V. qui foient capables d'en juger? Les gens que le Souve que Il feroit également dangereux & pour le bien de l'Etat obéit fans crime, en général, & pour la conscience des sujets en particulier, la justice de Por- que, pour un fimple fcrupule ou pour un doute qui s'éléve dans le doute de dre. dans l'efprit fur la juftice des ordres du Souverain, les sujets puffent légitimement refufer de lui obéir. L'Etat ne feroit point fervi, & les fujets feroient fouvent réduits à la nécesfité de pécher, puifqu'ils agiroient contre leur conscience, s'ils obéiffoient, & contre la foumiffion qu'ils ont promise à leurs Souverains, s'ils n'obéiffoient pas. Dans le doute, on doit prendre le parti le plus sûr : or l'on court beaucoup moins de rifque de pécher, en obéiffant aux ordres précis de fon Souverain, que l'on ne fcait pas avec une entiere certitude être injuftes, qu'en manquant, pour un fimple doute, aux engagemens où l'on eft envers lui. Le Souverain, peut n'avoir pas raifon de faire un commandement; mais le fujet en a une très-légitimes d'y obéir. Le Souverain péche lorsqu'il fait un commandement contraire à la juftice; mais le fujet qui doit toujours mettre la préfomption du côté de fon Souverain, eft obligé d'obéir, lors même qu'il ne voit pas la raison du commandement, ou que, croyant la voir, elle ne lui semble pas fondée. Il doit penfer que le Souverain a des vues que lui fujet n'eft ni en droit ni en état d'examiner, & doit fe rappeller un principe que j'ai établir ailleurs; fçavoir que toute conduite du fujet qui a pour regle l'efprit particulier dans une affaire publique, a fon principe dans une source empoisonnée (a). Que fi l'ordre du Souverain eft évidemment injufte, l'on ne peut l'executer innocemment que lorfque trois conditions concourent. I. Que celui qui execute un ordre injufte, l'execute comme une action d'autrui & non comme fon propre fait, c'est-à-dire qu'il prête fimplement fes forces à l'execution de l'action que le Souverain commande, fans rien faire d'ailleurs qui puiffe y fervir d'occasion ou de prétexte, & sans l'autorifer en aucune maniére de fon fuffrage (b). II. Que le refus d'executer les ordres injuftes du Souverain expose celui qui feroit ce refus à une mort certaine ou à quelque autre mal considérable auquel ni les regles de la justice, ni les devoirs de la charité ne l'obligent en aucune maniere de s'expofer en faveur d'autrui. Ce fecond motif eft encore plus puiffant, s'il n'y a aucun fujet de douter que d'autres perfonnes ne l'executaffent fi le Souverain le leur ordonnoit. III. Qu'il n'obéiffe qu'avec une extrême répugnance, & qu'après avoir a) Voyez la premiere Section du II. Chap. de ce volume. (b) Deum timete; Regem honorificate; fervi fubditi eftote in omni timore dominis non tantum bonis & modeftis, fed etiam dyfcolis. Hæc eft enim gratia, propter Dei confcientiam fuftinet quis triftitias, patiens injuftè. 1, Petr, 2, 17. VI. Il ne doit jamais contraire aux Loix . fait tout ce qui dépendoit de lui pour être difpenfé d'un fi trifte emploi. Je prie le Lecteur de faire attention qu'il y a une grande différence entre dire qu'on eft tenu en confcience d'obéir, & dire, comme je fais, qu'on peut obéir innocemment pour détouner un grand mal dont on eft menacé. La néceffité autorise à des chofes qu'on n'eft pas obligé de faire en confcience. Un ordre contraire aux Loix divines n'a aucune force d'o obéir à un ordre bliger, Au deffus de tous les Empires eft l'Empire de Dieu. Divines, ni à des Ainfi, l'on ne péche point du tout lorsqu'on refuse d'execubarbares. ter un ordre qui eft directement contre les Loix divines. On pécheroit au contraire, fi on l'executoit. ordres abfolument Il est aussi des actions fi abominables, que la fimple exécution doit paroître beaucoup plus affreufe que la mort même: Lucain a mis un fentiment barbare dans la bouche d'un foldat parlant à Céfar, lorfqu'il lui a fait dire: Si vous me commandez de plonger mon épée dans le fein de mon frere, dans la gorge de mon pere, & dans les entrailles de ma femme groffe, j'obéirai avec regret, mais j'obéirai (a). Dans