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VIII.

Non feulement

Popinion feule que

la Religion du ou

verain

favorable à fon

public, doivent être les trois principaux fondemens de fon Gouvernement & la fource de la félicité des Etats. Manà ces devoirs, c'eft manquer à la bonne Politique autant qu'à la Religion, à la juftice, au bien public.

quer

Les Rois les plus abfolus n'ont point de droits qui soient la Religion, majs fi facrés dans l'efprit des peuples, que ceux de la Religion; les peuples ont de & non feulement la Religion du Prince, mais même l'opicft rès- nion feule que les peuples ont de fa Religion, est très - favoGouvernement. rable à fon Gouvernement. Quand la piété ne devroit pas par elle-même tenir le premier rang, le Prince ne feroit pas moins obligé par intérêt d'en faire profeffion. Si les peuples font prévenus que le Souverain manque de Religion, il ne donne point d'ordre qui ne foit interpreté d'une maniere finiftre, il ne fait point de Loi, qu'il ne laisse dans tous les cœurs un défir d'y réfifter, qui en rend l'exécution difficile, pour ne pas dire impoffible. Mais fi la prévention du peuple eft favorable à la Religion du Prince, les difficultés de l'exécution de fes Loix s'applaniffent par le penchant que tous les hommes ont à s'y prêter, tout ce que fait le Souverain eft regardé comme l'ouvrage de fa piété.

1x.

La justice du Sou

motif 'obéiffance pour les Sujets.

Que n'a point à craindre de ses fujets le Prince qui gouverain eft un grand verne tyranniquement ! Ces maximes : Que tout ce qui plaît au Prince eft légitime (a), & qu'il importe peu qu'il foit haï pourvû qu'il foit craint (b), font pernicieuses. La crainte & l'amour font deux paffions dont l'une ne peut s'élever que fur les ruines de l'autre. Si l'amour des fujets l'emporte fur la crainte, ils méritent de grandes louanges; mais fi la crainte, eft la plus forte, on n'en doit rien attendre que de funeste,

(a) Si libet, licet.

(b Oderint, dum metuant. Qu'on me haïffe pourvu qu'on me craigne. C'eft un mot du Poëte Accius rapporté par Cicéron dans fon Oraifon pro Sextio, & dans plufieurs autres endroits de Cicéron & de Senèque. C'eft comme la devife deş Tyrans. Ce fut celle de Tibère, ce fut celle de Caligula,

felon ce principe inconteftable qu'on hait toujours celui qu'on craint (a), & felon une maxime pernicieuse que je renvoie à la marge (b). Les Princes qui abusent de leur puiffance, s'expofent au danger de ne pas la garder long-tems (c).

Que n'a pas au contraire à espérer de fes fujets un Souverain qui regne juftement. Il a toute la terre pour Temple & tous les gens de bien pour Prêtres & pour Miniftres. Heureux le peuple qu'un fage Roi conduit ainfi ! Mais plus heureux le Prince qui fait le bonheur du peuple & qui trouve le fien dans la vertu ! Il tient les hommes par un lien cent fois plus fort que celui de la crainte, c'est celui de l'amour. Non-feulement on lui obéit, mais on aime encore à lui obéir. Il regne dans tous les cœurs, chacun craint de le perdre & donneroit sa vie pour lui. L'amour que le Prince acquiert fur le cœur de fes fujets, en faisant regner la juftice, eft le plus puiffant motif qui puiffe déterminer les fujets à l'obéiffance. Il eft impoffible que les fujets n'aiment leur Prince, s'ils connoiffent que la raison est le guide de fes actions.

Si l'autorité contraint à l'obéiffance, la raifon la perfuade, & il vaut mieux conduire les hommes par les moyens qui gagnent infenfiblement leur volonté, que par ceux qui ne les font agir qu'autant qu'ils les forcent (d).

X. L'intérêt même

mande qu'il rap

porte toutes fes ac

Quels inconvéniens n'a pas une domination arbitraire ! Les Souverains qui l'exercent font dans le fonds moins puiffans du Souverain deque ceux dont la Religion, la raison, & la juftice reglent la conduite. Ils prennent, ils ruinent tout, ils poffédent feuls tout l'Etat, mais auffi tout l'Etat languit, les campagnes font en

(a) Quem metuunt oderunt.

(b) Quem quifque odit, periifle expedit.

(c) Nec unquam fatis fida potentia ubi nimia eft. Tacit. hift. lib. 2. Cap. 92.

'Num. 3.

(d) Confultez fur tout ceci le commencement du II. Chap. du Traité de Politique.

tions au bien public.

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X I. LeSouverain doit

.dife la vérité, &

flatterie.

friche & défertes, les Villes diminuent chaque jour, le commerce tarit. Le Roi qui ne peut être Roi tout feul; & qui ne l'eft que par fes peuples, s'anéantit lui-même peu-àpeu, par l'anéantiffement infenfible des peuples dont il tire fes richeffes & fa puiffance. Son Etat s'épuife d'argent & d'hommes, & cette derniere perte eft la plus grande & la plus irréparable. Son pouvoir defpotique fait autant d'esclaves qu'il a de fujets. On fait semblant de l'adorer, on tremble au moindre de ses regards; mais attendez la moindre révolution cette puissance monstrueuse, pouffée jusqu'à une extrême violence, ne fçauroit durer, elle n'a aucune reffource dans le cœur des peuples, elle contraint tous les membres de l'Etat de foupirer avec une égale ardeur après un changement. Le mépris, la haine, la crainte, le reffentiment, la défiance, en un mot toutes les paffions fe réuniffent contre une autorité odieuse. Le Roi qui, dans fa vaine profpérité, ne trouvoit pas un feul homme qui osât lui dire la vérité, ne trouve dans fon malheur aucun homme qui daigne ni l'excuser ni le défendre contre fes ennemis.

