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avec une prudence acquife par l'expérience & le fçavoir. Impénétrable dans ses vues, il découvre les secrets les plus cachés des ennemis, & renverse leurs projets. Il fe fert utilement de la connoiffance qu'il a du génie des Généraux ennemis, également à fe tirer du péril & à y jetter les autres. Il fçait tirer avantage des moindres hazards, vaincre & profiter d'une victoire, ou prendre une fage réfolution dans un fuccès incertain ou malheureux. Son jugement eft folide, ferme, décifif. Il connoît toujours le meilleur parti & le plus jufte. Il laiffe avec patience mûrir les entreprises, & les execute avec vigueur. Il eft vigilant, actif, laborieux. Il y a de la dignité dans tout ce qu'il fait & dans tout ce qu'il dit. Il regarde les difgraces & les fuccès, la vie & la mort, avec une égale tranquillité. Jamais il ne montre plus de férénité fur fon front, que lorfque tout semble défefperé, il conserve toute fa présence d'efprit dans la chaleur de l'action. Juste intègre, humain, il eft avec les troupes qu'il commande, comme un pere de famille avec fes enfans, il récompense ou punit felon qu'on en eft digne. Ses rares vertus lui attirent l'affection & la confiance de ses troupes qui fe croyent sûres de vaincre quand il marche à leur tête. Il ne prodigue point leur fang pour fa propre gloire, il épargne même celui de l'ennemi lorsque les circonftances le permettent, & ne le dépouille que du pouvoir de nuire. Il ne cherche point à prolonger la guerre, afin de jouir plus long-tems du commandement, mais à contraindre les ennemis le plutôt qu'il peut, à demander la paix à fon Prince, qu'il engage à leur accorder lorfqu'elle eft utile & honorable.

Les Officiers - Généraux, les Colonels, les Capitaines, & les autres Officiers de guerre doivent avoir plus de foin des troupes, que d'eux-mêmes. Ils doivent exercer les Soldats dans le tems qu'il faut, pour les rendre capables de

fupporter les travaux de la guerre ; maintenir exactement la difcipline militaire; faire enforte que les provifions néceffaires à la fubfistance des troupes ne manquent jamais, & que leur folde foit exactement payée. Ils doivent enfin se concilier l'affection de ces mêmes troupes, uniquement pour les rendre plus utiles au service de l'Etat.

Les Soldats doivent fe contenter de leur paye, s'abstenir de piller ou maltraiter les habitans, s'expofer courageusement à toutes les fatigues & à tous les travaux aufquels ils. font appellés pour la défense de l'Etat, & éviter également les excès de cette ardeur imprudente qui fait courir au danger fans néceffité, & de cette lâche timidité qui le fait éviter dans l'occasion; éprouver leur bravoure fur l'ennemi & jamais fur leurs camarades; défendre vaillamment le pofte où leurs Officiers les ont placés, & préférer une mort glorieuse à la honte attachée à la lâcheté.

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Les Officiers & les Soldats font affez portés à condamner légérement la conduite de leurs Généraux, & il en eft peu à qui leur Commandant ne puisse dire ce que Paul - Emile difoit à l'armée Romaine qu'il commandoit en Macédoine : Qu'il n'appartenoit qu'au Général de former les projets qu'il croyoit utiles à la République, ou par lui-même, ou » de concert avec ceux qu'il appelloit au Confeil; que ceux qu'il ne jugeoit pas à propos de confulter, devoient fupprimer les vues particulieres qu'ils pouvoient avoir, fans » les débiter ni publiquement ni en fecret; que de tous les foins qui regardoient les foldats, il n'y en avoit que trois » dont ils devoient fe charger eux-mêmes. I. D'avoir le corps le plus robufte & le plus agile qu'il étoit poffible. II. De » tenir leurs armes toujours en état. III. De fe fournir de » vivres tout cuits pour le tems qui leur étoit prefcrit; qu'ils devoient fe repofer de tout le refte fur les Dieux & fur

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» leurs Généraux; qu'il ne falloit pas regarder une armée » comme bien & fagement conduite, quand les foldats fe » mêloient de décider, & que le Général se regloit sur les » difcours & les caprices de la multitude; qu'il feroit enforte » de leur ménager les occafions de battre les ennemis, ce qui étoit le devoir effentiel d'un bon Capitaine, mais qu'ils » ne fe miffent pas en peine de l'avenir, & fe contentassent » de faire ufage de leur courage & de leurs armes (a).

