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Qu'on ne dife pas que le Roi devoit faire faire le procès aux deux Chefs des rebelles, puifqu'ils avoient commis un crime, & plufieurs crimes qui méritoient la mort, mais qu'il ne falloit pas les faire affaffiner, parce que la Souveraineté pourroit dégénérer en tyrannie, fi un Roi fe mettoit dans l'ufage de condamner lui feul ceux de ses sujets qu'il trouveroit à propos de juger. Il n'eft pas douteux que le Souverain ne doive fe conformer aux regles dans les cas ordinaires; mais dans cette occafion, les féditieux furent tués légitimement, quoiqu'ils le fuffent contre les formes établies dans l'ordre judiciaire. Le crime dont ils étoient coupables confistoit précifément en ce qu'ils avoient mis le Souverain dans l'impuiffance de les faire juger dans les regles, en ce que le pouvoir illégitime, qu'ils avoient ufurpé dans l'Etat, rendoit impraticable tout autre moyen de les punir (a). Demander pourquoi on ne jugea pas les deux Guifes dans les regles, n'eft-ce pas demander raison de leur crime ? C'est ici une des occafions importantes & extraordinaires, où l'objet de la Loi pour la punition des crimes ne feroit pas rempli en la fuivant à la lettre, où la Puiffance fouveraine doit être employée indépendamment des formalités, & où la Juftice feroit hors d'état d'agir, fi elle n'osoit se débarrasser des fages liens dont elle s'eft chargée elle-même pour les cas ordinaires (a). Les circonftances où fe trouvoit Henri III font-elles communes ?

par Dubos, depuis la page 532 jusqu'à la page 543. Voyez auffi ce que j'ai dít moi-même dans l'Introduction, Tom. II. Sect. III,

(4) Ubi reverentia exceffit animis, & fumma imis confundimus, ubi opus eft, ut vim expellamus, præfertim apud feditiofos & perduelles, dit Alexandre dans Quinte-Curce.

Optimis aufpiciis ea geri, quæ pro Reipublicæ falute petuntur, quæ contra Rempublicam fieri contra aufpicia, dit l'Augur Fabius.

Hoc jus Jupiter ipfe fanxit, ut omnia quæ Reipublicæ falutaria funt, legitima

& juxta habeantur, dit Ciceron dans fes Philippiques.

Voyez la II. Se&t. du IV. Chap. du Droit naturel. Voyez auffi le Traité de Po litique, Chap. I. Sect. IX. au Sommaire : Le châtiment d'un rebelle importe à la sû reté du Prince.

Tome IV.

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XV. Meurtre du Ma

téhal d'Ancre.

Reconnoître qu'un Souverain peut, dans ces occafions extraordinaires, fe faire justice à lui-même, c'est au fonds ne lui accorder que le droit de la propre défense, parce que le Droit naturel permet à un particulier, qui n'a d'autre moyen que la force pour échaper à la violence d'un aggreffeur, qui en veut à sa vie ou à fa liberté. Combien la qualité du Souverain n'ajoute-t-elle pas au droit de la propre défense qu'ont tous les particuliers!

L'on peut, au refte, confulter ce que j'ai dit (a, des Profcriptions, dont le sujet a rapport à cet évenement ci.

Le troisieme dont je me fuis propofé de parler, c'eft le meurtre du Maréchal d'Ancre.

Concino Concini, Marquis d'Ancre, Maréchal de France arriva fous Louis XIII à ce dégré d'autorité & à ce point d'infolence, que les Nations ont marqué pour ne le souffrir jamais dans des favoris. Il fut immolé (b) à l'ambition de Luynes, qui alors gouvernoit Louis XIII; aux brigues des Grands qui vouloient avoir part à la faveur, & à la haine d'un peuple qu'on avoit foulevé contre lui. Le Roi avoit, dit-on, commandé fimplement qu'on l'arrêtât prifonnier, lorfqu'il entreroit au Louvre ; & il avoit défendu qu'on lui fît aucun mal, à moins qu'il ne mît l'épée à la main, & qu'on ne pût l'arrêter qu'en le blessant. Ceux qui vouloient sa mort prétendoient qu'il s'étoit mis en défense, & qu'on avoit été forcé de le tuer. Le peuple fe porta à toutes fortes d'excès, & le Roi approuva ce qui s'étoit paffé. Ce fut une étrange procédure que l'Arrêt de mort contre la Maréchale d'Ancre. Son plus grand crime étoit d'avoir reçû & pris le bien que la Reine Mere lui avoit donné.

Un Roi qui veut faire punir les citoyens par la voie de la

(a) Dans le Traité du Droit des Gens, Ch. II. Sect. VI. au Sommaire: Ne pas mettre la tête de l'ennemi à prix.

(b) le 24 d'Avril 1617.

Justice, ne doit tremper fes mains dans leur fang, que lorfqu'un fujet s'eft rendu fi puiffant que fon Maître a lieu de le craindre. Le principe eft certain, & néanmoins il y a apparence que le meurtre du Maréchal d'Ancre ne fut fait ni à l'infçu de Louis XIII, ni contre fon gré.

