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nous fous les derniers Empereurs Romains, aufquels les Gaules ont obéi, perdit encore depuis de fa force, par le tems & par la douceur de nos mœurs; elle ne dure qu'autant que les befoins des enfans fubfiftent; mais il en eft refté des marques considérables dans les Provinces de ce Royaume qui font régies par le Droit Ecrit. Telle eft l'émancipation. Les anciens effets de la puiffance paternelle qui ont été abolis, font le droit de vie & de mort fur les enfans, celui de les traiter impunément avec la même rigueur qu'on traitoit les efclaves; la faculté de les vendre dans un cas d'extrême pauvreté, la liberté de ne les plus reconnoître pour fiens, quand ils s'en étoient rendus indignes, par une défobéiffance extraordinaire. Aujourd'hui, l'émancipation des peres dans nos Provinces de Droit Ecrit, rend feule les enfans abfolument libres, & les met à portée d'acquérir pour eux; & cet usage de l'émancipation eft, comme l'on voit, toute autre chofe que cette révérence filiale dont les liens nous fɔnt communs avec toutes les Nations, & dont aucune émancipation ne peut affranchir.

Les Loix de presque toutes les fociétés civiles font dépendre les mariages des enfans, & du confentement des peres, & de l'âge des enfans: en forte que, fans ce consentement, le mariage eft invalide, à moins qu'il n'ait été contracté en majorité, & après des démarches refpectueufes de la part des enfans, pour obtenir le confentement de leurs peres; car en ce cas-là, non feulement le mariage est valable, mais les enfans n'encourent point la peine d'exhérédation.

Un pere doit entretenir fes enfans, & les enfans qui veulent être nourris des biens de leurs peres & en hériter un jour, doivent fe conformer à fa volonté, toutes les foist qu'elle ne renferme rien de déraisonnable. S'ils y contrevien

XXXVII.

De l'adoption

en ufage parmi les

celle qui fe prati

nent, le pere, bornant fes libéralités à l'éducation qu'il leur a donnée, peut les priver de fa fucceffion, au cas qu'ils se foient mariés étant majeurs, fans avoir fait des fommations refpectueuses. Les Loix civiles ont fait, à ce fujet, des Réglemens qui mettent dans les mains d'un pere justement indigné, la voie de l'exhérédation, & qui lui ôtent en même tems le moyen d'en abufer, à l'oppreffion des enfans & au préjudice de l'Etat.

Le Lecteur peut confulter ce que j'ai dit dans mon Traité du Droit Naturel (a), des devoirs réciproques des peres & des enfans.

Le pouvoir & les engagemens d'un pere, quoiqu'ils se forqui étoit autrefois ment à l'occafion d'un acte perfonnel & incommunicable; particuliers, & de peuvent être transférés à autrui dans un cas de néceffité, que aujourd'hui pour la fatisfaction des hommes qui veulent être réputés peres, ou pour l'avantage des enfans, comme le prouvent les adoptions qui étoient autrefois en usage parmi les particuliers, & auffi en quelque forte celles qui fe pratiquent aujourd'hui dans les familles régnantes.

dans les familles Souveraines.

Comme c'étoit autrefois une espèce d'infamie de n'avoir point d'enfans, l'adoption fut autorifée par les Loix, pour fuppléer à la ftérilité des mariages & pour la confolation de ceux qui fouhaitoient de fe perpétuer en quelque forte par la voie de la fucceffion, dans des héritiers de leur choix. C'étoit une imitation de la nature, par le moyen de laquelle un pere pouvoit avoir en fa puissance un enfant qui n'étoit pas né de lui. C'étoit une voie qui donnoit tous les droits de la naissance légitime, & qui établiffoit civilement la puiffance paternelle, comme les fuites du mariage l'établissent naturellement. L'adoption avoit même de grands avantages

(a) Chap. V. Sect. premiere au fommaire : Des devoirs respectifs des peres & des enfans.

fur

fur la nature; celle-ci, réduite à la néceffité de fe contenter de ce qui lui étoit échu en partage, étoit obligée de fupporter dans un héritier néceffaire les défauts du corps, les travers de l'efprit, & fouvent la corruption du cœur. Il n'en étoit pas de même de l'adoption. Dirigée par la prudence, elle étoit maîtreffe de fon choix, & fe déterminoit avec connoiffance de caufe; elle n'avoit à craindre que fes préjugés, & ne pouvoit s'en prendre qu'au défaut de fon difcernement.

L'ancienne Loi a connu l'usage de l'adoption. Sara désiroit qu'Agar eût des enfans, pour les reconnoître comme si elle les avoit mis au monde (a). Ephraïm & Manaffé furent mis au nombre des enfans de Jacob (b). Il est écrit dans le Deutéronome, qu'un frere étoit obligé d'époufer la veuve de fon frere décédé fans enfans, pour lui donner lignée; (c) l'enfant qui en venoit étoit réputé forti du défunt, & succédoit à ses biens.

