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damnés, & il a promis d'appuyer de toutes fes forces les jugemens que le Corps prononceroit. Dans les fociétés civiles, le Souverain exerce proprement le droit qu'avoient tous les particuliers dans l'état naturel. C'est par cette voie, aussi jufte en foi qu'utile pour la fociété, que tous les particuliers fe trouvent foumis à la correction du Corps. Le pouvoir Souverain feroit illufoire, s'il n'étoit armé de toutes les forces de l'Etat & revêtu du droit non feulement de menacer, mais encore de frapper ceux qui troublent le repos public.

SECTION II I.

Regles du pardon des crimes, de l'indulgence, ou de la févérité des Souverains.

E Souverain qui a le droit de punir, a auffi celui de pardonner, & il est bienféant qu'il pardonne quelquefois, La clémence des hommes eft la vertu qui les approche le plus de la Divinité.

La morale de Zénon, qui contenoit des chofes excellentes, en avoit d'autres fi outrées, qu'elle déshonoroit la vertu en la rendant impraticable & ridicule. Un de ces dogmes les moins fenfés étoit celui qui établissoit l'égalité des fautes ; & comme il n'en reconnoiffoit point de légeres, il vouloit auffi qu'on n'en pardonnât aucune, & qu'on les punît toutes avec la même févérité.

Ses difciples foutenoient que les crimes puniffables devant les Tribunaux humains, ne doivent jamais être pardonnés ; qu'un homme fage ne pardonne jamais, que lorsqu'on pardonne, on doit supposer en même-temps que celui qui a péché n'eft pas coupable, mais que quiconque péche le fait par malice. Le fens de ce raisonnement fe réduit à ce

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dilemme Celui qui a péché est coupable, ou ne l'eft pas. S'il n'eft pas coupable, il n'a point commis de véritable péché, puifque tout péché se commet par malice, & par conféquent il n'a pas befoin de pardon. S'il eft coupable, on ne peut lui faire grace, puisqu'on ne pardonne que les fautes involontaires. N'eft-ce pas là une manifeste pétition de principe?

Un homme de bien, difoient encore les Stoïciens, n'eft point doux & clément, car la clemence confifte à ne pas punir un coupable, felon qu'il le mérite; or on doit indispenfablement rendre à chacun felon fes œuvres. Mais on peut répondre que la maxime; qu'il faut néceffairement rendre à chacun ce qu'il lui appartient, n'a lieu qu'en matiere de biens. Le mal ne peut tendre à l'avantage de celui qui le fouffre, & l'on peut le lui épargner fans commettre aucune injustice:

La clémence, ajoutoient-ils, fuppofent qu'on trouve trop rigoureuses les peines portées par les Loix ou qu'on accuse le Législateur d'en établir contre ceux qui ne le méritent pas. Senèque penfoit que le Légiflateur ne décerne les derniers fupplices que contre les plus grands crimes; de maniere que perfonne ne périffe, qu'il ne foit de l'intérêt même de celui qu'on punit qu'il périffe (a). Les Loix n'ont pû faire cette diftinction entre les crimes. Elles condamnent en général à la mort tous ceux qui commettent certains crimes, elles n'ont point d'égard à la difpofition d'efprit où étoient les coupables; mais le Souverain qui a la manutention de la Loi que lui-même il a faite› eft obligé d'avoir égard aux circonstances particuliéres ou extraordinaires des tems, des perfonnes, de la fituation des affaires de l'Etat. Rien n'empêche qu'il ne relâche quelquefois légitimement la peine portée par la Loi, toute jufte qu'elle eft. Il ne fait grace que pour certaines raifons qui n'ont

(4) Supplicii ultimi ponat ut nemo pereat, nifi quem perire etiam pereunti

interfit.

pas

pas toujours lieu, & qui n'ont pas même une application néceffaire à tous ceux qui peuvent commettre le même crime. Le bien de l'Etat permet, exige même quelquefois que l'on faffe grace.

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X.
Motifs qui folli-

du Souverain,

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Il importe, généralement parlant, que le Législateur agiffe en conformité de fes propres Loix, parce qu'elles perdent citent la clémence beaucoup de leur autorité lorsqu'il en fufpend l'exécution fans de très fortes raifons. Il invite lui-même, pour ainfi dire, au crime, lorsqu'on a. autant ou plus de fujet de so promettre l'impunité, que d'appréhender la punition (a). Il y a, n'en doutons point, une fauffe indulgence; & dans les actions même de clémence, il eft fouvent convenable de laiffer quelques marques de la févérité du Législateur. Le meurtre, même involontaire, n'a pas été exempt de quelque punition chez la plupart des peuples, afin d'ôter tout prétexte aux homicides, & d'obliger les hommes d'apporter toute. leur attention pour prévenir ce malheur. Il faut refpecter les Loix, & dans leur origine & dans leur durée. On ne doit ni les abolir ni les changer, ni en suspendre l'execution fans des raifons très fortes; autrement, on pécheroit contre les regles du Gouvernement.

