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& rompu tout vif. Un jeune Ecolier âgé de dix-huit ans ; nommé Jean Chatel, fils d'un Marchand Drapier de Paris, s'étant glissé (a) avec les Courtisans dans la chambre de Gabrielle d'Eftrées où étoit le Roi, le voulut frapper d'un coup de couteau dans le ventre; mais le Roi s'étant heureusement baiffé dans ce moment pour faluer quelqu'un, il ne l'atteignit qu'au visage, lui perça la lévre supérieure, & lui rompit une dent. Le Parlement le condamna à avoir le poing droit brûlé, à être ténaillé, & tiré à quatre chevaux. Le pere de ce malheureux fut banni, fa maison qui étoit vis-à-vis le Palais démolie une pyramide erigée en la place. Enfin, ce Prince périt par les coups de l'infâme Ravaillac, & perfonne n'ignore ni ce funefte évenement, ni la maniére dont l'affaffin fut puni, Robert Damien a fubi le même fupplice pour le crime par lui commis fur la perfonne du Roi (b): son pere, sa femme; fa fille, tenus de vuider le Royaume, défense à fes freres & fœurs de porter le nom de Damien (c). Les nommés Félix Ricard & Jean-Baptiste de Morfy, fils, ont aussi fubi le dernier fuplice pour avoir inventé & dénoncé des complots déteftables (d).

Le Parlement de Paris (e) a condamné Jean Moriceau de la Motte, Huiffier aux Requêtes de l'Hôtel, à faire Amende honorable, & à être pendu, pour avoir tenu des avoir tenu des propos féditieux contre le Roi, le Parlement & des perfonne en place. Et Paul-Réné du Truche de la Chaux, Ecuyer, ci-devant Garde du Roi, à faire amende honorable, au-devant de la princpale porte de l'Eglife de Notre-Dame, devant celle du Palais des Thuilleries, & devant celle de l'Hôtel de Ville, & à être pendu en place de Grêve, pour avoir fabriqué des im

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poftures contre la sûreté du Roi & la fidélité de la Nation (a).

Le crime de lèze-Majefté emporte dans toute l'Europe la confifcation de corps & de biens. Les enfans fouffrent par conféquent la perte des biens aufquels ils auroient fuccédé. C'est une fage inftitution des Loix, pour faire fervir l'amour même que nous avons pour nos enfans, à nous rendre plus affectionnés & plus fideles à la patrie.

Dans nos mœurs, le crime de lèze-Majefté est imprescrip tible. Les hommes naiffent à leurs familles qui elles-mêmes naiffent à l'Etat ; & comme chaque famille a fon chef, de même toutes les familles ensemble reconnoiffent un chef commun dans la perfonne du Souverain qui eft le pere de tous: ainfi, quiconque ofe attenter à la perfonne du Souverain, commet celui des crimes qui a le plus d'étendue dans fes effets, & qui par conféquent doit être le plus févèrement puni. D'un côté, comme le coupable jette le trouble dans tout l'Etat, il eft juste que jamais l'Etat ne lui ferve d'azile; c'est un monftre qui n'a plus de patrie, contre qui tous les Souverains doivent s'armer, & pour qui l'Univers entier ne doit plus être qu'un précipice. D'un autre côté, comme le Souverain en tant que Souverain, ne meurt jamais & qu'il n'y a point de prefcription contre lui, il eft naturel que les coupables du crime de lèze-Majefté trouvent en lui un éternel vengeur. Telles font les causes de l'imprefcriptibilité de ce crime.

» Si un Prince du Sang (dit Dumoulin ) commet un crime » de lèze-Majefté contre la Couronne Royale, il peut être, » même avec toute fa poftérité, privé en tout temps du droit » de fuccéder à la Couronne (b).

(a) Arrêt du premier Février 1762.

(b) Propter crimen læfæ Majeftatis in regiam Coronam & Rempublicam Regni per aliquem de fanguine regio poffet ille perduellis, etiam cum futurâ fuâ pofte ritate privari, omni tempore & jure futuro in fucceffione regni. Car. Molin, in Tractatu de Confuet, Parif.

Par le Code Victorien, le crime de lèze-Majefté au premier chef, & celui de félonie, emportent la confiscation tant des biens allodiaux que des fiefs, & généralement de tous les biens du délinquant, au préjudice de fes enfans & de fes collatéraux, en quelque dégré qu'ils foient, nonobftant les anciennes & les nouvelles inveftitures & tous fidéi- commis directs ou collatéraux, quand même ils auroient été autorifés par le Souverain (a),

Les Loix de France déployent toute leur févérité contre les criminels d'Etat; & il eft parmi nous plufieurs grandes différences entre les régles impofées pour ce crime, & celles qui font établies pour les crimes ordinaires,

Quoique les volontés ne foient pas punies, à moins qu'elles n'ayent eu un commencement d'exécution, nos loix veulent qu'en matiére de crime de lèze - Majefté, la mauvaise intention foit punie comme le mauvais effet. Nous avons pris cette regle des Romains, (b), & elle a été fuivie en France en deux occafions, I. Un Gentilhomme malade à l'extrémité, s'étant confeffé d'avoir eu la penfée de tuer le Roi (c'étoit Henri III) & le Confeffeur en ayant donné avis au Procureur Général, ce Gentilhomme revenu de cette maladie, fut, fur cette confeffion condamné d'être décapité aux Halles, & cela fut exécuté. II. Un Vicaire de St Nicolas des Champs à Paris, fut pendu en exécution d'un Arrêt du 11 de Janvier 1590 (c), pour avoir dit qu'il fe trouveroit encore quelque homme de bien, comme Jacques Clément, pour tuer le Roi Henri IV, ne fût-ce que lui.