L'adoption avoit lieu parmi les Grecs, & voici les Loix qui furent établies par Solon. I. Si quelqu'un étant fans enfans, & maître de ses biens, adopte un fils, que cette adoption ait tout fon effet. II. Que celui qui fait une adoption foit vivant. III. Qu'il ne foit permis à celui qui a été adopté de rentrer dans la famille d'où il étoit forti, qu'après avoir laiffé un fils légitime à la famille dans laquelle il étoit entré par l'adoption. (d)

Les Romains firent, comme tout le monde fçait, un ufage fort fréquent de l'adoption. Elle se faifoit de cette maniére.

Le pere adoptif, après avoir obtenu le confentement du pere naturel, se pourvoyoit au Tribunal du Préteur pour faire ratifier l'acte d'adoption, ou bien il s'adreffoit au peuple affem

(a) Genef. C. 16, (b) Genef. C. 48. (c) Deut. C. 20.

(d) Ces Loix ont été recueillies par Samuel Petit, dans fon Commentaire des Loix Attiques.

Tome IV.

M

blé par Curies, qui portoit un Decret confirmatif fur la réquifition des Tribuns. Dans ce fecond cas, l'adoption étoit exprimée par le mot d'adrogation. La formule du Réquifitoire préfenté par le Tribun au nom du fuppliant, étoit conçue en ces termes qu'Aulu - Gelle nous a confervé: « Qu'il vous - plaise, » Romains, d'ordonner, que, conformément aux loix, Vale» rius foit reconnu pour fils de Titius; qu'il' jouiffe des prérogatives attachées aux enfans nés d'un l'égitime mariage; Titius ait fur Valerius le même droit de vie & de mort

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que

» qu'il auroit eu fur fon propre fils (a)".

En vertu de l'acte de conceffion délivré par le Magiftrat ou par les Curies affemblées, le fils légitimement adopté paffoit fous la domination du pere adoptif, & acquéroit tous les droits que les loix donnent aux véritables enfans.

Cette tranflation ne pouvoit avoir lieu que le pere naturel s'il étoit encore vivant, n'eût émancipé fon fils, par un acte antérieur & volontaire, felon les formalités requifes.

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Il falloit que le pere adoptif n'eût point d'enfans & qu'il fut fans efpérance d'en avoir. Il n'auroit pas été jufte que l'adoption fe fut faite au préjudice de ceux que les droits de la nature appelloient à la fucceffion.

Il falloit encore que le peré adoptif fût plus vieux de dixhuit ans que le fils qu'il adoptoit, fans quoi l'adoption n'eût pas été une imitation ou un fupplément de la nature, felon l'intention des Législateurs.

Enfin l'adoption n'étoit cenfée valable qu'après avoir été confirmée par le Collége des Pontifes.

Sous les Empereurs, les adoptions fe faifoient de leur autorité Souveraine. Ils adoptérent des enfans que leurs femmes avoient eus d'autres maris, quoiqu'eux-mêmes ils en

(a) Velitis, jubeatis, ut L. Valerius L. Titio, tam lege jurèque filius fibi fciet, quam fi ex eo patre matrèque familias ejus natus effet: utique ei vitæ necifque poteftas fciet ut patriendo filio eft. Hoc ita ut dixi, ita vos Quirites, rogo.

euffent des enfans. Ils accordoient la grace de l'adoption aux femmes même qui n'avoient point d'enfans ; & voici les termes des Lettres de conceffion.» Puifque vous défirez pour vous » confoler de la perte de vos enfans, adopter votre beau-fils, ≫ nous vous accordons votre demande, & nous vous per» mettons de le tenir pour votre fils naturel & légitime. Ils établirent l'adoption par teftament ; & ce fut par la voie de l'adoption que Tibère fuccéda à Auguste; Néron, à Claude; Trajan, à Nerva ; Antoine, à Adrien; & MarcAuréle, à Antonin (a).

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Alexis-Lange-Comnène Empereur de Conftantinople; après avoir fait recevoir le Baptême à Jahatine fille du Sultan d'Iconium, l'adopta, de cette adoption dont les Grecs faifoient usage à l'égard des Princes étrangers, & qui, n'étant qu'une fimple Cérémonie ne donnoit aucun droit à la fucceffion.

Les Lombards étoient dans l'ufage des adoptions, & ils les faifoient par les armes, d'une maniére conforme à leur naturel franc & guerrier (b).

L'adoption n'est pas dans nos mœurs, elle n'eft plus pra-tiquée nulle part parmi les particuliers; mais les Souverains ont donné dans les derniers fiécles, quelques exemples d'une adoption qui n'eft qu'une image très-imparfaite de l'ancienne.

Jeanne premiere, Reine de Sicile & de Naples, Comteffe de Provence, adopta (c) Louis de France, Duc d'Anjou, fils de notre Roi Jean premier, & frere de notre Roi Charles V. (d), rejettant, pour caufe d'ingratitude, fon neveu Alphonfe Roi d'Arragon, qu'elle avoit auparavant adopté.

(a) Voyez Tacite & tous les Hiftoriens Latins. (b) Per arma, au rapport de Paul Warnefrid. (c) En 1382.

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(d) Voyez Lunig. p. 1142, 1143, & 1146; Ammirato, dans fes por traits, en parlant de Jeanne premiere; & Giagnone, hift. de Naples liv. 23. ch. Y.

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