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de combat, le laissoit exposé à l'épée & au dard de l'ennemi, l'abandonnoit tout entier à la crainte; mais dans les autres efpeces de dangers, fa timidité naturelle difparoiffoit devant la foule infinie de reffources & d'expédiens que lui prodiguoit le génie le plus heureusement formé pour la politique. Né avec une ambition qui occupoit toutes fes penfées. Il ne fut point partagé par d'autres paffions, ou elles obéiffoient toutes à celles-là; d'où elles fembloient naître, il prit fans effort & par l'effet naturel de fes lumiéres fupérieures, toutes les formes qu'exigea l'état de fes affaires, toujours prêt à fe revêtir de la vertu ou du vice que le tems & les circonstances lui rendoient utile. Il fut cruel fans aimer le fang, & il pardonna quand il lui fut auffi utile de pardonner, qu'il auroit été auparavant dangereux pour lui de ne point punir. Continuellement appliqué à l'étude des maximes du Gouvernement, il affermit la Couronne fur fa tête, fit oublier les horreurs du Triumvirat, & rendit fon regne, à parler en général, auffi tranquille qu'il fut long. A la fin, il mérita qu'on dît de lui, qu'il foutenoit feul le poids de l'Empire; qu'il le défendoit par ses armes, qu'il le régloit par fes Loix, & qu'il l'honoroit par fes mœurs (a).

Tite - Antonin, furnommé Pius, c'est à-dire le bon, a été un des grands & des meilleurs Princes qu'ayent eu les Romains. Paufanias a eu raifon de dire qu'il méritoit non-feulement le nom de Pius, mais celui de pere des hommes. Il eut des foibleffes dont il se corrigea de bonne heure.

Marc-Aurele Antonin, fi connu par le Recueil de maximes & de réflexions qu'il nous a laiflé, étoit un Prince de beaucoup d'efprit, mais d'ailleurs un Prince médiocre. Sa

(a) Cum tot fuftineas & tanta negotia folus,

Res Italas armis tueris, moribus ornes,
Legibus emendes. Horat,

bonté fut exceffive, & le rendit ou aveugle ou trop indulgent fur le compte de fon frere, Lucius Verus; de fa femme, la trop célébre Fauftine; & de Commode fon fils. On a dit de lui qu'il fe cachoit & fe renfermoit pour philofopher; qu'il parloit fort bien de l'ame, de la clémence, du juste, de l'honnête, mais qu'il n'avoit aucune connoiffance du Gouvernenement de la République.

C'est à une fimple compilation de Loix que Juftinien doit fa gloire. Ce Prince avoit fait une étude particuliere des principes du Gouvernement, avant qu'il montât fur le Trône. Parvenu à la Couronne il les étudia avec une nouvelle application. Il ne fit la guerre que par fes Lieutenans, & il gouverna fagement l'Empire. Il étoit perfuadé, je l'ai déja dit, que les bonnes Loix foutiennent un Etat & que les armes l'honorent (a). Belizaire & Narfès ont moins fait pour fa renommée, que Tribonien, Dorothée, & Théophile; & à n'eftimer les Princes que par l'utilité dont ils font à leurs fujets, peu d'Empereurs Chrétiens ont mérité de lui- être comparés.

Théodoric, Roi des Goths, poffedoit toutes les qualités qui forment les heros, & se plaisoit à les exercer continuellement (b). Il aimoit les fciences & les arts, la justice & la vertu, il fit toute fon occupation de les cultiver dans fes Etats, par la feule vue qui diftingue les bons Rois, c'est-àdire par zèle pour le bonheur public. Il feroit à fouhaiter qu'on pût retrancher d'une fi belle vie le meurtre d'Odoa cre (c) & quelques actions (d) de la même nature, qui n'approchent pas néanmoins des cruautés du Triumvirat & des

(a) Imperatoriam majeftatem non folum armis decoratam, fed etiam legibus oportet effe armatam. Inftit. Voyez ce même Traité du Droit Public, Ch. III. Sect. premiere,

(b) Voyez fon Hiftoire, imprimée à Londres en 1734.

(c) En 493.

(d) Il fit mourir le Pape.

autres crimes d'Augufte; mais les plus grands hommes, pour employer la pensée d'un bel efprit (a), ont beau s'élever de toute la tête au deffus de ceux qui les environnent, ils font de niveau avec eux par les pieds. On chercheroit en vain des vertus fans foibleffe, fur-tout parmi les Rois qui font obligés à tout moment de voir & d'agir par les yeux & par les mains d'autrui. Théodoric, après avoir ravi une Couronne à laquelle il n'avoit aucun droit, combattu en furieux, fait la paix en hypocrite, & tué fon ennemi en perfide, fut changé tout d'un coup en un des plus vertueux & des plus fages Monarques dont on ait l'exemple. Ses paffions & fes vices ne furent que des maladies de jeuneffe. Il s'en vit entierement délivré, lorfqu'elles furent une fois fatisfaites. En traçant l'image des devoirs & des vertus d'un Roi, il est difficile d'y mettre un feul trait qui ne paroiffe copié d'après lui; la feule exposition de ses Edits forme une lecture agréable, & donne l'idée la plus avantageufe du Gouvernement de ce Roi Goth. Il fut le premier qui donna aux Goths de fa domination un Droit écrit qui différoit peu du Droit Romain. Il fit rendre aux Eglifes les Terres & les Domaines dont elles avoient été dépouillées, & il confirma leurs immunités. Il attira dans fes Etats le commerce des étrangers, par les faveurs qu'il fit aux marchands & par la protection qu'il leur accorda. Il n'employa dans les Charges de Judicature que des perfonnes d'une fageffe & d'une intégrité reconnues. Il força les perfonnes puiffantes à reftituer tous les biens qu'elles avoient ufurpés fur les foibles pendant les troubles de la guerre. II réprima la licence des spectacles qui étoit encore exceffive même après la naiffance du Chriftianifme. Il voulut que les Grands & les riches portaffent, comme les pauvres, toutes les charges de l'Etat, & que les Sénateurs même ne fuffent (4) Pascal,