Il paroît même moins dangereux d'abolir tout-à-fait la Loi, que de la laiffer impunément violer à certaines personnes, parce que, dans ce dernier cas, le Souverain donne occasion à de grandes plaintes, & fait soupconner le Gouvernement d'une injufte acception de perfonnes. Si la peine eft trop rigoureuse, à prendre la Loi dans toute fon étendue, il faut mieux adoucir la Loi & l'anéantir totalement, que de faire grace à un petit nombre de perfonnes, pendant que les autres font fujets à une punition dure & injufte. Si dans une certaine action, il fe trouve des circonftances particulieres qui (4) Bonis nocet, quifquis pepercerit malis.

Tome IV.

LII

empêchent qu'elle ne foit auffi atroce que la Loi la fuppofoit, l'équité feule oblige les Juges non à remettre entiérement la peine, car ce droit eft réfervé au Souverain, mais à l'adoucir, fans que par là on faffe rien contre l'efprit de la Loi. Il· n'y a donc proprement que des raifons extérieures qui engagent à pardonner.

Comme le Souverain peut abolir entiérement une Loi, il peut, à plus forte raison, en fufpendre l'éxécution, à l'égard de certaines perfonnes & dans certaines circonftances. Je dis le Souverain, parce que les Officiers du Souverain doivent juger felon la Loi.

Les raisons extérieures qui follicitent la clémence du Souverain, font, par exemple, les fervices paffés ou du coupable ou de fa famille; quelque talent extraordinaire; une rare induftrie, ou quelque autre considération qui le rend particulierement recommandable.

Le Souverain a un motif puiffant de pardonner, lorsque le crime a été commis par une ignorance qui, fans être totalement excufable vient d'une pure négligence; ou lorsque le coupable a péché par l'effet d'une foibleffe d'efprit qu'il lui eft difficile de furmonter.

Comme l'utilité de l'Etat eft la vraie mesure des peines que les Tribunaux humains décernent, elle demande fouvent que l'on faffe grace à cause du grand nombre de coupables. Le nombre des criminels ne peut fervir d'excuse à perfonne; mais la prudence qu'on doit apporter à gouverner des Sujets exige que la Justice qui a été établie pour la confervation de la fociété, ne foit pas exercée d'une maniere qui la détruife. Un bon Prince doit réprimer les vices par la crainte des peines, & ne punir pourtant que le moins qu'il eft poffible. C'est quelquefois un effet de miféricorde que de punir, c'eft auffi quelquefois une cruauté que de pardonner.

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Je parlerai encore des motifs de pardonner ou de punir s dans le Traité de Politique (a).

XI.
Dans les affaires

font particulieres, il

vaut mieux fauver un coupable, que de faire périt ua

C'est une des premieres regles du Droit Civil d'aller toujours à la décharge de l'accufé, quand les preuves ne pas évidentes (b). Il faut, dit une Loi, qu'elles foient plus claires que le jour en plein midi (c). On ne doit, dit une nnocent." autre Loi, condamner perfonne fur des préfomptions, & il que le coupable demeure impuni, qui fi l'innocent étoit condamné (d).

vaut mieux

L'équité naturelle qui a dicté cette derniere Loi à Trajan, qui étoit un Empereur Payen, doit faire encore plus d'impreffion fur l'efprit & fur le cœur des Princes & des Juges Chrétiens, puifque la Religion Chrétienne confifte principa- · lement dans l'adoration d'un Dieu fait homme & injuftement condamné par les hommes. On tient communément qu'il vaut mieux que cent coupables échapent au châtiment que fi un feul innocent périffoit. Antonin le Pieux avoit toujours dans la bouche ces belles paroles : qu'un Empereur devoit mieux aimer fauver un citoyen, que de perdre mille ennemis (e).

C'est dans ce même efprit qu'il est établi dans les Tribunaux de Justice, qu'en matiere criminelle le parti le plus doux doit être préféré au plus rigoureux. On fait remonter cet ufage aux fiécles les plus reculés. Orefte, après avoir tué fa mere, eft obfedé par les furies qui ne le quittent point. Apollon, pour l'en délivrer, lui confeille d'aller à Athènes implorer le fecours de Minerve. Ce Dieu s'y tranfporte lui

(a) Chap. I. Sect. X.

(b) Semper in obscuris quod minimum eft fequimur. Leg. 9. ff. de diverfis Re gulis Juris.

c) Luce meridianâ clariores.

d) Satius rectè eft impunitum relinqui facinus nocentis, quam innocentem dame pare. L. 5. ff. de Panis.

(e) Satius eft Imperatori, unum civem fervari, quam mille hoftes perdere.

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