Cet homme, fi perfécuté de fon tems, fi décrié du nôtre, n'étoit pas plus méchant que la plupart des Courtisans de fon fiecle; mais il étoit étranger, riche, accrédité, favori, il fut plus malheureux. Il n'avoit fait que des fautes, il n'avoit commis aucun crime, il n'en avoit du moins fait aucun qui méritât la mort (a), & il eût fallu d'ailleurs l'entendre avant que de le condamner à périr. Il étoit aisé au Roi de le faire arrêter, fans le faire affaffiner, & il fut injufte & très-indécent à la Majesté Royale de faire tuer, & tuer à la porte du Louvre, fans néceffité, comme fans aucune forme de justice, un Officier de la Couronne, un homme comblé des graces du Roi, & le mari de la favorite de la Reine Mere. Ce qu'il y eut d'injufte & d'irrégulier en cela peut être excufé, à l'égard du Souverain, fur fon extrême jeuneffe, fur la surprise que lui avoient fait fes Miniftres & fes Courtifans, ou fur ce qu'il n'avoit peut-être ni désiré ni commandé qu'on allât fi loin.

(a) Vie des hommes illuftres de la France, par Dauvigny, Tom. III; Mémoires pour fervir à l'Hiftoire univerfelle de l'Europe, depuis 1600 jufqu'en 1716, par d'Avri gny, depuis la page 222 jusqu'à la page 231 du premier vol

XVI.
Où la Question

a été & où elle eft

en ulage,

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SECTION IV.

De l'ufage de la Question.

N peint la Justice avec un bandeau fur les yeux, pour marquer qu'elle ne fait acception de personne. Cet emblême ne pourroit-il pas fignifier auffi qu'elle marche à tâtons dans la recherche des crimes, à peu-près comme dans ces jeux où un enfant, les yeux bandés d'un mouchoir, pourfuit les autres, & eft obligé de nommer celui qu'il prend ? Les tortures inventées pour extorquer, de la bouche des accufés, la confeffion des crimes dont on les accuse, font-elles bien propres à découvrir la vérité qu'on cherche ?

Cet ufage des Chrétiens a été inconnu dans la Loi Judaïque, & il n'y en eft fait aucune mention.

Tout le monde connoît le paffage de S. Auguftin, où l'injustice de la torture eft fortement représentée & foiblement excufée (a). Louis Vivés, en expliquant ce paffage, s'eft déclaré hautement contre la pratique de la question; mais Leonard le Cocq, dans fon Commentaire fur les mêmes paroles, condamne l'opinion de Vivés, & foutient que les Saints Peres approuvent l'ufage des tourmens, pour forcer les accufés de s'expliquer.

Tant que Rome vécut en République, aucun citoyen në pouvoit être mis à la question, les efclaves feuls pouvoient y être apliqués.

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Aujourd'hui même, plus jaloux de protéger l'innocence que de punir le crime, le peuple Anglois rejette une preuve fi équivoque. Un homme de cette nation accufé d'un crime doit répondre, s'il eft coupable ou non. S'il l'avoue, fon (a) Au Liv. XIX, de la Cité de Dieu.

procès eft bientôt fini. S'il le nie, ou il fe juftifie, ou il est
convaincu; mais s'il refufe de parler, & qu'il foit évidemment
chargé du crime pour lequel il eft arrêté, on l'étend fur le
plancher, & on lui met fur le corps une groffe piéce de bois
chargée de différens poids, aufquels on ajoute jufqu'à ce qu'il
parle ou qu'il expire. Comme dans ce cas qui eft extraordi-
nairement rare,
le criminel meurt avant que fon procès ait
été parfait, il n'eft point cenfé coupable, & fes biens ne font
point confifqués, à moins qu'il ne foit queftion d'un crime
de lèze-Majefté où la confiscation a toujours lieu. Cet avan-
tage a quelquefois engagé des criminels à fe laiffer écraser,
pour conferver leur fucceffion à leurs enfans (a).

Cet usage terrible de la question, qui n'eft établi en Angleterre que dans le feul cas que je viens de dire, est reçu en France, en Espagne, en Hollande, dans les Etats du Pape, & dans tous les autres pays de l'Europe.

XVII. Inconvéniens de

Les Allemands portent encore la cruauté plus loin. Dans la plupart des terres du Corps Germanique, l'on ne fait jamais la Question. mourir un coupable, quelque preuve qu'on ait de fon crime, qu'il ne l'ait avoué, on le tourmente d'une maniere barbare pour tirer cet aveu de fa bouche (b).

Les Loix Romaines marquent beaucoup de défiance pour une preuve fi incertaine (c).

C'est la douleur qui regle les effets de la torture. Ce qu'il y a de force ou de courage en chacun, la modére, la paffion la diminue, l'efpérance l'adoucit, la crainte l'affoiblit,

(a) Voyez l'Introduction Tom. II. Se&. VII. du Gouvernement de la GrandeBretagne.

(b) Bodin, Démonomanie.p. 278.

c) Quæftio res eft fragilis & periculofa & quæ veritatem fallat; nam plerique patientiâ fivè duritiâ tormentorum, ita tormenta contemnunt, ut exprimi eis veritas nullo modo poffit; alii tantâ funt impatientiâ, ut quodvis mentiri quam pati tormenta velint. Leg. 1. §. 23. ff. de Quæft.

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