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pas exempts des impofitions. Il défendit les duels fous de grandes peines, & tout ufage de l'épée contre d'autres ennemis que ceux de la patrie. Il fit diftribuer de groffes fommes dans les Provinces qui avoient été ravagées pendant la guerre, ou affligées par d'autres calamités. Le Véfuve ayant caufé de grands dommages aux peuples voisins, il leur fit une remise du tribut proportionné à leur perte. Il forma des établiffemens en faveur des malades & des pauvres. Il aima les fciences, les cultiva lui-même, & combla de récompenfes les fçavans. Il fit réparer des villes, bâtir des fortereffe, & élever de fuperbes Palais, & il afpiroit à furpaffer les merveilles de l'antiquité. Enfin Théodoric fut un de ces Princes rares dont le mérite ne reconnoît, point de fupérieur, & fouffre à peine la concurrence d'un petit nombre d'égaux.

Louis IX, ce Roi que le monde compte au nombre de fes Héros, & que l'Eglife a mís au rang de fes Saints, dût l'éclat de fon regne à la grande connoiffance qu'il eut des fecrets du Gouvernement. S'il ne fut jamais d'enfant de l'Eglife plus religieux, il ne fut jamais auffi de Prince qui connût mieux les droits de la Couronne, & qui les portât plus loin. On a remarqué de lui qu'il fut très-grand faint, mais en Roi (a). Et peut-être n'y auroit-il rien à rabattre de cet éloge, fans les voyages même qui y ont donné lieu (b): voyages peu raisonnables, fi on les examine indépendamment des préjugés de ce tems là & des avantages que quelques Croifés en tiroient.

Charles V Roi de France, qui a mérité de fon fiécle le furnom illuftre de Sage, & à qui la postérité l'a confirmé, ne parut jamais à la tête de ses armées, & il n'étoit pas animé de ce défir injufte d'ufurpation qu'on honore du nom de con

(a) Maimbourg, liv. 12. de l'hiftoire des Croisades.

(b) Les Croifades.

quête.

quête. Mais quelles guerres n'a-t-il pas conduit? Edouard avoit coutume de dire en parlant de Charles le Sage, qu'il n'y eut onc Roi que fi peu s'armât & qui tant lui donnât d'affaires. Jamais Général n'établit avec plus de précision l'état de la guerre. De fon Cabinet, il en régloit toutes les opérations, & il étoit l'ame du fameux Du-Guesclin qui n'agissoit que par fes ordres. Il avoit un génie vafte & intrépide, conduit, mais jamais borné par la prudence. Inébranlable dans fes réfolutions, après avoir été sage dans les Confeils, modéré dans fes espérances, plein du paffé, attentif à toutes les démarches de fes ennemis, & pour ainfi dire préfent dans l'avenir, il se défia toujours de la fortune, pour l'attacher plus fûrement à fes armes. Il avoit tempéré l'impétuofité de la valeur Françoise; & comme un autre Fabius, il voyoit fans émotion les incurfions de fes ennemis. Les armées nombreuses des Anglois qui fe répandoient dans la France par la Picardie, y étoient comme affiégées. Elles n'ofoient infulter une feule fortereffe ou fe répandre dans un autre pays que celui que Charles leur avoit abandonné, & elles fuyoient à Bordeaux ruinées par leurs marches & par la difette. Ce Prince se faifoit lire chaque jour quelque ouvrage fur le Gouvernement (a). Il étoit profond dans cette fcience, & par fon habileté, ilvint à bout de rétablir la Royauté en France.

Le grand Gustave - Adolphe avoit perpétuellement devant les yeux le Traité du Droit de la guerre & de la paix (b). Il faifoit, du Livre de Grotius, à-peu- près le même usage qu'avoit fait autrefois Alexandre le Grand des Poëfies d'Homère (c).

(a) J'ai déja rapporté cet exemple dans l'Epître Dédicatoire; mais il doit né ceffairement avoir ici fa place.

(b) Lettre de Jerôme Bignon à Grotius, du 5 de Mars 1632.

(c) Le Monarque Grec regardoit les Poëfies d'Homère, comme la production la plus rare de l'efprit humain: Pretiofiffimum animi opus. Plin. in hift. nat. lib. 7. Cap. 29.

Tome IV.

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