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Notre Henri IV. a été un de nos meilleurs & de nos plus grands Rois, également admirable dans la paix & dans la guerre, auffi grand dans le Cabinet que redoutable dans le Camp.

Si je ne parle ni de Louis XI. ni de Ferdinand le Catholique, ce n'est pas que ces Princes ne foient regardés communément comme de grands Rois par les Nations aufquelles ils ont commandé. Ils eurent tous deux de rares talens pour le Gouvernement, mais ils n'en firent pas toujours un ufage légitime. Ils mettoient leur Politique à se faire égale ment redouter de leurs ennemis, de leurs voisins, & de leurs peuples, & fembloient fonder leur fureté particuliere fur le péril commun. Ils ne manquoient pas de vertu; mais on eût dit qu'ils ne les connoiffoient que par leurs extrémités. C'étoient, dit-on, de grands Politiques & des hommes de mauvaise foi: qualité que l'on confond fouvent & qui font néanmoins très-différentes. Si l'on entend par Politiques les Princes qui ne font rien fans deffein, Louis XI. & Ferdinand le Catholique furent de grands Politiques; mais fi l'on entend par ce terme les Princes qui faifant tout avec deffein › prennent auffi les mefures les plus juftes, on auroit beaucoup de reproches à leur faire. Semblables dans leurs mauvaises comme dans leurs bonnes qualités, Louis & Ferdinand eurent tous deux le génie plus fubtil qu'étendu, & furent tous deux plus intriguans dans le danger, qu'habiles à le prévoir & à l'éviter. Ferdinand a été le Louis XI. des Espagnols; Louis XI, le Ferdinand des François; & l'un & l'autre, le Tibère des Romains. Les baffeffes & les infidélités de Louis, les artifices & les injuftices de Ferdinand, ont terni leur gloire. Ce ne font pas leurs exemples que doit citer un Ecrivain qui a entrepris d'expliquer les véritables regles du Gouvernement.

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Louis XI. difoit que tout fon Confeil étoit dans fa tête parce qu'en effet il ne confultoit perfonne, ce qui fit dire à l'Amiral de Brezé, en le voyant monter fur un bidet trèsfoible, ce mauvais bon mot : Qu'il falloit que ce cheval fåt plus fort qu'il ne paroissoit, puisqu'il portoit le Roi & tout son Confeil. Il étoit jaloux de fon autorité, au point qu'étant revenu d'une grande maladie où il avoit perdu connoissance, & ayant appris que quelques-uns de fes Officiers l'avoient empêché de s'approcher d'une fenêtre, apparemment dans la crainte qu'il ne se précipitât, il les chaffa tous. Avare par goût & prodigue par politique, méprifant les bienséances, incapable de fentiment, confondant l'habileté avec la fineffe, préférant celle-ci à toutes les vertus, & la regardant non comme le moyen, mais comme l'objet principal; enfin moins habile à prévenir le danger qu'à s'en tirer, né cependant avec de grands talens dans l'efprit, &, ce qui est fingulier, ayant relevé l'autorité Royale, tandis que fa forme de vie, fon caractere & tout fon extérieur auroient femblé devoir l'avilir.

L

SECTION II.

Des devoirs des Miniftres.

E droit de gouverner les peuples, qui appartient essentiellement à Dieu & qu'il communique à certains hommes pour le bonheur du genre humain, réside à la vérité éminemment dans les Souverains; mais il paffe d'eux à leurs Miniftres, & à tous ceux qui, fous les Souverains, gouvernent les peuples. La puissance qui maintient l'ordre dans les fociétés civiles, eft différemment partagée felon les divers D Dddd ij

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XXII.

emplois. Qui que ce foit qui la pofféde eft Miniftre de Dieu; parce qu'il exerce l'autorité de Dieu.

Il faut refpecter dans les Miniftres le choix du Prince. Comme l'on doit obéir aux Princes, l'on doit obéir à ses Miniftres; & l'on ne peut manquer de refpect pour eux; fans en manquer pour le Prince qu'ils fervent dans fes affaires.

L'homme d'Etat doit être auffi diftingué par les qualités doit avoir un Mi- de l'ame, qu'il l'est par l'autorité que lui donne le poste où

Des qualités que

nistre.

il est élevé, & par l'éclat qu'il l'environne. Sa place eft auprès du Thrône, il foutient le Sceptre, & partage le poids de la Couronne. C'est un membre des Confeils Souverains qui font dans les Etats ce que le Soleil eft dans l'Univers, c'està-dire l'aftre qui éclaire & qui anime toutes choses. Comme ses Confeils font le point de réunion de la puissance & des intérêts des Princes & des peuples d'où dépend leur gloire, toutes les vertus qui forment les grandes ames doivent se réunir dans l'homme d'Etat.

