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progrès, qu'on les voit lever la tête avec audace, & ne mefurer leurs prétentions que fur leurs forces. Les non conformiftes s'eftiment d'abord heureux, fi on ne les brûle pas; enfuite malheureux, s'ils ont moins de priviléges que les autres ; & puis plus malheureux encore, s'ils ne font pas les feuls qui dominent. Pendant un certain temps, ils reffemblent à César qui ne vouloit point de fupérieur, & puis à Pompée qui ne vouloit point de compagnon (a). Une Religion, profcrite par les Loix de l'Etat, aspire à être tolérée; qu'on la tolére, elle prétendra à l'égalité; qu'on lui accorde l'égalité, elle voudra dominer; qu'on la contienne, elle courra aux armes; fi elle peut le faire avec quelque espérance de fuccès; elle appellera l'Etranget à fon fecours; elle mettra l'Etat en combuftion. Quelle fource de troubles! Les foupçons toujours renaissans entre des gens d'une Religion différente, les arment néceffairement les uns contre les autres.

Un Ufurpateur peut bien fe ménager entre deux partis oppofés, fans fe trop déclarer ni pour l'un ni pour l'autre, afin que la diverfité fi contraire à l'union foit comme une barriere qui empêche les peuples de se réunir pour conspirer contre l'ufurpation; mais un Gouvernement légitime ne peut, fans pécher contre la Politique même, ne pas confidérer que toute nouveauté, en matiere de Religion, eft auffi dangereuse pour l'Etat que pour la Religion même. C'est le fentiment des Politiques & des Théologiens de tous les pays.

En Angleterre, dans un tems où les peuples changoient aussi souvent de Religion que de Roi, Henri VIII fait périr ceux de fes fujets qui ne veulent pas abandonner l'ancienne Religion; Marie, Catholique, fait couler le fang Anglican; Elifabeth, Anglicane, verfe le fang Catholique. Ce Roi, ces (4) Ne quemquam jam ferre poteft Cæfarve priorem,

Pompeiufve parem.

Lucan. lib. 1. V. 125. Voyez auffi Florus 4. Cap. 2i |

Reines confifquent les biens de leurs fujets, fous prétexte de révolte, mais en effet à caufe de la différence de Religion.

Quels ruiffeaux de fang n'ont pas fait couler en Allemagne les guerres aufquelles Jean Hus & Martin Luther ont donné lieu !

Combien n'en a-t-il point coûté de biens, de larmes & de fang, dans les guerres des Pays-bas, lorfqu'ils embrafferent la créance de Calvin.

Qui pourroit compter les maux que la différence de Religion nous a fait dans les croisades contre les Vaudois & contre les Albigeois ! Qui pourroit, fans frémir, lire dans notre hiftoire les fureurs dont la Religion mal entendue a été la cause, fous les régnes de François premier, Henri II, François II, Charles IX, Henri III, Henri IV, & Louis XIII. On fçait enfin ce qu'il en a coûté à ce Royaume fous le régne de Louis XIV, qui rappella fes peuples à l'unité par la révocation de l'Edit de Nantes, en coupant la tête de l'hidre jufqu'alors toujours renaiffante fous le fer qui l'avoit tranchée.

XXVI. Quelle conduite

tenir.

Les Princes ne fçauroient faire un ufage plus glorieux de leur puiffance, qu'en l'employant à faire régner Dieu fur leurs les Princes doivent peuples. Veut-on ieur ôter cette gloire & les réduire à la condition de fimples Philosophes qui débitent leurs pensées fur la maniere dont ils croyent qu'on doit fervir Dieu ? Verroientils tranquillement jetter dans le cœur de leurs fujets, ces semences de divifion qui les arment les uns contre les autres & contre leur propre Souverain? On peut détruire une Religion, finon comme mauvaise, au moins comme nuifible. C'est au Souverain à faire ceffer le mal, quand la foi donnée ou la considération même du bien public ne l'engagent pas à une tolérance à laquelle il n'eft pas naturellement obligé. Il peut régler le fore extérieur, de la maniére qu'il le

trouve à propos, & contenir tous fes fujets en général & chacun d'eux en particulier, dans les bornes que la confidération du bien de l'Etat l'oblige de leur marquer.

Le Souverain ne doit pas fe fier légerement aux proteftations de fidélité qu'on lui fait, quand on n'eft pas de fa Religion. Ce n'est pas qu'on ne puiffe les faire de bonne foi; mais ces fentimens de fidélité ne font que des mouvemens fuperficiels qui s'évanouiffent dès que ceux dont ils trompoient le cœur, croyent avoir affez de force pour obtenir la tolérance Eccléfiaftique qu'ils penfent leur être due. Les fujets non confor mistes qui ne causent aucun trouble dans l'Etat, dans un certain temps, le boulverferont dans un autre.

