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XIII.

Obéiffance qu'exi

vidence lui ouvre quelques voies favorables pour rémonter fur le Trône. Le devoir des fujets envers leur Prince légitime eft pour lors comme fufpendu. Les engagemens où ils font, en vertu du ferment de fidélité qu'ils ont prêté à l'ufurpateur, ne vont pas au-delà des évenemens qui peuvent faire une nouvelle révolution dans l'Etat & rendre la Couronne au Prince légitime, parce que ces engagemens ne font pas tant fondés fur un motif de confcience, que fur une impreffion de crainte.

Nous verrons dans le Droit des Gens, quelles conquêtes ge une conquête font légitimes & quelles injuftes, relativement au Prince fur Tégitime. qui on les a faites; mais c'est ici le lieu d'examiner ce qu'el les exigent d'obéiffance de la part des fujets.

Toute conquête légitime suppose que le vainqueur a eu un jufte fujet de prendre les armes, mais quelque légitime qu'elle foit, elle n'oblige les vaincus à l'obéiffance, qu'autant qu'ils s'y font engagés par une convention. Sans cela, ils font avec lui dans un état de guerre, & il ne & il ne fera par conféquent leur Souverain, qu'autant de tems que durera la force qui l'a rendu tel. Son Trône ne peut être affermi que le tems n'ait rendu fa poffeffion légitime. Deux ennemis ne peuvent fe réconcilier fans convention, & l'on ne peut être obligé d'obéir à celui à qui l'on n'a rien promis.

Il est vrai qu'un conquerant, devenu tel, par une guerre jufte, n'a pas befoin, pour rendre fa domination légitime, d'obtenir un confentement abfolument volontaire, par lequel les vaincus lui promettent une obéiffance exacte, il peut fe fervir des forces qu'il a en main pour arracher ce confentement. Celui qui affujettit les peuples par les armes, & qui a la puiffance de les détruire, ne leur laiffe la vie, & ne les conferve qu'à condition qu'il fera leur maître ; & les peuples à qui la vie eft plus chere que tout le reste, se soumettent à fa domination, & s'engagent à l'obéiffance. Pour lors

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l'Empire du conquerant devient légitime, non pas feulement à cause de l'acte de clémence qu'il exerce envers les vaincus, en leur laiffant une vie qu'il pourroit leur ôter, mais encore parce que les vaincus s'étant engagés dans une guerre injufte, ils fe font exposés au fort des armes, & ont tacitement confenti par avance à toutes les conditions que le vainqueur jus geroit à propos de leur impofer.

Les peuples qui ont promis d'obéir au conquerant ne font pas en droit de fecouer le joug auquel ils se font foumis ; parce que leur foi y eft engagée. La force du victorieux qui les a contraints à cette promeffe, ne les difpenfe pas de la tenir. La foi doit être gardée, même au dommage de ceux qui la donnent; la vie confervée au vaincu fous cette promeffe, eft un bénéfice qui lie la confcience du promettant, malgré la contrainte où il eft lorfqu'il promet. Il faut, ou ne point promettre, ou tenir ce qu'on promet. La chose promise ne regarde que l'intérêt temporel du promettant, & la promesse est suivie d'un bien qu'on n'obtiendroit pas fans elle. Le violement de cette promeffe regarde le bien fpirituel de la confcience. Celui qui jure de garder la foi & qui se réserve intérieurement de la violer quand il le pourra, eft un fourbe inexcufable devant Dieu, & devant les hommes.

XIV. Bornes de l'o.

une conquête ja

Quant aux conquêtes injuftes, la queftion eft de fçavoir comment un ufurpateur peut acquérir par la foumiffion forcée béiffance qu'exige de ceux dont il s'eft rendu le maître, un pouvoir légitime que jute. fa confcience lui permette d'exercer. Une convention extorquée par une crainte injufte ne peut appaiser les mouvemens de la conscience, & celui qui a caufé du dommage eft indif penfablement tenu, dans le fore intérieur, de le réparer.

Si c'est un Etat Monarchique que l'ufurpateur a envahi il eft obligé de rendre la Couronne à celui qu'il en a dépouillé, tant que celui-ci ou fes héritiers font au monde, ou du moins jufqu'à ce qu'ils ayent manifeftement renoncé à toutes

leurs prétentions, comme on préfume qu'ils l'ont fait, lorsqu'il s'est paffé un fort long espace de tems, fans qu'ils ayent fait le moindre effort pour recouvrer le Royaume; mais cela n'empê che pas que, pendant même que l'ufurpateur n'a encore acquis aucun titre capable d'appaiser les mouvemens de sa confcience, les Sujets ne foient indispensablement tenus de lui rendre l'obéiffance, qu'ils lui ont promife: bien entendu qu'ils ne lui ayent prêté le ferment par lequel ils fe font enga gés à cette obéissance, qu'après avoit fait, en faveur du Roi dépoffédé, tout ce qu'il pouroit raisonnablement exiger d'eux.