Les Perfes difoient que les Grands qui compofoient le Confeil de leurs Rois, étoient les yeux & les oreilles du Prince (a). Par là, ils avertiffoient tout ensemble, & le Prince, qu'il avoit fes Miniftres comme nous avons les organes de nos fens, non pour nous reposer, mais pour agir par leur moyen; & les Miniftres, qu'ils ne devoient pas agir pour eux-mêmes, mais pour le Prince qui étoit leur maître & pour tout le corps

de l'Etat.

Plufieurs qualités font néceffaires à ceux que le choix & la confiance du Prince. affocient en quelque forte au Gouvernement de l'Empire. Ils ont befoin d'expérience, de capa

(a) Xenoph. Cyroped. &

cité, de probité, de courage, d'application (a ). Le concours de toutes ces qualités peut feul former un grand homme d'Etat.

qua

L'expérience eft comme le fondement de toutes les lités que doit avoir le Miniftre. Elle fuppofe qu'il eft dans un âge avancé, & qu'il a été employé de bonne heure aux affaires. L'âge feroit inutile fans l'expérience, & une expérience confommée ne peut fe trouver que dans un homme âgé. Les peuples ont plus de respect pour les décisions d'un Confeil compofé de gens expérimentés, que pour celles d'un Confeil formé de jeunes gens.

Quand je parle de perfonnes âgées, j'entends parler de celles d'un âge mûr ou dont la vieilleffe n'eft point décrépite; car les Conseils de celle-ci font trop timides, parce que l'affoibliffement des forces produit d'ordinaire la langueur du courage. D'un autre côté, le fang coule trop impétueufement dans les veines des jeunes gens; comme ils n'ont jamais été trompés par la fortune, ils s'arrêtent aux confeils qui ont plus de magnificence que de fûreté. Mais les perfonnes d'un âge mûr, dans qui la nature eft modérément réfroidie, & qui ont l'expérience de plufieurs entreprises faites & manquées, s'attachent au parti le plus fûr, & ne laissent prefque rien à la fortune de tout ce dont ils peuvent s'affurer par les précautions que la prudence inspire.

Un fens exquis, un jugement für, de l'efprit & de la folidité dans l'efprit, toutes ces qualités font néceffaires pour confeiller fon Prince, & encore plus nécessaires que le fçavoir & l'érudition; mais ces premieres & principales qualités peuvent être relevées par une teinture raisonnable de Lettres, & doi

(a) Imprimis neceffe eft ut Regis Confiliarii fint maximo ingenio præditi, bonis artibus exculti, longo rerum ufu periti, in hiftoriis diligentiffimè verfati, neque præfentiâ tantum fagaciter odorantes, fed longè in pofterum, quid utile futurum it Reipublicæ, conjecturâ providentes. Aufonius.

XXXIII: Expérience.

XXXIV, Capacité,

vent nécessairement être accompagnées de la connoiffance des Etats, de leur hiftoire, de leur conftitution, de leur situation actuelle, & fur-tout de celui au Gouvernement duquel on eft appellé.

Les efprits louches ne voyent rien d'une vue nette, & font absolument incapables de Gouvernement.

Les efprits fubtils font plus dangereux qu'utiles au maniement des affaires. S'ils n'ont de la folidité, ils y font moins propres que les efprits médiocres (a). Il en eft de fi fertiles en inventions, de fi abondans en pensées, & qui varient si fort dans leurs deffeins, que les vues du foir différent de celles du matin. Ils changent les bonnes comme les mauvaises réfolutions, ils ne demeurent fermes dans aucune. Les anciens ont dit de Simonide, qu'ayant médité plusieurs jours fur la demande que lui avoit fait Hieron, Roi de Syracufe, fon imagination lui présenta diverses confidérations si subtiles, ne fçut à laquelle s'arrêter (b).

qu'il

Les efprits vifs, dont la vivacité eft deftituée de jugement, font plus capables de changer la face des Etats, que de les gouverner fur le pied que ces Etats font établis (c), au lieu que les efprits pefans mais jufte font utiles, lors même qu'ils n'ont pas beaucoup d'étendue.

La préfomption nuit extrêmement aux affaires, & il eft dangereux de donner de l'autorité à des hommes qui peuvent avoir trop de lumieres pour avoir befoin de celles d'autrui. Comme la prudence veut que le Miniftre d'Etat parle peu, elle veut auffi qu'il écoute beaucoup; il peut mettre tous les avis à profit; les bons font utiles par eux-mêmes,

(a) Hebetiores quam acutiores, ut plurimùm, melius Rempublicam adminisgrant. Thucid. lib. 3.

(b) Volutantibus res inter fe pugnantes obtorpuerant animi. Tacite dit de Tie bere: Ut calidum ingenium, ita anxium judicium.

() Novandis quam gerendis rebus funt aptiores. Curt. lib. 4.

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