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387 l'administration sous fon autorité à des Magiftrats. Les Politiques désignent ce pouvoir par droit de dernier reffort (a); c'est-à-dire le droit de juger les peuples fans appel. Les Jurifconfultes appellent ce droit merum imperium ; & l'exercice de ce droit, mixtum imperium. Ils difent que celui-là est attaché à la Souveraineté, & que celui-ci eft confié à la Magiftrature (b).

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Les péchés, les pensées, les paffions, les vices qui né troublent pas les Sociétés civiles, ne font pas Joumis à la Juftice humaine.

L

Es devoirs qui n'aiffent de l'égalité des Citoyens font de deux efpeces. On nomme les uns devoirs d'obligation parfaite, parce que la Loifcivile peut avec facilité & doit néceffairement en prescrire l'étroite obfervation. On appelle les autres devoirs d'obligation imparfaite, non que les principes de la morale n'en exigent la pratique, mais parce que la Justice n'en pourroit que difficilement prendre connoiffance, & que l'on fuppofe qu'ils n'affectent point fi immédiatement le bien être de la fociété. Le violement des devoirs d'o bligation imparfaite eft auffi funefte, mais il eft moins prompt dans fes effets que celui des devoirs d'obligation parfaite.

Toutes fortes de péchés, de vices, de paffions, ne font pas soumis à la Juftice humaine. Elle ne punit que ce qui trouble l'ordre de la fociété, parce que le feul objet des Légiflateurs a été d'en affùrer le repos. Ils ne Ils ne fe propofent pas

a) Extrema provocatio. Tacit, annal. (b) Leg. 1. Dig. de Off. ejus; l. 3. Dig. de Jurifdi&t.

de

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rendre gens de bien & parfaits les Citoyens, ils ne fe propo fent que de les rendre fociables, & de régler leurs actions extérieures. C'est pour cela que les Loix civiles ne condam nent que les actions ou les efforts extérieurs qu'on fait pour les commettre, fans réparer ni les erreurs de l'efprit ni les déréglemens de la volonté, tant qu'ils ne produisent rien de repréhensible au dehors.

La Loi civile regarde les hommes tels qu'ils font, & ne régle que le dehors de leurs actions, au lieu que la Loi naturelle les regarde tels qu'ils devroient être dans toute la pureté de leur premier état : ainfi la Loi naturelle demande bien plus de candeur, de fimplicité, & de bonne foi, dans tout ce les hommes traitent les uns avec les autres, que la Loi civile n'y en fçauroit établir.

que

Un Philofophe qui, au milieu des ténébres du Paganisme, connoiffoit la beauté de la Loi naturelle, a dit que le Droit civil n'eft qu'un ombre du véritable Droit, & a souhaité que nous fuiviffions au moins cette ombre toute ombre qu'elle eft, puifqu'elle eft l'idée de la vérité (a).

,

De là vient que, dans les Tribunaux humains, on regarde comme permis tout ce qui demeure impuni, on y tient pour maxime cette regle de Droit: Que tout ce qui eft permis n'est pas toujours honnête (b). Le Philofophe dont je parle dit luimême, qu'il y a des chofes permifes que l'on ne doit pas faire, mais qu'il n'y en a point que l'on doive faire, dès qu'elles ne font pas permises (c). En effet, on peut offenfer la vertu, quoiqu'on ne viole pas les Loix humaines, mais si

(a) Sed nos veri juris permanæque juftitiæ folidam & expreffam effigiem nullam tenemus, umbrâ & imaginibus utimur. Eas ipfas utinam fequeremur ! feruntur enim ex optimis naturæ & veritatis exemplis. Cicer. Offic. lib. 3. Cap. 17. (b) Non omne quod licet honeftum eft. Digeft. L. 50, Tit. 17. de diverfis regu lis juris. L. 144.

(c) Cicer. Orat. pro L. Cornel, Balbo,

l'on échappe à la vigilance des Loix, on ne pourra échaper à la vengeance divine.

. Une pensée, une intention, n'eft pas un crime qui foit du reffort de la justice des hommes, c'eft à Dieu feul qu'il eft réfervé de fonder les cours; de condamner les volontés injuftes, les deffeins contraires aux regles de la Souveraine équité. Dieu feul eft le Juge de notre intérieur, c'est son domaine particulier dont il eft jaloux, & il défend aux hommes d'empiéter fur fa Jurifdiction.

. Les fimples pensées, les fimples deffeins, les actes purement intérieurs, ne foumettent à aucune peine devant les hommes, lors même qu'ils font manifeftés, ou par l'aveu qu'on en fait, ou par quelque autre circonftance. La raison en: eft, que ces mouvemens intérieurs ne faisant du mal à perfonne, il n'y a perfonne auffi qui ait intérêt qu'on les puniffe.

pas

Mais fi des actes extérieurs accompagnent les intérieurs, ceux-ci contribuent beaucoup à caractériser ceux-là & à les rendre plus ou moins criminels. C'eft pourquoi, l'on punit les crimes, quoiqu'ils ne foient que commencés. La fimple volonté de l'affaffinat (a) n'est jamais punie; mais on punit la volonté qui a eu un commencement d'éxécution. La pensée d'un crime qui se manifefte par des paroles n'eft pas le crime même. Une menace d'affafiner n'eft pas un affafinat, elle n'est punie si l'on s'en tient là; mais elle l'est quand on prend des mefures & des voies prochaines pour l'éxécution. Cette maxime: la volonté eft auffi criminelle que l'effet, a fon application à une volonté fuivie des derniers efforts, en forte qu'il ne falloit plus de nouvel acte de la part de l'agent pour la confommation du crime, comme fi voulant (tuer quelqu'un on lui a tiré un coup de fufil, & qu'on ait manqué fon coup.