Les partifans de la tolérance difent que le vrai zèle ni l'humanité ne permettent pas de faire des converfions le fer à la main, cela eft certain; mais fi une Religion, la Catholique, par exemple est établie dans une société comme une loi inviolable, fi des novateurs y répandent des femences de Proteftantisme, au préjudice des Loix; s'ils y font des cabales dangereuses; s'ils troublent la paix de l'Etat & celle de l'Eglife; fi leur parti groffiffant tous les jours, commence à fe faire craindre au Souverain même ; fi ce parti eft indocile à la voix de la perfuafion, & rebelle à l'autorité du Souverain, que doit faire dans ces circonftances un Prince Catholique qui veut maintenir son autorité ? Spectateur oifif des troubles qui agitent l'Eglife & qui ébranlent la Monarchie, doit-il laisser un parti factieux fe fortifier, remplir l'Etat de murmures, inon. der le Royaume de libelles féditieux, infulter la Majesté Royale, méprifer impunément les Loix, & préparer un incendie qui, à la premiere étincelle, mettra tout le Royaume

en feu?

Je ne prétens point faire l'appologie de l'extrême rigueur des fupplices employés par les Rois François premier, Henri II,

&

& François II, qui faifoient brûler, les Huguenots tout vifs à petit feu (a). Je ne me propose pas de justifier non plus l'horrible maffacre de la S. Barthelemi, fous Charles IX (b). Mais je dis que dans les circonftances que je viens d'expliquer, le Souverain peut & doit faire un usage raisonnable de fa puiffance.

Dira-t-on que, dans ces circonftances, un Prince doit employer les voies de la douceur, pour étouffer la nouvelle Religion dans fa naissance, & pour en arrêter les progrès. Mais qui fera cette objection? Sera-ce un Proteftant? Nous venons de voir la conduite que les Etats de cette Communion ont tenue dans tous les pays. Refutons néanmoins l'objection. Si, après avoir épuifé toutes les voies de la douceur, le parti rebelle, loin de se soumettre, refuse ouvertement d'obéir, s'il prend les armes enfin, faudra-t-il que le Prince fe laiffe donner la Loi? Que devient alors la maxime, qu'il ne faut convertir perfonne le fer à la main? Non fans doute, mais il faut punir & dompter des rebelles, des efprits brouillons & factieux qui troublent l'Eglife & l'Etat, fous un faux prétexte de Religion; car jamais la Religion n'a permis de fe révolter contre l'autorité légitime. Ce n'eft point ici une Politique homicide qui prétende régner fur les confciences, c'est une Politique fage qui peut au contraire épargner à la Monarchie des fleuves de fang; une Politique que la Religion autorife, que le bon fens infpire, & l'intérêt de l'Etat exige dans de certaines circonftances. Voilà le droit du Souverain dans tous les pays & dans toutes les Religions, car un Prince qui veut employer sa puiffance en faveur de la Religion, eft nécessairement obligé de fuivre fon propre difcernement, fa confcience & fon guide, & il n'a point d'autre principe pour se déterminer. Ce que le

que

(a) Maimbourg, Hiftoire du Calvinifme, liv. 6.

(b) Voyez la III. Section du V. Capitre de ce même volume. Tome IV.

Sss

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Prince Orthodoxe peut faire dans fes Etats pour la vérité, le Prince hérétique le peut par conféquent dans les fiens pour l'erreur, non en qualité d'erreur, ce qui feroit abfurde, mais en vertu du principe qui lui eft commun avec l'Orthodoxe, c'est-à-dire la perfuafion & le dictamen de fa conscience. Le droit n'eft pas le même devant Dieu, mais il eft le même dans les fociétés civiles. Chaque Religion prononçant pour elle-même a le même droit, en vertu de fa prétention d'avoir raifon, que les autres veulent exercer contre elle en conféquence auffi de leur prétention.

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Le Souverain doit tâcher de réunir tous fes fujets dans les mêmes principes, & d'établir une unité de culte toujours utile à la Religion & à l'Etat. S'il n'y peut réuffir, il ne doit pas forcer ceux de ses sujets qui ne croyent pas à la Religion du pays, d'en garder les obfervances; mais il peut leur ordonner de fortir de ses Etats, dont ils troubleroient la paix, s'il n'aime mieux, en leur interdisant tout exercice extérieur d'une Religion différente, leur accorder une tolérance civile & domeftique, non en approuvant tout comme indifférent, mais en fouffrant avec patience ce que Dieu fouffre, & tâchant de ramener les hommes par la voie de la persuasion. C'est l'intérêt de la Nation, c'eft le plus grand bien du corps Politique qui doit régler la conduite du Souverain.

La regle de la conduite que les fujets doivent tenir, pas moins évidente.

n'est

Je fçais que la partie de la Religion qui regarde immédiatement la conscience ne dépend nullement des Puiffances du fiecle, & que tout homme qui craint Dieu doit fe tenir ferme, non-feulement à la vérité qu'il a connue, mais même à l'erreur qu'il a conçûe, & qui lui paroît une vérité, jusqu'à ce que la confcience foit autrement éclairée. La raison en est manifefte, & conclut, ainfi que je l'ai déja infinué, pour l'erreur

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