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coactive qui en peut venir à la voie de fait pour contraindre d'obéir aux Loix, le droit qu'a le Souverain de contraindre par la force les citoyens à exécuter ses Loix, fes Edits, fes Ordonnances, fes ordres, & d'infliger des peines à ceux qui défobéiffent.

- Inutilement le Souverain feroit-il chargé de pourvoir aux befoins publics, s'il ne pouvoit y employer les biens & les forces des particuliers. En vain feroit-on des Loix, fi l'on ne puniffoit ceux qui les violent. Puifque la févérité des peines ne fuffit pas pour réprimer entiérement l'injuftice, quel en feroit le progrès, fi le Souverain n'étoit pas en état de punir les contrevenans? Les Loix feroient inutiles, dit le Droit Romain, fi l'on ne les faifoit exécuter (a), fi elles ne confiftoient que dans l'Ecriture, & fi le Législateur ne leur donnoit la force nécessaire (b).

SECTION II.

Domaine éminent & fupérieur de l'Etat, ou propriété fuprême, & droit de vie & de mort.

G

1

III.
Quel est le droit

éminent & fupe.

rieur de l'Etat fur

jets.

ARDONS-nous bien de regarder les Princes qui regnent en Europe comme étant les propriétaires, foit des biens, foit des perfonnes de leurs fujets. Cette fauffe idée les biens des Sueft détruite par la différence que j'ai établie (c) entre le Gouvernement defpotique & le Gouvernement abfolu, & qu'il faut retracer ici d'après un Auteur François.

Loyseau, dans fon Traité des Seigneuries (d), a parlé (a) Fruftra Prætor in poffeffionem mitteret, nifi miffos tueretur & prohibentes venire in poffeffionem coërceret. Leg. 1. §. 1. ff. Ne vis fiat ei qui in poffefs. (b) Quæ enim Legum erit utilitas, fi in litteris duntaxat confiftant, non etiam per ipfa facta atque opera fubditis utilitatem de fe præbeant Novell. 161.

in princip.

(c) Dans le VII, Chap. de l'Introduction

(d) Chap. 2.

amplement du Gouvernement Monarchique. Il dit qu'il y a deux fortes de Monarques, fçavoir les Monarques Seigneurs & les Monarques Souverains, ou qu'il y a deux efpeces de Monarchies, l'une qu'il appelle Seigneuriale, & l'autre qu'il appelle Royale. Cette distinction avoit été faite originairement par Bodin en fa République (a), mais Loyseau l'a beau coup mieux développée. Il appelle Monarques ou Princes Seineurs ceux qui ont toute Principauté & toute propriété ou Seigneurie privée; tant fur les personnes que fur les biens de leurs fujets, lefquels ( dit-il) ne font pas feulement fujets, mais efclaves tout à fait, n'ayant ni la liberté de leurs personnes ni aucune Seigneurie de leurs biens, qu'ils ne poffèdent qu'à droit de pécule & par fouffrance du Prince Seigneur. D'où il s'enfuit qu'une telle Monarchie Seigneuriale est directement contre nature qui nous a faits tous libres. Après avoir observé qu'il y a eu anciennement plufieurs Monarchies de cette efpece, & qu'il y en a actuellement plufieurs; néanmoins, ( dit-il) il faut confeffer que ces-Monarchies Seigneuriales font barbares & contre nature, & particulierement qu'elles font indignes des Princes Chrétiens, qui ont aboli volontairement l'esclavage en leur pays. Il explique enfuite ce qui regarde les Monarques qu'il appelle Princes Souverains, qui n'ont pas la Seigneurie privée des perfonnes ni des biens de leurs fujets; & dans le Chapitre suivant (b), il entre dans un plus grand détail fur ce qui appartient à la Souveraineté. Il réfulte des paroles de cet Auteur que la Monarchie Françoife eft Souveraine & abfolue; mais qu'elle n'eft pas Seigneuriale; c'eft-à-dire que le Roi n'a pas la Seigneurie privée des perfonnes & des biens de ses fujets. Toutes les Loix & toutes les Ordonnances de nos Rois difent ou fuppofent par tout, que les particuliers ont la pro

a) Liv. 2. Ch. 2. & 34

(b) Chap. III.

priété de leurs biens, & nous avons mille & mille exemples que, lorfque nos Rois veulent acquérir quelque bien appartenant à leurs fujets, ils en usent comme feroient les particuliers, ils en payent le prix, & c'eft fur quoi il a été fait un grand nombre de Réglemens dans ce Royaume; mais fi les Souverains les plus abfolus en Europe n'ont point le domaine privé, la Seigneurie privée dont on parle ici, ils ont tous nécessairement un domaine éminent & fupérieur, & fur les biens & fur les perfonnes de leurs fujets. Traitons ce point relativement à ces deux objets.

Ce que j'appelle ici domaine éminent & fupérieur de l'Etat, propriété fuprême, les uns l'appellent domaine de protection & de jurifdiction (a); les autres, domaine de puissance ( b); quelques autres, puissance & feigneurie publique (c).