(a) Cogitationis nemo pœnam patitur,

On ne punit point Tribunaux de judi

les penfées dans les

cature.

VI.

On n'y punit pas

eertains vices, ni

Il feroit auffi trop rigoureux de punir des fautes légères, on des fautes légères, les met fur le compte de l'humanité. En exigeant avec rigueur certaines paflions. certaines chofes très-raifonnables en foi, on auroit eu à craindre qu'il n'en résultât des maux beaucoup plus fâcheux que ceux aufquels on auroit voulu remédier. Un sage Législateur imite les Médecins qui, dans les petites chofes, font indulgens aux défirs des malades, pour les rendre obéiffans dans les grandes. Les Loix civiles ne donnent pas non plus action en justice pour certaines chofes vicieuses en elles-mêmes, foit parce que le mal a des racines fi profondes qu'on ne fçauroit entreprendre d'y remédier fans troubler l'Etat, foit parce que les Tribunaux de Juftice retentiroient perpétuellement des clameurs des Plaideurs pour des affaires de peu de conféquence, Enfin, les Législateurs laiffent impunis les vices produits par un effet de la corruption générale des hommes, tels que l'avarice, l'ambition, l'inhumanité, l'ingratitude, l'hypocrisie, l'envie, la medifance, l'orgueil, la colére, l'animofité. Ces paffions font fi communes, qu'il faudroit dépeupler un Etat pour punir ceux qui en font poffédés,

VII. Is peines ne doivent pas être infligées en tant que

gant qu'utiles,

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SECTION
I ON II L

Des Peines.

ESTINÉES à maintenir l'ordre, les Loix veulent que chaque Citoyen puiffe jouir avec une entiére fliberté, peines, mais en de foi-même, de fon honneur, & de fa fortume. Toute action méditée qui donnent atteinte à ce triple bien, est un crime, & comme tout crime détruit l'ordre Physique de la fociété & fait tort à fes membres, la fociété a droit de faire réparer à un criminel le défordre que fon crime a caufé & le tort qu'il a fait aux Citoyens.

Nous avons un grand amour pour nous-mêmes, & notre confervation nous eft infiniment précieuse. Rien n'est par conféquent plus hideux que le trifte appareil destiné à effrayer & à réprimer les méchans. Les fupplices détruifent l'homme, & il a d'autant plus de regret à la vie, qu'on en rend la fin plus douloureuse. Il n'eft pas poffible d'empêcher que ce qu¡ a été fait ne l'ait été ; mais rien n'eft fi jufte que de faire périr un criminel qui s'eft rendu indigne de vivre, que de faire fouffrir du mal à celui qui en a fait aux autres, & que de le mettre hors d'état d'en faire déformais. Ce n'eft pas qu'il foit indispensable deꞌ fatisfaire à la Justice, en infligeant des peines aux coupables. Les paffages de l'Ecriture que quelques Auteurs alléguent à cet égard, ne regardent que le Tribunal divin, ou ne fe rapportent qu'aux Loix particulieres & aux Cérémonies des Juifs. A quel propos faire fouffrir quelqu'un, simple. ment pour le faire fouffrir? Répandre le fang humain, pour le feul plaifir de le répandre, c'eft chercher à affouvir fa cruauté. Les peines ne doivent donc pas être infligées en tant que peines, mais en tant qu'utiles. L'utilité en doit être la mefure (a).

En puniffant les actions criminelles, les fociétés civiles ont trois objets (b).

Le premier vœu du Légiflateur, dans l'établiffement des peines, c'eft de corriger le coupable & de lui faire perdre l'envie de retomber dans le crime. Tout fortes d'actions, & furtout celles qu'on fait de propos délibéré & aufquelles on revient fouvent, laiffent dans l'agent un certain penchant & une certaine facilité à en produire d'autres femblables, d'où se

(4) Supplicium de iis fumendum, non tam ut ipfi pereant, quam ut alios pereundo deterreant.

(b). In quibus ( alienis injuriis) vindicandis, hæc tria lex fecuta est , quæ Princeps quoque fequi debet, aut ut eum quem punit emendet, aut ut pœna ejus cæteros meliores reddat, aut ut fublatis malis, cæteri fecuriores vivant. Senec de Clement. lib. 1. Cap. 22.

VIII Les punitions ont trois objets. 1. Corriger le cou

Pable. 11. Pour

la perfonne lézée.

111. L'utilité

bliquer

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