Le précepte d'obéiffance donné à tous les inférieurs (b); a fon application naturelle aux Officiers & aux Soldats relativement à leurs Chefs. C'est y manquer que de blâmer publiquement & de murmurer contre la conduite des Généraux dépofitaires de l'autorité du Souverain. C'eft faire une brêche considérable à la discipline militaire; tous ces difcours féditieux qui infpirent le dégoût à l'Officier & font naître la terreur chez le soldat, méritent la mort. Si pendant qu'une armée se livre à cette licence, l'armée ennemie regarde comme des Dieux les Généraux qui la commandent, & attend dans un filence refpectueux les ordres qui lui font donnés par le moindre Anfpeffade, quel doit être le fuccès de la guerre !

Un homme de guerre doit avoir trois qualités principales; l'obéiffance, la valeur, & la juftice; l'obéiffance par rapport au Général; la valeur contre l'ennemi, & la justice à l'égard de tout le monde. Tous ceux qui, parmi les Romains, portoient les armes, s'engageoient, par trois fermens, à une pratique févere & inviolable de ces trois vertus. Ils faifoient le premier dans le tems même de leur enrollement, & la formule dont ils ufoient alors, portoit qu'ils fe trouveroient exactement à l'ordre du Confeil, & ne s'éloi

(a) Tit. Liv. IV. Decad. lib. 14.

(b) Obedite præpofitis veftris, etiam dyfcolis

gneroient

gneroient qu'avec fa permission expreffe. Ils prêtoient le fecond, lorfqu'ils prenoient place dans le Corps où ils devoient fervir, & alors ils s'engageoient à ne quitter leur rang que pour aller à la charge & à ne revenir qu'après avoir vaincu. Enfin, ils faifoient le troifieme, lorfqu'ils campoient; & pour lors, ils juroient de ne faire aucun tort à perfonne, ni dans le camp› ni à mille pas à la ronde. Ils étoient quelquefois fi religieux fur ce dernier engagement, qu'au rapport de Marius Scaurus, une armée Romaine ayant un foir campé près d'un arbre chargé de fruits, on remarqua le lendemain, lorfqu'elle fe mit en marche, que qui que ce foit n'y avoit porté la main.

Les Gouverneurs & les Intendans des Provinces doivent maintenir les Loix générales du Royaume & les Loix particuliéres de la Province où ils commandent; inftruire le Souverain de la richeffe ou de la pauvreté de la Province fur laquelle ils font prépofés, afin que, dans la néceffité de faire des impofitions fur les peuples, le Prince puiffe connoître ce que chacune de fes Provinces peut fupporter, tenir la main à ce que les Ordonnances du Souverain foient obfervées, que la Justice y foit rendue, & que les Impofitions se fasfent équitablement fur le pied des facultés de chaque particulier, fans acception de perfonnes; interpofer leur crédit à la Cour pour procurer à leur Province le foulagement dont elle a besoin; veiller à la sûreté publique; être les pacificateurs des différends de la Nobleffe; punir févérement l'impiété & la débauche; & faire regner par-tout l'ordre & l'union parmi les citoyens.

L'Officier à qui le Souverain a commis la garde d'une Ville ou d'une Fortereffe, doit être affable, bienfaisant, généreux. Il doit étudier les caractéres, s'appliquer à connoître sa garnifon, careffer les foldats qui fe diftinguent par leur valeur,

Tome IV.

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LIII.

Devoirs des Gou

verneurs & Inten

dans des Provin

ces,

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LV.

Devoirs des Gens de Finance..

leur attirer quelque gratification, voir fouvent la garnifon fous les armes, & la piquer d'honneur. Il doit être févere dans les exécutions militaires, exact à récompenfer, jufte dans le bien qu'il fait, comme dans le mal qu'il eft obligé de faire.

Les Receveurs des Finances, les Fermiers des Impôts qui se levent fur le peuple, & en général tous ceux qui adminiftrent les deniers publics, font une profeffion nuisible à l'Etat, mais néceffaire. L'intention des Princes, en impofant des tributs indifpenfables, eft qu'on traite leurs Sujets avec toute l'humanité poffible. Les Gens d'affaires le font-ils toujours? Non fans doute. Ils ne doivent ni ufer de rigueur fans néceffité ni rien lever fur les peuples au-delà des ordres formels du Prince, ni rien retenir des deniers publics qui paffent par leurs mains au-delà des droits attachés à leurs fonctions, ni jamais différer de faire l'emploi auquel ces deniers font deftinés. Mais les Gens d'affaires commettent mille abus, s'ils ne font furveillés avec une grande attention, par les perfonnes conftituées en autorité dans les Provinces. Ce n'eft pas nous (difent quelquefois les Publicains) qui commettons de nos propres mains ces rapines, ce font nos Commis : excuse frivole! Cette excufe, en la fuppofant vraie, ne justifieroit point les Publicains. Leurs mains, ce font leurs Com→ mis, & les crimes de leurs Commis font les leurs.

Fin du Tome Quatrieme

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