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entre; mais la Loi oblige en vertu de l'engagement où l'on étoit déjà d'obéir au Légiflateur.

Ni les Loix naturelles ni les Loix divines, pofitives, ni les Loix civiles, ne fçauroient être regardées comme des con

ventions.

Il est évident que les Loix naturelles ni les Loix divines ne doivent point leur origine aux conventions des hommes.

Pour les Loix civiles, il a bien pû intervenir des conventions dans l'établiffement du pouvoir Légiflatif de l'Etat; mais l'Etat une fois formé, le pouvoir Légiflatif une fois établi, on ne peut fans absurdité regarder le droit de Législation comme une convention entre ceux qui gouvernent & ceux qui font gouvernés. Inféparablement attaché à la Souveraineté, il exige une obéiffance exacte & exclud l'égalité qui fe trouve dans la formation des conventions.

Si le titre de convention pouvoit convenir à quelques loix civiles, ce ne pourroit être qu'à celles des Grecs qui les faifoient fur la propofition du Magiftrat, du confentement & de l'ordonnance du peuple, & par conféquent avec une efpece de ftipulation, & néanmoins le terme de convention ne peut être proprement appliqué ni à ces loix des Républiques de la Grèce, ni en général aux Loix des Gouvernemens Démocratiques. Il eft vrai que, dans ces Gouvernemens populaires, la plus grande partie du peuple doit concourir à établir les Loix; mais ce concours n'eft que la maniere dont le pouvoir Souverain fe déploye dans cette forme de Gouvernement. Le fuffrage que chaque Citoyen donne dans les affemblées du peuple, lorsqu'il s'y agit de faire quelque Loi, différe du confentement qui intervient dans les conventions, en ce qu'en matiere de convention, un particulier n'eft tenu à rien quand il n'a pas confenti, car il ne peut y avoir de convention fans confentement au lieu qu'on eft obligé d'obéir aux

Loix, quoiqu'on n'y ait pas donné de confentement lorfqu'elles ont été portées, parce que la pluralité des fuffrages forme l'obligation.

Qu'on fuppofe, fi l'on veut, qu'une multitude de gens, hors de toute fociété civile, s'engagent d'un commun accord, à obferver certaines regles de conduite, cet engagement n'aurą pas plus d'effet qu'en ont les conventions par le Droit naturel tout feul, puisqu'il n'y aura point de pouvoir Souverain armé de forces néceffaires pour punir les contrevenans. Il faudra indispensablement ranger cet engagement dans la claffe des conventions, dont j'ai fait voir ailleurs (a) l'impuiffance à régir les fociétés,

Difons donc que dans tous les cas, les Loix font essentiellement différentes des conventions même dans les Républi

ques.

Il y a encore de la différence entre la Loi & le Droit, Le foin de maintenir la fociété d'une maniére conforme aux lumiéres de l'entendement humain, eft la fource du Droit proprement dit (b) qui fe réduit en général à ceci : qu'il faut s'abstenir religieusement du bien d'autrui & tenir sa parole.

Les conventions par lefquelles les hommes réglent ce que les uns doivent faire & les autres recevoir, ou ce qu'ils doivent faire & recevoir respectivement, font une autre fource de Droit.

Par Droit en général, on entend le pouvoir de faire & de pofféder certaines chofes felon une Loi.

Le terme de Droit, pris pour un Recueil de Loix comme il se prend lorfqu'il eft employé abfolument & dans le fens que l'on dit, Droit naturel, Droit Eccléfiaftique,

(a) Dans la II. Section du premier Chapitre de l'Introduction.

(b) Voyez l'Idée générale de la Science du Gouvernement, dans l'Introduction,

Droit privé, Droit public, a le même fens que celui de Loi. Mais il ne faut pas confondre avec l'idée de la Loi, cette fignification du mot de Droit, par laquelle on défigne ce qui est juste dans un fens négatif plutôt que pofitif (a), & la permiffion de faire certaines chofes, qui eft donnée en termes exprès par une convention, ou accordée tacitement par la Loi. On dit qu'un particulier, a droit de faire ce dont il eft légitimement convenu avec un autre particulier, fans que cet autre particulier puisse l'en empêcher; & en parlant ainsi, l'on parle exactement. Quand une Loi ne défend pas formellement de faire certaines chofes, la maniére ordinaire de parler ́eft d'affûrer que, par cette loi, on a droit de faire ces choses là, & cet ufage eft fondé fur ce que les hommes ont la liberté de faire tout ce qu'ils font en état d'exécuter par leurs forces naturelles, à moins que quelque loi ne le défende. Dans ces cas là, le mot de droit n'a pas le même fens que celui de loi, il fignifie la liberté d'agir, au lieu que la Loi, généralement parlant, emporte l'idée d'un engagement particulier qui reftreint la liberté naturelle.

