroient ger les hommes à fecourir des femmes communes! A quelles marques reconnoitroient-ils leurs enfans! Par qui les enfans de tant de peres feroient-ils élevés! La pluralité des femmes doit être la fource d'une foule de diffenffions, de haines, de fureurs caufées par la jaloufie. L'unité dans le mariage doit au contraire, par sa nature même, former les liaisons les plus tendres, les plus fortes, les plus douces.

Ne feroit-ce donc que pour le plaisir, que la faculté de nous reproduire nous auroit été donnée. Si le seul plaisir, en étoit l'objet, & que les femmes & les enfans fuffent communs, il n'y auroit ni ordre ni tranquillité dans les fociétés humaines. On ne fçauroit concevoir hors de l'état du mariage, des familles diftinctes; ni fans la diftinction des familles, aucune fociété civile. Si la famille & la République, le propre & le commun, le public & le particulier, étoient confondus, il n'y auroit ni République ni famille. Tous les hommes vivroient difperfés çà & là, d'une maniére à peu-près auffi fauvage que les bêtes. S'il n'y avoit point de parenté diftin&te; il ne fçauroit y avoir de patrimoines qui le fuffent. On banniroit de la vie une grande partie des avantages qui contribuent à l'entretenir ou à l'embellir. C'eft de la diftinction des familles & des loix de la fociété que dépend tout l'ordre de la vie humaine.

Il est donc conftant que c'eft dans l'unité du mariage que fe doit faire la propagation de l'efpéce, & que les mariages font le fondement des familles, comme les familles font le fondement des Etats. Il refte à fçavoir fi les hommes font dans

quelque obligation de fe marier, & jufqu'où cette obligation peut s'étendre.

IV.
Le Droit nata-

cune obligation de fe marier, au

Dans les premiers tems, il étoit queftion de peupler le monde, la Loi de Dieu & celle de la nature impofoient à toutes rel n'impofe aufortes de perfonnes une espèce de néceffité de travailler à l'aug- jourd'hui que le mentation du genre humain. Après le déluge même, l'hon- monde est peuplé neur, la noblesse, la puiffance des hommes confiftoient dans le nombre des enfans, on étoit sûr de s'attirer par là une grande considération & de se faire respecter de ses voisins. L'histoire 'des Juifs nous a transmis le nom de Jaïr, Juge d'Ifraël, qui avoit trente fils portant les armes ; & l'histoire des Grecs n'a pas oublié les noms de Danaüs & d'Egiptus dont l'un avoit cinquante fils & l'autre cinquante filles. La ftérilité paffoit alors pour une espéce d'infamie dans les deux fexes, & pour une marque non équivoque de la malédiction de Dieu. On penfoit au contraire que c'étoit un témoignage autentique de fa bénédiction, d'avoir autour de sa table un grand nombre d'enfans rangés comme de jeunes oliviers. Ceux qui ofoient observer le célibat, étoient regardés comme des ennemis du genre humain, & méprisés de tout le monde ; mais aujoud'hui que la terre eft peuplée, d'où pourroit naître, dans le droit naturel, l'obligation de fe marier?

V:

On doit le con.

former aux Regle fociétés civiles,

mens faits dans les

foit fur le maria

Mais il est une autre fource d'obligation. Elle fe trouve dans les Loix civiles, il faut les confulter & fe conformer aux Régle mens qu'elles ont faits, parce qu'elles font comme l'interprétation de la loi naturelle. Elles n'obligent, à la vérité, que ge, foit au fujce comme Loix de Police, mais les Loix de Police obligent quelles font les tous les membres d'un Etat.

célibat; &

Loix que les diverfes nations ont portées à cet é

Les Mariages font la richeffe & l'appui des Empires, & la gard. force des Etats consiste dans le grand nombre d'hommes. ( a

(a) Voyez le Traité de Politique Ch. 1. Se&t. VII. au fommaire: La richesse d'un Etat dépend principalement du nombre de ses habitans,

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