l'éxamen des ordres du Prince, l'on ne doit jamais perdre de vue la dépendance où les Princes les plus abfolus font des Loix divines & naturelles & de celles qui ont fondé la Souveraineté ( a ). Je n'ai garde de penfer non plus qu'il puiffe jamais être permis à un homme à qui l'on peut faire fouffrir la mort juftement méritée, d'accepter la vie qu'on lui offre, à condition qu'il tuera un autre homme qui a confervé fon innocence, car ce feroit donner la vie d'autrui pour racheter la fienne. Il y a bien des chofes qu'on ne peut pas faire par intérêt pour foi, quoiqu'elles foient permifes d'ailleurs par une raison & dans d'autres vues. On ne doit pas fe prêter à une action évidemment mauvaise. On doit s'y refuser, tant pour fon honneur, que pour n'être point miniftre de la honte & du deshonneur du Prince. On trouvera un principe général de décision dans la diftinction que j'ai faite en un autre endroit (b), de l'obéiffance fur l'obéillance active & de la paffive; & l'on ne peut raifonner ainsi: Entre les chofes vicieuses, il y en a qui le font tellement qu'elles ne peuvent pas être bonnes, ce font celles que le Droit naturel & le Droit divin pofitif défendent. Il y en a d'autres qui font tantôt vicieuses & tantôt bonnes, felon les circonftances qui les accompagnent. Un fujet ne doit jamais obéir à son Prince dans les premieres, quelque ordre qu'il en reçoive, puifque ces ordres font contraires à des ordres fupérieurs. La défobéissance dans les autres fouffre de la difficulté. On ne peut, dans celle là, défobéir au Prince qu'en jugeant que ce qu'il commande eft vicieux & qu'il n'a pas le pouvoir de le commander; mais les fujets ont renoncé à leur propre jugement pour fuivre celui du Prince. 1 Nous avons deux fortes de connoiffances : les unes font fimples & claires par elles-mêmes, & les autres dépendent d'une longue fuite de raifonnemens. Les premieres ne nous trompent point, les autres nous en impofent quelquefois. Je ne puis foumettre mon jugement à celui d'un autre dans les premieres connoiffances, mais je puis le faire dans les fecondes qui font elles-mêmes des jugemens; car juger, c'eft connoître avec difcuffion or ce qui eft vicieux, parce que le Droit naturel & le Droit divin pofitif le défendent, appartient aux premieres connoiffances; & lorfque j'ai renoncé à mon jugement, je n'ai pas renoncé à me (4) Dans la premiere Section du II. Chap. de ce volume, VII. Principe géneral aux ordres du Souverain. VIII. Horreur qu'on deit avoir des ufurpations. conduire en une telle conjoncture, par ces connoiffances qui n'étant pas des jugemens, ne font pas comprises dans la renonciation que j'ai faite. A l'égard des choses qui font tantôt vicieuses & tantôt bonnes, felon les circonftances, comme on n'en peut faire la différence que par la voie de l'examen & par une fuite de raifonnemens, ces connoiffances font de veritables jugemens, d'où il fuit que j'y puis foumettre le mien à celui d'un autre. C'eft pourquoi, fi mon Prince me commande quelque chofe de vicieux de cette efpece, je fuis obligé de lui obéir, car je ne puis refuser de lui obéir qu'en jugeant de fon commandement; & je ne dois pas en juger. Je fuis donc obligé de lui obéir, & je ne puis le faire fans fcrupule, parce que le mal qu'il y a dans ce qu'il me commande le regarde & non pas moi qui ne fais que lui obéir. Au contraire, mon obéissance eft louable, & je pécherois fi je ne lui obéiffois pas. Une action n'est vicieuse que quand celui qui la fait la croit ou la doit croire vicieuse. Or je ne dois pas croire vicieux ce que je fais par l'ordre de mon Prince, puisqu'il ne m'est pas permis de juger de lui. Je ne dois pas agir en homme qui juge; mais en fujet qui n'examine pas & qui ne doit point examiner. Des Loix de l'Ufurpateur & de celles du Conquérant. n'y a que trop de Princes qui ufurpent des Couronnes; qui les arrachent de dessus les têtes qui doivent les porter, & qui penfent comme cet ambitieux (a), lequel faifoit dépendre les regles du vol de l'importance de la chofe volée. L'homme dont je farle avcit toujours dans la bouche ces (4) Céfar, mots |