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d'abus, le Procureur Général de la Bulle fur la grande Maîtrife de l'Ordre de S. Lazare, pour M. le Duc de Berry; fait` défenfes à ce Prince de prêter ferment dans le Royaume à autre qu'au Roi, fans approbation des termes de nobilis adolefcens.

XXXV.
De la préféance

En traitant ailleurs (a) de l'égalité naturelle & de la différence civile qui eft entre les hommes, j'ai diftingué la nobleffe des Nobles, naturelle d'avec la civile, & j'ai remarqué que l'avantage des Nobles eft uniquement fondé fur l'inftitution du Souverain. Il dépend de la volonté de Céfar (dit le Panégyrifte de Trajan) de conferver la Nobleffe & de faire des nobles (b). Dès que cette conceffion ceffe, toute différence entre les gens de la plus haute naiffance & ceux de la plus baffe condition disparoît. Quand un Prince anoblit quelqu'un, il ne produit en lui aucun changement physique, il ne fait qu'ordonner que cet homme soit désormais réputé d'une condition fupérieure à celle des roturiers, & que fon Etat paffe à fes descendans avec tous les priviléges qui y font attachés. Lorfqu'un Gentilhomme eft dégradé, il ne se fait pareillement en lui aucun changement Physique, il n'en eft pas moins né de parens nobles, mais il tombe dans un état moral inférieur à celui où il étoit au- · paravant. On le dépouille de tous les droits dont jouit la Nobleffe, & il devient roturier. La légitimation d'un bâtard & la réhabilitation d'une famille qui avoit dérogé à la noblef fe, ne produisent de même que des effets moraux.

XXXVI.
La préféance des

concitoyens

en

tr'eux dépend &

Le Souverain eft le maître abfolu des rangs dans fes Etats, il communique à qui bon lui semble les honneurs & les dignités; il distribue les emplois à qui il lui plaît ; & il en étend ou en refferre les fonctions au gré de sa prudence. Les pré- de la volonté du

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des dig ités dont

ils font revêtus, &

Souverain > qui peut regler cette préféance, indé. pendamment des emplois aufquels ✔ordinairement attachés.

Dans le Traité du Droit Naturel, Ch. III. Se&. I.
Indulgentiâ Cæfaris cujus eft ut nobiles confervet & efficiat, Plin. in Pa- les honneurs font

nagyr, Traj

féances dépendent fouverainement de fa volonté (a). Chaque citoyen doit fe contenter du rang qui lui eft échû, & se borner à maintenir celui qui lui a été affigné. Il faut, disoit un ancien Officier de guerre, tenir pour honorable tout pofte où l'on eft placé pour la défense de l'Etat. Ce n'eft point à nous à trouver mauvais que le Prince éleve quelqu'un audeffus des autres, ni à examiner pourquoi il l'honore d'une bienveillance particuliere. C'est au Prince à affigner à chacun fa place, à fe choifir tels Miniftres qu'il trouve à propos, à honorer de fa confiance les perfonnes qu'il en croit dignes; & à nous, à respecter ses vûes. Et néanmoins, pour rendre justice, pour ne pas donner de légitimes fujets de plaintes, & pour prévenir les murmures & les difputes, un Prince doit dans le reglement des rangs, avoir un égard particulier aux fondemens naturels d'honneur & de dignité, & surtout aux fervices rendus à l'Etat.

Il est incontestable que les Princes peuvent régler la pré- · féance, indépendamment des emplois auxquels les honneurs font ordinairement attachés, & nous en avons bien des exemples en France.

Henri IV légitima Cefar de Vendôme, fon fils naturel, & de Gabrielle d'Eftrées (b). Il le fit recevoir Duc & Pair (c) & affifter en cette qualité à la réception du Duc de Sully, par une grace finguliere, car il n'avoit alors que douze ans. Ce Prince accorda enfuite (d) au même Cefar de Vendôme des Lettres par lefquelles il veut & entend: » Que » lui & fa poftérité ayent, tiennent, & poffedent le premier

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(a) Honorabitur quem voluerit Rex honorari VI. Liv. d'Efther. A Principe exeunt omnes dignitates, ut à fole radii, Caffiodor. lib. 6. variar. Ep. 23. Ab eo tanquam à fonte profluunt omnium dignitatum rivuli. Balde, dans la Préface des Fiefs. (b) Par des Lettres-Patentes du mois de Janvier 1595.

(c) En 1596.

(d) Le 15 d'Avril 1604.

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rang & la préféance immédiatement après les Princes du Sang, devant tous les autres Princes & Seigneurs du Royaume, » en tous lieux, actes, & endroits, tant militaires qu'aux cérémonies publiques & privées, auxquelles on a accoutumé » & fera requis de tenir rang.» Cefar de Vendôme & ses defcendans ont joui de ce rang fous quatre de nos Rois, depuis Henri IV jufqu'à Louis XV, fous le regne duquel eft mort Philippe de Vendôme, Grand-Prieur de France, le dernier de cette maison.

