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de colere, font plus dignes d'indulgence, que ceux où l'amour engage. Il y a des crimes qui paroiffent petits en euxmêmes & qui le font en effet, en tant qu'ils roulent sur une chofe de peu de valeur, lefquels néanmoins font plus atroces, à les confidérer par rapport à la condition de celui qui les commet, que s'il s'agiffoit de quelque chofe de grand prix. Ainfi un ancien Orateur, accusant un homme, insista fort fur ce qu'ayant eu à payer de pauvres ouvriers employés au bâtiment d'une Chapelle, il n'avoit pû s'empêcher de leur retenir trois oboles. Le Philofophe (a) qui rapporte ce fait, remarque qu'il en eft tout au contraire des bonnes actions c'est-à-dire qu'un homme, par exemple, qui rend une grosse fomme d'argent qu'on lui avoit confiée en dépôt, eft plus louable que fi le dépôt eût été moins confidérable, parce que cela marque un plus grand fond de probité, comme la vue d'un petit profit qui eft capable de porter une perfonne au crime découvre en elle un plus grand fonds de malice, que fi elle s'étoit laissé féduire à l'attrait d'un grand gain.

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XVIII. Différences tirées

ou de l'erreur,

Les crimes commis par l'effet de quelque erreur font beaucoup moins énormes que ceux auxquelles on s'abandonne de la connoiffance avec une pleine connoiffance. L'action contraire aux Loix est plus criminelle, lorsqu'on l'a fait avec audace, par confiance en fon crédit, que lorsqu'on s'y porte dans l'efpérance de n'être pas découvert ou de se dérober par la fuite aux peines fe que les Loix décernent. Dans le premier cas, on témoigne un mépris infolent des Loix qui ne paroît pas dans l'autre. Les fautes où l'on tombe par fragilité ou par pure négligence, font moins criminelles que celles où l'on fe porte par malice & de propos délibéré.

XIX

Différences tirées

de la qualité des

Plus un homme eft élevé en dignité, & plus le crime qu'il commet paroît énorme. Les mauvaises actions des Grands font coupables. (a) Ariftote

XX.

du tems & du lieu,

contagieuses, & elles font d'autant plus criminelles, qu'elles font plus généralement imitées. Le délit commis par un Eccléfiaftique doit être puni plus féverement qu'il ne le feroit en la perfonne d'un Laïque, parce que la fainteté de son état l'oblige à une vie plus réguliere. Un Magiftrat eft plus criminel qu'un simple particulier coupable du même crime, parce qu'il eft d'autant plus obligé de ne pas violer lui-même la justice, qu'il doit la rendre aux autres. Une femme de condition, journellement infultée par les reproches les plus offenfans, & déshonorée publiquement par une accufation d'adultere & de proftitution, eft plus fenfiblement outragée que la femme d'une artifan ne le feroit, pour avoir reçu de fon mari des coups de pieds, des foufflets. Un injure eft plus fenfible de la part d'un ami, que lorsqu'elle vient d'un ennemi, comme un service rendu par un ennemi paroît plus grand que fi on le recevoit d'un ami. Un homme eft plus à plaindre d'être exposé aux infultes du bas peuple, qu'à celles de ses égaux ou de fes fupérieurs, & l'on doit venger plus rigoureu fement les outrages qui lui font faits par fes propres enfans ou par fes domeftiques, que par ceux d'autrui. Les Loix do', vent s'armer de févérité contre les mauvais traitemens faits à un proche parent ou à un bienfaiteur, parce que les crimes qui, outre leur injustice propre, renferment le violement de quelque engagement particulier, font plus énormes que ceux qui offenfent les perfonnes avec qui les coupables n'avoient aucune liaison.

Il importe auffi beaucoup de confidérer en quel tems & Diférences tirées en quel lieu un crime a eté fait. Le délit commis dans un lieu public eft plus grand, que s'il avoit été fait clandestinement, parce que les crimes fecrets font moins nuifibles au public, en ce qu'ils ne donnent pas un exemple qui invite au crime, & parce que le coupable qui ofe manifester son

crime, femble vouloir en triompher. Il est plus odieux de s'abandonner à l'impureté dans un Temple que dans un cabaret. C'est un plus grand affront pour un homme d'être battu dans l'affemblée des Juges, que dans fa maison. Celui qui s'enyvre un jour ouvrier, commet, toutes chofes d'ailleurs égales, un moindre péché, que s'il s'enyvroit un jour confacré à des exercices de piété. La maniere dont on a commis le crime & les inftrumens dont on s'eft fervi, marquent fouvent une intention plus ou moins déterminée à le commettre, & fervent par conféquent à augmenter ou à diminuer l'atrocité du fait: ainsi, un vol fait avec effraction paffe pour plus criminel, que celui où le larron n'a pas employé la violence. Pour juger du dégré de malice qu'il y a dans un crime, il faut examiner avec foin fi celui qui l'a commis, y a été de la fituation. entraîné, ou s'il s'y eft porté avec connoiffance,

Les hommes d'un efprit pénétrant font plus propres à comprendre les raifons de s'abstenir du mal. Les femmes, les enfans, les gens groffiers font moins capables que les autres de difcerner ce qui eft jufte d'avec ce qui ne l'eft pas.

