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foixante mille livres en fonds de terre qu'ils abandonnent au Duc de Lorraine, & quarante mille livres en argent comptant, moyennant quoi la fille renonce à la fucceffion de fes pere & mere, fans pouvoir y prétendre autre chofe. Le Duc conftitue à la future épouse un douaire annuel de cinquante mille livres, monnoye de Lorraine, avec une habitation & des meubles convenables à une Douariere de fa qualité. Il lui donne, au cas qu'elle lui furvive, deux cent mille livres, monnoye de France, pour être inceffamment employées en fonds de terre, & enfin cent mille livres, encore monnoye de France, pour fes bagues & joyaux, avec cette clause importante dont je rapporte ici les propres termes : » Décla»rant ledit Seigneur Duc, qu'en cas que Dieu lui donnât » des enfans de son mariage, il prétend que tels enfans soient » abfolumment exclus des fucceffions des Duchés de Lorraine » & de Bar, Terres & Seigneuries en dépendantes, reconnoiffant que telles fucceffions ne regardent que le Prince » Charles de Lorraine, qu'il déclare à cet effet fon héritier » immuable, voulant que tels enfans fe contentent des reve» nus qu'on leur affignera, modiques à la vérité pour des fils » de Souverain, mais très-considérables par rapport à la qua»lité de leur mere, fe foumettant lui & ladite Demoiselle Pajot fa future épouse, pour l'exécution de tous les pactes: » entre eux accordés, au jugement du Parlement de Paris. » Il feroit difficile de trouver un mariage plus extraordinaire dans toutes fes circonftances. Pour remplir fa vocation, le Duc de Lorraine veut époufer une fille du peuple, priver de fa fucceffion les enfans qui pourront naître de fon mariage, préférer fon neveu aux enfans qu'il pourra avoir, & se foumettre au jugement d'un Tribunal étranger qui, entre autres droits, aura celui de déclarer & de maintenir le véritable Souverain de la Lorraine. Tout extraordinaire qu'il étoit,

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ce mariage auroit eu lieu, fi Henriette d'Angleterre, Ducheffe d'Orléans, ne pouvant fouffrir l'indignité de cette alliance, n'avoit fupplié Louis XIV. d'interpofer fon autorité, pour empêcher qu'on ne pafsât outre. Pajot fut enlevée & mise dans un Couvent; & le Duc de Lorraine, après avoir envain preffé, prié, follicité le Roi, oublia fa paffion avec d'autant plus de facilité, qu'il fut toute fa vie le plus leger & le plus inconftant de tous les Princes, dans fes goûts & dans fes affaires (a).

que

Le Mariage à la Morganatique a quelquefois donné lieu aux enfans de la femme ainsi épousée, de fuccéder. Ç'a été lorfque l'Empereur a rapproché les conditions, en élevant la femme au rang de Princeffe de l'Empire. Mais comme par les loix de l'Empire, l'Empereur dans l'exercice de ce qu'on appelle fes Réserves, ne doit point préjudicier à un tiers, & de tels mariages font une espèce de tache dans une maison illuftre, ces fortes de graces font fouvent fujettes à révocation ou à restitution. En voici un exemple tout récent. Le Duc Antoine-Ulric de Saxe-Meiningen ayant époufé Philippine-Elizabeth Zeferin, d'une naiffance obfcure, & en ayant des enfans, follicita l'Empereur Charles VI d'accorder à son épouse le rang & la dignité de Princeffe de l'Empire & de Ducheffe de Saxe, avec toutes les prérogatives qui en dépendent, & l'habileté aux enfans de fuccéder aux fiefs patrimoniaux (b). L'Empereur lui accorda fa demande (c). Tous les Princes de la branche Ernestine de Saxe protestérent contre cette difpo-.

(a) Voyez les Mémoires du Marquis de Beauvau, 1. 4. p. 221; les Mémoires pour fervir à l'Hiftoire Univerfelle de l'Europe depuis 1600 jufqu'en 1716. p. 125, 126 & 127 du troifieme Tome; le Corps univerfe Diplomatique du Droit des Gens, fixiéme vol. deuxieme partie p. 410; & l'Hiftoire du régne de Louis XIV. Avignon 1742. premier vol. depuis la p. 585, jufqu'à la p. 588.

(b) Johan Jacob Mofer, Wahl cap. Frantz des Erften. Til. 1. p. 125. & sui

gantes.

(c) Par un Diplome daté du 25. de Septembre 1727

sition, & alléguerent pour fin de non-recevoir, qu'elle étoit contraire aux pactes de famille (a). Le frere du Duc AntoineUlric intervint comme partie principale oppofante. Le Roi de Pologne-Electeur de Saxe fit des représentations fort preffantes à l'Empereur, dans un Ecrit qu'il lui adreffa en forme de Lettre. Le Roi de Pruffe fe déclara pour la même cause. Le Diplome fut attaqué comme fubreptice, & l'on fit voir à l'Empereur qu'il avoit agi contre fa Capitulation. Ce Monarque, jaloux de fes Réferves, ne voulut point annuller fon Diplome; mais, pour ne pas mécontenter tant de puiffans Princes, il confentit que fon Confeil Aulique jugeât le point de la fucceffion. Il s'écoula beaucoup de tems avant qu'on cût rassemblé & examiné les actes de part & d'autre. Le Conclufum du Confeil Aulique ne fut pas favorable au Duc AntoineUlric. Il prit alors le parti de décliner la compétence de ce Tribunal, & de recourir à la Diette. Sur ces entrefaites, Charles VI mourut; & dans le XXII. article de la Capitulation de fon Succeffeur, on prévint la confirmation du Diplome & de l'état des enfans de Philippine-Elizabeth Zefcrin qui étoit auffr morte, mais dont les fils fe qualifioient Princes de l'Empire & Ducs de Meiningen. Charles VII, follicité de faire finir cette affaire, donna un Decret (b) par lequel, fe conformant au Conclufum du Confeil Aulique & à l'article XXH de fa Capitulation, il débouta le Duc Antoine-Ulric de fes prétentions; infirma, quant à la fucceffion & aux titres de la Maison Ducale de Saxe, le Diplome obtenu par lui du feu Empereur; déclara fon mariage une méfalliance dans toutes les formes; & les enfans iffus de ce mariage inhabiles à fuccéder à aucun fief de l'Empire. Il femble que, dans la derniére Capitulation de François I. on a eu en