La flatterie environne de toutes parts les Princes. Elle leur vouloir qu'on lui repréfente les autres hommes comme s'ils étoient à leur égard, fe garantir de la ce que les chevaux & les autres bêtes de charge font à l'égard des hommes, c'est-à-dire des animaux dont on ne fait cas qu'autant qu'ils rendent de service & qu'ils donnent de commodités; & elle ne manque prefque jamais d'empoifonner le cœur des Princes. Médis tant que tu voudras, (difoit un Ancien) on en croira toujours quelque chofe. Cet ancien auroit pû dire auffi: Flatte tant que tu voudras, on en croira toujours quelque chofe. L'on plaît, & par conféquent l'on persuade, lorfqu'on flatte (a).

(a) Madula ma mi piace, difoit un Prélat Italien qu'on louoit de fa libéralité, quoique réellement il fût fort avare.

La multitude des hommes qui environnent les Princes eft cause qu'il n'y en a aucun qui faffe une impreffion profonde fur eux. Ils ne font frappés que de ce qui eft préfent & qui les flatte, tout le refte s'efface bientôt. C'eft pour cela que la vertu les touche ordinairement fi peu, parce que loin de les flatter, elle contredit & condamne leurs foibleffes. Les Princes gâtés par la flatterie, trouvent fec & auftere tout ce qui eft libre & ingénu ; ils vont même jufqu'à imaginer qu'on n'eft pas zelé pour leur fervice, & qu'on n'aime pas leur autorité, dès qu'on n'a pas l'ame fervile & qu'on n'est pas prêt à les flatter dans l'ufage le plus injufte de leur puiffance. Toute parole libre & généreuse leur paroît hautaine critique, & féditieufe. Ils deviennent fi délicats, que tout ce qui n'est pas flatterie les bleffe & les irrite, bien différens en cela de Nicoclès. Les avis qu'Ifocrate donna à ce Prince ne furent accompagnés d'aucune louange, ni de ces ménagement étudiés & de ces tours artificieux fans lesquels la timide vérité n'ofe approcher du Trône, ce qui eft un grand éloge pour l'Ecrivain & pour le Prince. Nicoclès, loin d'être choqué des avis qu'on lui donnoit, les reçut avec joie ; & pour en marquer fa reconnoiffance à Ifocrate, il lui fit préfent de vingt talens, c'est-à-dire de vingt mille écus (a).

Ce n'eft pas feulement la corruption qui cache la vérité aux Princes, la prudence même eft fouvent obligée de la cacher, ou du moins de la tempérer, afin de la proportionner à leur foibleffe. On parle quelquefois fincerement aux perfonnes du commun; mais qui l'oferoit faire à l'égard des Souverains! La vérité cherche quelquefois les petits, & elle se présente à eux fans qu'ils la demandent, mais il faut que les Grands la cherchent avec foin, & qu'ils aillent au devant d'elle, s'ils la veulent trouver. Le caractere d'un homme d'hon (a) Plutar. in vitâ Ifoeratis, pag. 338

neur peut fe confilier entre le poifon de la flatterie & la regidité falutaire de la vérité. Les leçons d'un mifantrope révoltent, mais les confeils, adoucis font comme le miel dont on a frotté les bords d'un vase rempli d'absynthe. Heureux les Princes qui aiment la vérité, lors même qu'elle leur est préfentée par des bouches indifcretes.

Un Prince qui veut fe rendre digne de regner, doit défirer que la vérité approche du Trône; il doit permettre, il doit même ordonner à ceux qu'il honore de fa confiance, de la lui dire hardiment, & doit s'eftimer heureux fi, fous fon regne, un feul homme a la générosité de la lui annoncer en toute occcasion, au hazard de tout ce que l'exercice de cette vertu a de dangereux dans les Cours.

Un grand Miniftre, écrivant de Rome à Henri IV fon Maître, fur quelque entreprise qu'il fembloit que Clément VIII vouloit faire fur les droits de l'Eglife de France, lui parle en ces termes: » Si les Papes ont entrepris fur les Libertés de l'Eglife, les Rois, Sire, ( je ne le dis qu'à vous, & » en cela même je montre quelle opinion j'ai de votre générofité & bonté) n'en ont pas fait moins fur leurs Royau» mes & fur l'Eglife même ; & s'il falloit remettre les choses » comme elles étoient au commencement, ainsi qu'on vou» droit par de là (a) remettre les Papes aux élections, les » Rois y perdroient encore plus que les Papes (b). Voilà comment on parloit & comment on écrivoit fous le regne de Henri le Grand. Heureux les Princes qui font fervis par des Miniftres capables de leur dire la vérité ! Heureux les Miniftres qui fervent des Princes aufquels on eft afsuré de la pouvoir dire fans perdre leurs bonnes graces! Ce trait de liberté du Miniftre de Henry IV eft très-propre à donner

(a) En France.

(b) Lettres de Doffat

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