Quelques-uns font entraînés avec plus de force que les autres vers certaines fortes de vues, par une effet du tempérament, de l'âge, du fexe, de l'éducation. Il y a des vices nationaux, pour ainfi dire.

Les gens bilieux font enclins à la colere. Les perfonnes d'un tempérament fanguin ont du penchant à l'amour. Les vieillards ont des inclinations différentes de celles des jeunes gens & l'on pardonne bien des choses à l'imprudence & au feu de la jeunesse, qu'on ne pardonneroit pas à l'expérience & à la caducité des perfonnes avancées en âge.

Plus le mal paroît prochain, plus le trouble où il jette eft grand & plus la frayeur qu'il infpire eft difficile à fur

monter.

XXI. Diff'rences tirées

La colere eft plus violente dans fon commencement qu'a près quelque intervalle. De là vient que le reffentiment d'une injure, lorfqu'elle eft encore toute récente, ne permet pas de fuivre les confeils de la raison, & que ce reffentiment devient moins vif avec le tems. La féverité avec laquelle la République de Hollande traite quiconque en a tué un autre même à fon corps défendant, eft un fujet d'étonnement pour les autres nations. Dieu l'abfout, & la République le condamne à mort en le plaignant. Elle facrifie à l'intérêt public un homme qui eft malheureux fans être coupable.

En général, les crimes commis de fang froid paffent pour plus énormes, que ceux où l'on eft pouffé par quelque paffion ou par l'effet de quelque accident imprévu qui trouble l'efprit. Un ancien Légiflateur (a) avoit établi une double peine pour ceux qui avoient battus quelqu'un ou commis quelque autre crime dans le vin; mais c'étoit parce qu'y ayant plus de gens qui infultent les autres dans la chaleur du vin, qu'il n'y en a qui le font fans avoir bû, il avoit crû devoir confidérer l'utilité publique & non pas l'action en elle - même ; laquelle, détachée de cette vue, eft plus pardonnable dans un homme yvre, que dans un homme qui l'a commise de fang froid.

Celui qui le premier commet quelque crime, & qui l'enfeigne, pour ainsi dire, aux autres par l'exemple qu'il en donne, commet une faute plus grande, que celui qui fe laisse entraîner par le torrent.

L'habitude au crime eft encore digne de considération. On ne paffe pas d'une longue habitude d'innocence aux grands crimes, & une mauvaise action doit être punie avec plus de févérité, lorsqu'on la commet fouvent, que quand on ne la commife qu'une fois. On ne fait grace d'une premiére faute, (a) Pittacus

qu',

le

qu'à condition que le coupable fe corrigera. S'il retombe dans le même crime, on le punit alors & pour le préfent & pour paffé. C'est avec cette restriction qu'on peut admettre la maxime commune : qu'un fait postérieur n'aggrave pas un crime passé. Une perfonne qui s'abandonne à un crime qu'on punit d'ordinaire fans miféricorde, paffe pour plus coupable que s'il y avoit plusieurs exemples d'impunité. Le mépris des Loix dans le premier cas, eft plus marqué que dans le fecond.

Un crime commis dans les fonctions d'un emploi qui fuppose la confiance du Prince ou du public, doit être puni plus févèrement que celui qui eft commis par un homme en qui ni le Prince ni le public n'avoient placé leur confiance. Et plus le crime eft aifé à commettre, plus les Loix déployent leur févérité. L'interception des lettres, par exemple, doit être punie plus févèrement dans un Commis des Bureaux des Poftes, que dans un homme qui n'y eft pas employé.

XXII. Différences tirées de la rigueur des

loix pour certains crimes, à caufe de

la facilité qu'on a pour les commet

tic.

XXIII. Différences tirées

Un crime commis par une perfonne âgée de quatorze ans feulement, n'est n'eft pas fi grave, toutes choses d'ailleurs égales, de l'âge. que celui où elle s'abandonne à quarante ans. Demeurer dans l'habitude du crime & ne pas profiter des lumiéres que fournit la maturité de l'âge, ce font des circonftances qui aggravent le crime.

Les Loix civiles diftinguent trois fortes d'âges. I. L'enfance. II. La puberté. III. La majorité. L'âge tendre peut adoucir ou même faire difparoître entierement le châtiment des délits commis; mais le dégré de malice peut fupléer au défaut de l'âge, & peut engager les Juges à punir un enfant de dix ou onze ans, comme s'il eût atteint l'âge de puberté ; lorfqu'il a commis le crime.

L'égalité dans les châtimens ne doit être obfervée que par rapport aux crimes de même efpece. Selon que le Légiflateur le juge à propos, on punit certains crimes plus rigouTome IV.

Eee

XXIV.

L'égalité dans doit être obfervée

les chatimens ne

que par rapport aux crimes de même efpece.

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