(a) Et nommément à celui du 8 de Juin 1681 entre Fréderic Duc de Gotha'; & Bernard Duc de Saxe - Meiningen.

(b, Daté de Francfort fur le Mein le 15 Septembre 1744.

vue de mettre ce Decret à couvert de toute entreprise, puisqu'il y eft dit (a), que les Expectatives pour les Fiefs de l'Empire concédées par les précédens Empereurs, de même que les conventions d'hérédité & de fucceffion aux mêmes Fiefs, faites & confirmées au préjudice d'un Tiers, feront nulles & de nul effet. Les circonftances où le trouvoit Charles VII furent favorables aux Parties du Duc Antoine-Ulric. Un Empereur puiflant cherche plutôt à user de ses Réferves & à les étendre, qu'à les négliger & à les reftreindre. Il hazarde même, pour parvenir à fon but, des entreprises contraires à fa Capitulation. S'il se trouve dans une fituation formidable, qui ofera les traiter d'injuftices de nullités? Tout plie, tout se foumet on diffimule, ou fi l'on fe plaint, on n'est point écouté. Mille tranfgreffions ont donné lieu à autant de griefs & à des plaintes amères, fans qu'on ait pu obtenir ni fatisfaction, ni redreffement. Tout cela n'eft point à craindre de la part d'un Chef médiocrement puiffant. Loin d'entreprendre fur les Loix qu'il a folemnellement jurées, il s'attache fcrupuleusement à les obferver, pour se captiver l'affection des Etats que fa fituation lui rend néceffaire. Il est timide, parce qu'il eft foible. Il feroit hardi & entreprenant, s'il étoit puiffant.

XVI.

Pour connoître fi le mariage est un lien indiffoluble, il faut Da lien du Mad'abord raisonner fur les principes du Droit naturel.

Comme l'un des contractans ne peut pas fe dédire d'une convention fans le confentement de l'autre, le Droit naturel ne permet point qu'un mari quitte fa femme, ou une femme fon mari, par un mouvement capricieux ou dans l'efpérance de trouver un meilleur parti. Qu'eft-ce que le mariage? Une donation mutuelle que deux perfonnes libres se font l'une à l'autre de leurs corps. La nature.de cette fociété (4) Capitulat. de François Premier, Art. XI. 6. 9.

riage.

XVII.

Il eft indiffoluble

& par le Droit

Canonique,même

& en cas de ftérilité.

fait voir qu'elle doit durer long-tems. Ce n'est pas

feulement

pour avoir des enfans, c'est encore pour les élever qu'on se
marie. De Droit naturel, le mari doit par conféquent de-
meurer avec fa femme, au moins jufqu'à ce que les enfans
foient en état de pourvoir à leur fsubsistance ou de vivre avec
le bien qu'il leur laiffe; les befoins feuls des enfans le de-
mandent. Mais il ne paroît pas qu'il y ait rien, ni dans la
nature ni dans le but de cette union, qui exige que le mari
& la femme demeurent ensemble toute leur vie, Ainfi,
confulter que
le Droit naturel, il femble qu'ils pourroient se
quitter après avoir élevé leurs enfans & leur avoir laiffé du
bien pour s'entretenir; & il eft d'ailleurs évident, dans ce
même Droit, que l'un des mariés ne peut être obligé de te-
nir fa promeffe, fi l'autre manque à la sienne.

à

ne

Mais le Mariage parmi nous n'est pas feulement une union par le Droit Civil naturelle entre des hommes, ce n'eft pas feulement un Conen cas d'adultere trat civil entre des citoyens, c'eft de plus un Sacrement entre des Chrétiens. La nature forme l'engagement; la Loi Politique le détermine, le caractérise, le qualifie; l'Eglife le confacre, & l'indiffolubilité qu'il a, à ce dernier égard, eft le fceau de la perpétuité qui renfermé les Contractans dans le vœu de la Loi.

C'est une opinion affez commune parmi les Chrétiens, que
l'indiffolubilité du mariage eft fondée fur l'inftitution primi-.
tive, fuivant les paroles de la Genèse (a), & dont le Nou-
veau Teftament a renouvellé la Loi (b); mais il eft inutile
d'entrer dans cette question qui a été décidée & par
le Droit
Divin pofitif & par les Loix Civiles (c), Jefus-Chrift a rendu
le mariage indiffoluble, en défendant que l'homme séparât ce
que Dieu a joint.

(a) Adhærebit vir uxori fuæ, & erunt duo in carne unâ. En S. Mat. chap, 19.
(b) Nuptiæ funt viri & mulieris conjunctio, individuum vitæ confortium continens.
(c) Quod Deus conjunxit homo non feparet; Et en parlant du divorce: Ad
initio non fuit fic.

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