Si c'est un Etat Ariftocratique que l'ufurpateur a envahi, il est tenu de rétablir l'ancienne forme de Gouvernement pendant auffi long tems que le peuple paroît la regretter. C'est fon intérêt qu'il faut confulter encore plus que celui des Séna¬ teurs qu'on a privés du droit de le gourvener.

Si c'est un Gouvernement Démocratique que l'ufurpateur a changé en une Mornarchie, on préfume qu'un peuple pouvant être aussi heureux fous un Gouvernement Mornarchique que fous un Gouvernement Démocratique, il fe confole aifément de la perte de fon indépendance, lorsque le nouveau Roi le traite avec douceur & gouverne équitablement. Il fuffit par conféquent que le Souverain ait regné paisiblement pendant quelque tems pour donner lieu de croire que le peuple s'accommode de fa domination, & pour effacer ce qu'il y avoit de vicieux dans la maniere dont elle avoit été établie. Le murmure d'un petit nombre de Citoyens n'eft pas digne de confidération, puisqu'il n'y a point de forme de Gouvernement, fans en excepter celle que les Citoyens euxmêmes ont établie avec une entiere liberté, qui foit toujours au gré de tous les particuliers, & qui ne faffe des mécontens. Que fi un Prince qui s'eft rendu maître par force d'une République, maltraite les Cytoyens & abuse des droits de la victoire, on ne peut raifonnablement penfer qu'ils foient obligés en concfcience de lui obéir.

LA

LA SCIENCE

D U

GOUVERNEMENT.

DROIT PUBLIC.

CHAPITRE QUATRIÉ ME.
Du Pouvoir Judiciaire.

SECTION PREMIERE.

Nature du Pouvoir Judiciaire.

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11 eft néceffaire qu'il y ait un pou

ES Loix auroient beau être conçues en termes clairs, elles feroient inutiles, fi l'on ne les appli- voir judiciaire. quoit aux faits particuliers. Cette application qui exige le miniftére des hommes, a fes difficultés. Des circonftances particulieres forment de juftes doutes dans les affaires, & l'injuftice, toujours ingénieufe multiplie ces doutes à l'infini. Ainfi, au pouvoir Légiflatif, il a fallu néceffairement joindre le Pouvoir Judiciaire.

II.

voir judiciaire.

Ce pouvoir confiste à examiner les différens qui s'élevent Caractére du poɑ-
Tome IV.

Ccc

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tiellement dans le

entre les Citoyens, à fixer leurs droits avec autorité, à juger les demandes & les plaintes que les Sujets forment les uns contre les autres, & à appliquer les peines que les Loix ont établies contre ceux qui en feroient les infracteurs. C'est l'ufage ordinaire de ces jugemens qu'on appelle Pouvoir Judiciaire.

Ariftote dit que le jugement eft une loi particuliére; & la Loi, un jugement univerfel, que fi le Juge étoit fans paffion, le jugement se pourroit paffer de la Loi; & que la Loi pouvoit comprendre tous les cas particuliers, elle pourroit auffi fe paffer de jugement.

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Ce pouvoir réfide effentiellement dans le Souverain. Juger réfide effen- n'eft autre chofe qu'appliquer la Loi aux faits particuliers ; Souverain, & les & appliquer la Loi, c'eft fouvent l'interpréter: or il n'y a que autorité déléguée. celui qui a fait la Loi qui ait droit de l'interpréter ; & comme

Juges n'ont qu'une

le Prince feul peut faire des Loix, le Prince feul a droit de juger. L'hiftoire nous apprend qu'Augufte & des Rois qui ont regné avec gloire ont fait, du soin de rendre la justice, l'une de leurs principales occupations; & parmi nous, le Seigneur de Joinville rapporte que S. Louis, au milieu même de fes divertiffemens, fe faifoit apporter le fiége fur lequel il rendoit la justice, pour la difpenfer aux perfonnes qui la demandoient ; mais parce que le Prince ne peut prendre connoiffance de tous les différends de fes Sujets, il en nomme quelques-uns à qui il donne le pouvoir de juger les autres felon les Loix.

La propriété du Pouvoir Judiciaire appartient au Souverain. La Jurifdiction fuprême & l'autorité de juger les appellations font nécessairement atachées à la Souveraineté. Il n'eft point permis d'appeller de la Sentence rendue par le Prince. Ce feroit douter de fon pouvoir, & lui donner un Supérieur.

Ce Pouvoir Judiciaire, qui eft la fouce de toutes le Jurifdictions, le Souverain l'exerce pour lui-même, ou il en confie

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