Il ne faut pas non plus confondre avec le mot de Droit employé dans un fens négatif & la permiffion qui eft donnée par une convention ou par la Loi, une autre significa tion de ce terme de Droit qui eft différent & qui néanmoins tire de-là fon origine & fe rapporte directement aux personnes. En ce dernier fens; le Droit eft une qualité morale attachée à la perfonne en vertu de quoi l'on peut légitimement avoir ou faire certaines choses. On dit attachée à la perfonne, quoique cette qualité fuive quelquefois les chofes, comme cela fe voit dans les fervitudes de fonds & d'héritages qui font appellés des droits réels, par rapport à d'autres droits pure

(a) C'est-à-dire ce qui n'est point injuste & ce qui n'est point contraire à une fociété d'êtres raisonnables,

Tome IV.

A a a

IV.

Si un Sujet peut exécuter fans crime un ordre in

verain.

ment perfonnels. Tel eft, par exemple, le droit d'un pere.
fur fes enfans, le droit d'un mari fur fa femme, le droit
d'ufufruit, le droit d'exiger l'effet d'une promeffe. Ce n'eft
les droits réels ne foient attachés à la perfonne,
pas que
auffi bien que les perfonnels, c'est parce qu'ils ne font atta-
chés qu'à celui qui pofféde telle ou telle chose. C'est ainsi
que le droit de paffage qu'a le proprietaire d'une maison de
campagne sur un fonds voisin, n'est attaché qu'à celui qui
pofféde cette maison, & qu'il fe tranfmet à tous ceux qui
la poffédent, quels qu'ils foient, & auffi longtems que le
droit n'eft pas éteint.

O

SECTION I I.
Des ordres du Prince légitime.

N ne peut en bonne morale, faire une action, lorsqu'on Nhin eft incertain si elle eft jufte ou injufte; & les sujets ne jufte de fon Sou- peuvent fans crime, révoquer en doute l'obéissance qui est due au Souverain. Voilà deux principes certains qui tous deux doivent avoir leur ufage dans la question de fçavoir si un fujet peut pécher en exécutant les ordres injuftes de fon Souverain, lorfque ce fujet n'agit qu'en qualité de fimple exécuteur, & qu'il laiffe au Souverain le foin d'examiner fi ́ces ordres font juftes ou non. Je parle d'ordres & non de loix; & il y a cette différence entre ces deux fortes de commandemens, que , que les loix font générales & regardent tous les citoyens, au lieu que les ordres s'adreffent à quelque fujet en particulier.

Il est évident que des gens de bien n'ont entendu vouer leur obéiffance au Souverain, qu'à condition qu'il ne leur ordonneroit rien qui fût manifeftement contraire au Droit

naturel & au Droit divin pofitif; car pour les ordres qui seroient fimplement contraires aux Loix civiles, il eft hors de doute que le fujet peut obéir fans fe rendre en aucune maniere coupable envers Dieu. De cette fuppofition on peut inférer, que lorsque l'ordre eft injufte, le sujet eft difpenfé d'obéir. De quelque maniére que le fujet agiffe ou en fon nom ou au nom du Prince, fa volonté concourt toujours en quelque forte à l'action criminelle qu'il exécute par l'ordre de fon Souverain. Ainfi, ou il faut toujours lui imputer en partie ces fortes d'actions, ou il ne faut jamais lui en imputer aucune.

Il femble donc qu'on puiffe foutenir généralement & fans restriction, que les plus grandes menaces du monde ne doivent jamais porter à faire, même par ordre & au nom d'un fupérieur, la moindre chofe qui paroiffe manifeftement injufte ou criminelle, & qu'encore que l'on foit fort excufable dans les Tribunaux humains d'avoir fuccombé dans une fi rude épreuve, on ne l'eft pas entiérement au Tribunal de Dieu.

Mais fi l'on admettoit ce fentiment, il s'enfuivroit que; pour y conformer leur conduite, les Soldats, les Huiffiers; les Archers, les Bourreaux devroient entendre le Droit public & particulier, la Politique & les intérêts des Etats; & qu'ils pourroient, à leur gré, fe refufer à l'obéiffance, fous prétexte qu'ils ne feroient pas bien convaincus de la justice de ce qu'on leur commanderoit. Cela réduiroit à rien l'autorité du Prince, & le mettroit hors d'état de remplir les fonctions du Gouvernement. S'il étoit permis au fujet d'examiner les ordres du Souverain, pour fçavoir s'ils font juftes ou non, il n'y auroit prefque aucun foldat qui fit innocemment fon métier. Où font les Soldats qui connoiffent les raifons du Prince? Quand ils en feroient inftruits, combien y a-t-il

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