Les Maréchaux de France ont le fuprême commandement des armées, & n'avoient jamais été commandés que par le Connétable. Nous avons vu, fous le regne du feu Roi, nonfeulement les Princes du Sang, mais le Duc de Vendôme & le Vicomte de Turenne, commander tous les Maréchaux de France, fans être Connétables. Le Maréchal de Saxe, avec le titre de Maréchal-Général, commandoit fous ce regne tous les Maréchaux de France.

Les honneurs accordés par Henri IV étoient plus grands qu'aucun Roi de France eût accordés à fes enfans naturels. Louis XIV fon petit-fils alla beaucoup plus loin. Il fit ́un Edit (a) en faveur de Louis-Augufte de Bourbon, Duc du Maine ; & de Louis-Alexandre de Bourbon, Comte de Toulouse, légitimés de France, qui portoit qu'au défaut de Princes légitimes, la Couronne appartiendroit de plein droit, & à l'exclufion de tous autres, au Duc du Maine & à fes descendans; à leur défaut, au Comte de Toulouse ou à fes defcendans. Cet Edit fut fuivi d'une Déclaration (b), contenant que ces deux Princes prendroient la qualité de Princes du Sang dans tous les actes judiciaires ou autres ; qu'ils feroient

(a) Donné à Marly au mois de Juillet 1714, & enregistré au Parlement de Paris le 2 d'Août fuivant.

(b) Du 23 de Mai 1715

XXXVII.
La volonté du

traités également, après néanmoins le dernier des Princes du
Sang, & qu'il ne feroit fait nulle différence entre eux. Après
la mort de Louis XIV, le Duc de Bourbon, le Comte de
Charolois, & le Prince de Conty, Princes du Sang, deman-
derent que
l'Edit & la Déclaration du feu Roi fufsent annul-
lés. Le Roi régnant les a en effet annullés, & a retranché (a)
ce qu'il y avoit d'exceffif dans les honneurs accordés aux Prin-
ces légitimés.

La volonté du Prince ceffant, la préféance des concitoyens Prince cellant, la dépend des places marquées à chaque Charge. Le mérite citoyens dépend acquiert de l'eftime, fans donner de rang. Il a été impossible

préféance des con

des places mar

quées à chaque em.

chaque pays.

que

plot & des cour d'employer exactement chaque citoyen, felon fon mérite permes reçues dans fonnel, il eût fallu pour cela les Souverains euffent fait perpétuellement la revûe de tous les fujets de l'Etat ; les recherches les plus exactes n'auroient pas fuffi, & la plupart des sujets auroient trouvé qu'on ne leur eût pas rendu justice. L'on a reglé les rangs du moins entre les citoyens les plus diftingués, à proportion de la dignité des emplois publics dont chacun est revêtu. C'est au Prince à diftribuer les emplois, & à marquer le rang de chaque emploi.

Dans les Etats-Généraux de France, toutes les féances étoient réelles, c'est-à-dire qu'elles étoient toutes attachées ou à des Terres de marque, ou à des Charges de haute confidération. La fplendeur, la gloire des grands emplois, les illuftres alliances, tous les avantages & de la fortune & de la vertu étoient inutiles à cet égard.

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Que l'on a bien fait ( dit un grand génie ) de diftinguer » les hommes par l'extérieur, plutôt que par des qualités inté>>rieures! Qui paffera de nous deux ? Qui cédera la place à » l'autre ? Le moins habile; mais je fuis aussi habile que lui ; il

(a) Arrêts & Déclarations des mois de Juillet 1717, Août 1718, & 26 Avril 1723.

» faudra

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faudra fe battre fur cela. Il a quatre laquais, & je n'en ai qu'un (a); cela est visible, il n'y a qu'à compter; c'est à » moi à céder, & je fuis un fot fi je le contefte. Nous voilà en paix par ce moyen, ce qui eft le plus grand de tous les » biens (b).

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L'expédient même de diftinguer les hommes par les dignités, ne peut empêcher les plaintes de ceux qui croyent qu'on ne les eftime pas tous ce qu'ils valent. Pour diminuer les murmures, autant qu'il eft poffible, le Souverain ne doit donner les emplois qu'à ceux qui les méritent & qui font capables de s'en bien acquitter, & il doit auffi régler, d'une maniere convenable, le degré d'honneur qu'il attache à chaque emploi or en général, l'ordre le plus naturel, c'eft de les faire regarder comme plus ou moins honorables, fuivant que leurs fonctions embrassent des affaires plus ou moins confidérables pour le bien de l'Etat, ou felon qu'elles demandent plus ou moins de qualités & de talens.

Quelquefois pourtant on attache à certains emplois beaucoup d'honneur & peu d'autorité, de peur que la dignité foutenue de la puiffance ne portât à confpirer contre l'Etat, ou pour accoutumer les citoyens à préférer les emplois honorables, à ceux qui font utiles: On y a fi bien réuffi, qu'on regarde dans les Cours les emplois diftingués comme d'autant plus beaux qu'ils font moins lucratifs.

Quant aux perfonnes qui font revêtues d'emplois de même nature, les plus hauts rangs doivent être affignés à ceux qui exercent les fonctions les plus nobles & les plus confidéra bles.

Il arrive fouvent que ceux qui exercent un même emploi

(a) L'Auteur fuppofe fans doute que le nombre des Domeftiques marque la différence des emplois.

(b) Penfées de Pascal. Tome IV

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