Un homme est même puni de mort lorfqu'il eft convaincu

(a) Art. 3. du Chap. 7. du Liv. 4. du Code Victorien, dont il eft parlé dans 'Introduction, au Gouvernement de Sardaigne.

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(b) Eadem feveritato voluntatem fceleris, quâ effectum in reos læfæ Majeftatis jura puniri voluerunt. Leg. 5. Cod. ad leg. Jul. Majeft.

(c) Rapporté par Bouchel dans fa Bibliothèque du Droit François,

d'avoir

d'avoir fçu une conjuration contre le Souverain ou contre l'Etat, & de ne l'avoir pas révélée Les plus fameux Jurifconfultes le reconnoissent (a). Il ne lui ferviroit de rien de dire qu'il n'a pas trempé dans la conjuration.

Bernard del-Nero fut condamné à mort, pour n'avoir pas révélé une conjuration contre le Gouvernement de Florence, alors populaire (b).

Le Code Victorien veut que celui qui a connoiffance d'un crime d'Etat & qui ne le révéle point, foit réputé coupable & encoure la même peine que le coupable principal (c).

Nous avons en France une Loi expreffe à ce fujet. L'Or'donnance, de l'un de nos Rois (d) porte, » que dorénavant » ceux qui fçauront ou auront connoiffance de quelque conf

piration contre le Roi, la Reine, le Dauphin, & l'Etat, » feront tenus & réputés criminels de lèze - Majesté & punis » de femblables peines que les principaux auteurs, confpi» rateurs & conducteurs des crimes, s'ils ne le révélent ou » envoyent révéler au Roi ou à fes principaux Juges & Offi» ciers des Pays où ils font, le plûtôt que poffible leur femblera, après qu'ils en auront eu connoiffance, auquel cas,

(4) Qui nudam factionis notitiam habent citra participatæ factionis crimen de quo aliæ funt leges) certè in proprio perduellionis crimine capitali, & hunc confcium pœna puniri frequentior fchola rectè fcifcit. Jacobus Gothofredus, ad Legem Quifquis, Cod. ad Leg. Majeftatis; Profper Farinacius, célèbre Jurifconfulte Italien, Tom. 1. Operum, Quaft. 51, N. 69 & 72, dit auffi: Quod ex folâ fcientiâ, in crimine læfæ majeftatis qui tenetur & punitur; & proptereà fciens Tractatum, confpirationem, feu rebellionem contra fuum Principem & Rempublicam, & non revelans, illius criminis reus eft, ut ficut principalis delinquens & confpirans contra fuum Principem pœnâ mortis puniendus eft, ita etiam eadem pœnâ puniendus fit, non revelans talem confpirationem. Bartole penfe auffi que la feule connoissance non révélée mérite la mort. Voyez ce qu'il dit fur la Loi 6. Dig. de Leg. Pompeiâ, de parricidiis, N. 3.

(b) Hift. des Guerres d'Italie par Guichardin, fous l'an 1497.

(c) Code Victorien, Liv. 4. Ch. 7. art. 5.

(d) Elle est du 22 de Décembre 1477; elle a été faite par Louis XI ; & on la trouve dans le Code de Henri IIl.

Tome IV.

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» & quant ainsi le révéleront, ils ne feront en aucun danger » de punition des crimes, mais feront dignes de rémunéra» tion.

C'eft fur cette Ordonnance qu'un Potagier de Henri IV. avec lequel un Gentilhomme de Dauphiné avoit parlé de lui faire gagner quelque argent, pour empoifonner le Roi; fut condamné à être pendu, parce qu'il ne l'avoit pas révélé au Roi ou à la Juftice (a).

C'est auffi en vertu de cette Ordonnance, que FrançoisAugufte de Thou, Conseiller d'Etat, fut condamné à mort (6) pour n'avoir pas révélé la confpiration de Henri d'Effiat Marquis de Cinq - Mars, Grand Ecuyer de France, fon ami, qui lui en avoit fait confidence (c). Plusieurs Ecrivains François plaignent fon fort & quelques-uns même blâment ses Juges; mais à mon avis, c'eft fans raison. De Thou étoit accusé d'avoir sçû le Traité fait par Gafton de France Duc d'Orléans avec le Roi d'Espagne ; d'avoir négocié l'union du Duc de Bouillon, & de Cinq-Mars; d'avoir éte informé de la retraite que le Duc d'Orléans devoit faire en la ville de Sedan, au cas que le Roi vint à mourir; enfin d'avoir été inftruit d'une conjuration contre l'Etat fans l'avoir révélée. Il fut chargé par les témoins, & il avoua d'avoir eu connoiffance de la confpiration de quelque nom qu'on veuille l'appeller. On ne peut donner à ce Magiftrat infortuné un Juge plus favorable que fon propre pere, le célébre Jacques - Augufte de Thou, Président à mortier au Parlement de Paris. Or fon propre pere l'avoit condamné d'avance; car dans l'ouvrage que nous avons de lui, & qui eft en poffeffion de l'eftime publique,

(a) Bouchel, au mot lèze - Majefte.

b) En 1642.

() Voyez l'hiftoire de ce procès à la fin du 15. vol. de la traduction Françoife de l'Hiftoire générale de Thou

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