Le but de toute fociété civile demande que les droits na turels ou acquis de chaque Citoyen, foient soumis à la puiffance Souveraine. S'il eft un droit particulier qui donne à cha→ que citoyen le domaine de ce qu'il pofféde, il en eft un autre supérieur lequel eft la fource, la regle, & l'interprete infaillible de toutes les Loix qui ont pour objet les propriétés particulieres. Ce droit éminent & fupérieur, réfidant dans la Communauté ou dans le Prince qui la représente éminemment, absorbe le droit des particuliers, toutes les fois que cela eft néceffaire pour l'intérêt du tout dont ils font les membres. La raison en eft que l'intérêt particulier doit toujours céder à l'intérêt général (d), felon l'intention expresse ou préfumée des fondateurs de la fociété.

(a) Ad Cæfarem poteftas omnium pertinet, ad fingulos proprietas. Senec. de benef. L. I.

(b) Cujus eft, quidquid eft omnium tantum ipfe quantum omnes habent. Pa nagyr. Plin. jun.

(c) Loyfeau, Traité des Seigneuries, Ch. X. N. 26, 27, 28, & fuivans, (4) Salus populi fuprema lex efto.

C'eft pour remplir cet objet, que le pouvoir Royal eft au deffus du pouvoir paternel; qu'un citoyen doit obéir à fon Souverain, préférablement à fon pere, & que le Souverain laiffe plus ou moins d'autorité aux peres fur leurs enfans, fuivant qu'il le juge néceffaire au bien public. C'est pour la même fin que le Souverain peut fe fervir des biens des fujets, les aliener, les détruire, je ne dis pas feulement dans le cas d'une néceffité extrême ( car ce cas donne quelque sorte de droit aux particuliers mêmes fur les biens d'autrui je dis dans tous les cas où l'intérêt public l'exige.,

Lever des impôts qui engloutiffent une partie des revenus de chaque particulier; faire des Réglemens qui prennent fur la libre difpofition de ses biens; porter des loix qui le gênent, c'est de la part du Souverain exercer le droit qu'a l'Etat de dif pofer de ce qui appartient à chaque fujet, & dont chaque fujet trouve l'équivalent dans la protection commune que reçoi+ vent les Citoyens. C'eft pour cela que le Prince prend les terres de ses sujets, pour y faire des fortifications ou d'autres ouvrages publics; qu'il s'en fert pour faire des digues, afin de préferver un pays des inondations; qu'il inonde des terres entieres pour fufpendre la marche de l'ennemi ; qu'il ravage un pays pour empêcher l'ennemi de fubfifter; qu'il abbat des maifons pour arrêter un incendie, &c. Le droit de borner non-feulement l'ufage des biens des fujets, mais de s'en faifir & de les tourner à l'utilité du public, est si essentiel à la Souveraineté, qu'elle confifte dans la fuprême Puiffance de pourvoir à tout ce qu'elle juge nécessaire à l'utilité commune (a). . Mais cette propriété éminente de l'Etat n'a d'étendue qu'autant que lui en donne l'intérêt public. Ce n'eft pas pour en difpofer comme il lui plaît, que le Souverain eft maître 1 (4) Cæfar omnia Imperio poffidet, finguli dominio. Senec. de benef. L. 1.

abfolu

abfolu du bien de fes fujets, c'eft pour en faire ce qui eft utile au bien du Royaume (a); on lui en laisse la disposition, mais il ne doit en ufer que pour la néceffité, pour l'utilité, ou pour la commodité publique. Dire que le Prince eft maître abfolu de tous les biens de fes fujets, fans égards, fans compte ni difcuffion, c'eft fuivant la remarque d'un Auteur judicieux (b), l'opinion d'un favori qui fe dédira à l'agonie.

Le Prince, dans le cas que je dis, difpofe des biens des particuliers, comme s'ils appartenoient au public. Ce n'est pas comme propriétaire qu'il en dispose, car il ne l'eft pas, c'est comme Souverain, obligé de pourvoir aux besoins de la fociété, à laquelle chacun de ceux qui la composent a promis expressément ou tacitement de faire un tel facrifice en faveur du bien public. Un citoyen eft légitimement forcé de céder fon champ & fa maison paternelle à l'Etat, s'il s'agit de faire des des grands chemins, des fortifications, Le motif feul de la décoration publique fait même ceffer le droit particulier, bien entendu que le citoyen dont on a pris ainfi les biens, doit être dédommagé par l'Etat de la valeur des chofes dont l'Etat a difpofé pour l'utilité commune.

canaux,

La Province de Zéelande, avoit fait dans ces derniers tems, un ufage marqué de ce droit fupérieur & éminent qu'a tout Souverain fur le bien des fujets. Deux villes de cette Province, Fleffingue & Tervéer, avoient été inféodées par l'ancien Souverain du pays aux auteurs du Prince de Naffau d'aujourd'hui, La Province de Zéelande les définféoda; parce qu'elle crut que l'autorité que l'inféodation donnoit au Marquis de Fleffingue & de Tervéer, pouvoit devenir dangereuse pour le Souverain entre les mains du Prince de Nassau, qui étoit alors

(a) Ditionis non proprietatis; tuitionis non deftructionis; omnia regitis, fed fuum cuique fervatis, dit Symmachus aux Princes. X. Ep, 54.

(b) La Bruyère, Caractères, Ch. X. du Souverain & de la République. Tome IV.

КАК

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